#Roman francophone

Les Lauriers du lac de Constance. Chronique d'une collaboration

Marie Chaix

D'autres enfants jouent au papa et à la maman. Moi, j'allais apporter un colis à mon mari l'ours en peluche, prisonnier derrière les barreaux de la chaise. Pour faire comme ma mère. Elle, l'épouse d'Albert B. , bras droit de Doriot au PPF pendant la guerre... Albert, mon père, collabo, condamné à perpétuité à la Libération. Toi, passionné de l'antibolchevisme, éternel absent, qui étais-tu vraiment ? Romancière, Marie Chaix est née à Lyon en 1942. Elle a obtenu le prix des Maisons de la Presse pour Les Lauriers du lac de Constance, biographie romancée de son père. L'Eté du sureau est disponible en Points. " Un récit sobre, pudique, bouleversant, une écriture salvatrice. " L'Express

Par Marie Chaix
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

Albert et Alice

 

 

Il est entré en politique de toutes ses forces, quitte à négliger le reste de sa vie. À trente ans, une énorme soif d’agir le fait abandonner soudain le chemin facile, indiqué sans réplique possible par un père arrivé, épanoui dans la richesse, l’industrie, la Bourse et la Légion d’honneur.

En 1936, Albert occupe un important poste de direction aux usines Rhône-Poulenc du Péage-de-Roussillon. Brillant ingénieur chimiste, il traîne déjà un passé glorieux semé de force diplômes, galons, félicitations du jury et des patrons. Tu as tous les atouts, lui dit son père, ne gâche pas ta chance, tu feras carrière dans l’industrie.

Mais les grèves éclatent. Albert, qui ne s’est jamais préoccupé de politique, se découvre une vocation et prend parti. Inexorablement, il se voue à la droite, soutenu par sa foi de Français, de catholique, de fils de militaire. Il se passionne pour les questions sociales et se lance dans la lutte syndicale. Conscient que rien ne va plus dans l’industrie, il pense qu’il faut tout changer mais dans l’ordre et la discipline. Se battre pour les ouvriers qu’il aime – dit-il – et comprend, en face des patrons qui ne comprennent plus rien mais qu’il va convaincre – croit-il.

Quand les grèves paralysent peu à peu le secteur lyonnais, Albert est fier d’être à la tête du seul atelier qui résiste à l’assaut des « rouges ». Ceux-là, il les hait et déjà les combat dans l’enceinte de l’usine. Les bolcheviques, ces errants, ces fils tarés de la France qui ne jurent que par Moscou.

Son père, Louis, d’origine paysanne, passé du champ à l’usine, s’était retrouvé, au terme d’une belle carrière, à la tête d’ouvriers dont il avait un temps partagé le sort. C’était pour lui la seule façon de « bien tourner ». Tout naturellement, il avait engagé ses fils à poursuivre la même voie prometteuse d’une nouvelle bourgeoisie de parvenus pour qui les communistes étaient le diable.

Alice est tenue à l’écart de toute agitation. Son époux ne veut pas bousculer le quotidien feutré de sa petite famille. Elle élève ses trois enfants avec passion, installée dans une villa charmante aux balcons fleuris, avec bonne à tout faire et tout confort. Elle a son jour pour recevoir les femmes d’ingénieurs et rend les visites, élégante, sourire aux lèvres, robe de soie, souliers vernis. Elle est la belle et tendre épouse d’un jeune cadre plein d’avenir. Elle le suit dans ses méandres, l’écoute, accueille ses amis, les écoute, tremble souvent, pleure aussi mais l’aime aveuglément.

Lorsque les bruits de l’usine entrent dans sa maison, tracts injurieux, faucille et marteau, éparpillés devant la porte au matin frais, chuchotements dans son dos chez le boulanger, le pharmacien, lorsque les cailloux fusent contre les carreaux et que sourdent les menaces d’enlever un enfant de l’ingénieur anticommuniste, allié des patrons, Alice prend peur, ferme portes et fenêtres, pose quelques questions qui restent, d’ailleurs, sans réponse.

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01/04/2012 256 pages 7,20 €
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