#Roman francophone

La Petite Barbare

Astrid Manfredi

On l'appelle la Barbare ; elle a vingt ans. L'irréparable, elle l'a commis en détournant les yeux . Belle, elle aime les talons aiguilles et les robes qui brillent, les shots de vodka et les livres. Avant, les hommes tombaient comme des mouches et elle avait de l'argent facile. En prison, elle écrit sa rage de survivre, et tente un pas de côté. Comment s'émanciper de la violence sans horizon ? Rêver d'autres rencontres ? Et si la littérature pouvait encore restaurer la dignité ? La Barbare est un bâton de dynamite rentré dans la peau d'une société du néant.

Par Astrid Manfredi
Chez Belfond

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Editeur

Belfond

Genre

Littérature française

Tu t’en vas sans moi, ma vie Tu roules Et moi j’attends encore de faire un pas Tu portes ailleurs la bataille... 

Henri Michaux, Ma vie

À l’isolement. Ç’a été leur dernière injonction et ils l’ont respectée. J’y suis. Pas de télé, pas de Secret Story avec mes copines de poisse surexcitées par la gloire. Pas de beaux mecs à pectoraux et cervelle passée au hachoir.

Pourquoi est-ce encore moi qui paye ? Ils vont me laisser croupir là et autoriser les angoisses de la nuit à me jeter un sort. Je lancerai contre leurs murs de pisse mon cri de cheyenne sans tribu. Pourquoi est- ce encore moi qui paye ? Et l’autre, là, le dirlo, il va l’avoir sa cellule capitonnée, la visite de maman avec le cake aux fruits et les clémentines contre les carences en vitamine C. Moi, plus personne ne vient me voir. Il paraît que je l’ai bien cherché, qu’il ne faut pas jouer à faire la belle, qu’il aurait mieux valu plier et dire merci monsieur de me laisser entrevoir une chance d’habiter dans votre baraque à la lisière de rien. Allez vous faire foutre.

Vous ne couperez pas mes cheveux, vous me laisse- rez ma parure de fiancée de dessin animé, de Lorelei du pauvre. Pourquoi est-ce toujours moi qui paye ? Eux, à côté, rien. Les hommes, ils ne paient jamais. Ils esquivent. Lui c’est comme les autres : c’est sa faute, elle m’a envoûté. Comme si j’étais une sorcière, un fan- tasme qui se serait glissé en douce dans son cerveau. Le temps va être long. Pas de livres non plus, même plus les poèmes que j’aime bien parce que parfois, derrière les mots, il y a des choses puissantes.

J’ai vingt-trois ans, j’ai bouffé ma chance comme un hamburger trop gras et ce n’est pas la surveillante qui me filera du rab. « T’as plus que les yeux pour pleurer », elle me balance. Vieille vache moche avec son gros cul qui pue l’ennui dans son pantalon à trois sous. Mais je ne pleure plus, je suis devenue un bout du Sahara. Écœurée, laminée, épuisée mais pas hon- teuse. Peut-être pour le bourge, si, je n’aurais pas dû. Il avait qu’à porter autre chose que ces pompes à la con payées par papa. Et moi j’étais dans la spirale, les circonstances ont pris le dessus. Ça va être long, je n’ai plus qu’à m’inventer des potes imaginaires comme quand j’étais petite et que les deux losers s’affaissaient dans le canapé. « Pas de remise de peine », ils ont ajouté histoire de foutre un coup de pelle de plus dans mon espoir. Faudrait que je me dégote un juge, un col blanc qui sort son foutre tous les trente-six du mois. Un petit clin d’œil, ou alors le coup de la mèche qu’on écarte et voilà, in the pocket. Ils sont tous pareils, les hommes, putréfiés dans l’abandon, dans le manque d’amour, dans le film porno sous le manteau. Des meurtriers sans le courage du flingue. Et en plus il faudrait les respecter. Pourquoi ne pas les aimer tant qu’on y est ?

 

On ne dira jamais assez à quel point mater un mur toute la journée peut rendre fêlée, car une fois que t’as déchiffré les appels au secours du crépi tu te retrouves sur ton pieu face à une souricière. Rien à espérer sauf te raccrocher à des détails comme cette bande de lumière qui entre dans la cellule et dont la clarté sans accroc te propulse dans ton histoire. Et t’as beau te dire que tu préférerais être chez Zara et acheter des robes à faire chavirer les mecs des beaux quartiers, tu sais que le seul défilé auquel t’auras droit c’est celui des souve- nirs et de l’ennui. Il est midi, je mange des épinards en boîte et bois du café sans caféine dans une cellule de cinq mètres carrés où mon corps ne peut plus crier sa colère. Y a plus qu’à écrire, dire le pourquoi du comment qui fera mouiller ma psy, dire l’écrasante réalité et la banlieue qui fout des coups de Nike dans le rôti du dimanche.

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13/08/2015 160 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782714459435
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