À Bernard et à Jacques,
nos deux maillons de la lignée Solitude
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
Mark Twain
Avant-propos
Dans un de ses carnets, André Schwarz-Bart écrit : « Impression que toute vie laisse aussi peu de trace que si elle s’était déroulée dans l’imagination. »
Un voile de brume nimbe cette existence qui s’est silencieusement déroulée derrière le miroir. Cependant les traces existent bel et bien, et elles sont la raison même de cet avant-propos.
Quand l’ange de l’Histoire chante devant Dieu, il chante avec son propre chant, celui de son peuple, et il ne peut chanter qu’une fois. Paraît alors Le Dernier des Justes, avec le succès que l’on sait. Dans ses carnets de l’époque, cette note : « Il ne s’agit pas d’un roman sur la Shoah, mais d’un roman sur la nature humaine à propos de la Shoah. »
Autre fragment : « Tous les hommes sont mes semblables, quel que soit leur âge, sexe, race, temps historique, culture, etc. Et je suis le semblable de tous. Lâche, je suis le semblable des héros ; courageux, je suis le semblable des lâches. »
Nous nous sommes rencontrés courant 1959. Il avait remis au Seuil le manuscrit du Dernier des Justes, et avait déjà en tête le projet antillais. Je n’ai jamais su de quel pays venait l’homme que j’avais épousé. Était-il Juif ? Noir ? Français ?… Il débordait de partout, c’était une âme totale, éprise de l’Univers.
En 1967, paraît Un plat de porc aux bananes vertes. L’ange revient avec un chant nouveau, un chant à deux voix, que personne ne reconnaît, pas même Dieu. C’est l’histoire d’Un plat de porc aux bananes vertes, c’est l’histoire d’un blasphème… comme si nous avions inventé la vieillesse et la mort. C’est l’époque du no problemo, l’horreur est là : « Plaquer le masque de la vieillesse sur les visages présents. Arracher ce masque aux vieillards pour découvrir leurs visages passés. » Nous nageons alors dans le jeunisme : c’est l’air du temps.
Je ne détricoterai pas notre travail, et sur notre collaboration, je ne donnerai pas d’explication à ce qui s’est fait sans explication.
Les six volumes du cycle antillais étaient écrits, non pas tous dans leur phase terminale, mais ils étaient tous posés. À l’époque, j’écrivais Pluie et vent sur Télumée Miracle. J’étais en mal d’Ancêtre. Je ressentais une béance et notre histoire n’en finissait pas de me manquer. J’avais besoin de cette histoire secrète des vérités originelles, et j’étais moi-même incapable de l’écrire. Et c’est sur ce besoin absolu que la décision de publier La Mulâtresse Solitude a été arrêtée. Le livre paraît en 1972, et c’est une rupture dans le déroulement prévu du cycle. Il paraît à la grande époque de l’« intimité ethnique ». C’est le lynchage : le procès en légitimité. Un seul témoignage amical et chaleureux : deux lettres de Léopold Sédar Senghor. En voici un passage : « Le problème que vous posez dans votre roman est, à mon avis, le plus grand problème de cette deuxième moitié du XXe siècle : le problème de la symbiose des races et des civilisations. Malgré tous les progrès réalisés par la Civilisation industrielle, qui a pris naissance à la Renaissance ; à cause, précisément, de cette civilisation, le problème du métissage se pose – avec la surrection de la Négritude, la résurrection de la Judéité et de l’Arabité. […] Je suis sûr que cette symbiose est nécessaire à la Civilisation de l’Universel, qui s’élabore, présentement, sous nos yeux – si elle veut, véritablement, se réaliser. »
Extraits
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