La carte des mille mondes Tome 1

Finn était installé sur un toit du quartier Vendetou, les pieds se balançant dans le vide. Un labyrinthe de constructions se bousculaient sur la pente escarpée derrière lui, comme si elles cherchaient à regarder par-dessus son épaule.

Il était peut-être le maître-voleur des Quais Létemank, mais nul ne s’en doutait. Nul ne savait même qu’il existait un maître-voleur. Pour la bonne raison que, aussi important que soit le larcin, personne ne parvenait jamais à se souvenir de qui l’avait commis.

Jusqu’à aujourd’hui.

Maître-voleur, était-il indiqué sur la lettre, Résidence des Parsnickle, 17, passage de la Gouttière-qui-coule. Elle lui était bien destinée, et il l’ouvrit, les doigts tremblants d’excitation.

Elle commençait ainsi :

Cher maître-voleur. Et Finn se demanda quel genre de personne pouvait avoir des pensées si grandes qu’il lui fallait autant d’espace pour chaque mot. La lettre continuait de la sorte :

Le chemin de la mère conduit au foyer,

mais quelqu’un doit montrer la voie.

Je fixerai les détails de votre voyage,

mais il y a d’abord un prix à payer.

Dans le port, un navire qui ne mouille jamais

attend d’embarquer.

Rempli de trésors, dont les plus précieux

au secret sont conservés.

Scrutez le ciel étoilé pour trouver la chambre forte,

puis forcez le coffre pour trouver la clef.

Apportez-la au repaire des voleurs,

et prenez le reste en paiement,

Croyez bien que je suis

Quelqu’un qui se souvient de vous.

Juste à côté de la signature, une tache noire maculait la page blanche, comme si une goutte d’encre était tombée de la plume de l’auteur.

Le regard de Finn remonta vers le mot qui lui avait coupé le souffle et endolori la poitrine. Mère. Il ferma les yeux et revit les derniers moments qu’il avait passés avec elle.

C’était le seul souvenir qu’il avait d’elle.

Il ne devait pas avoir plus de quatre ans. Il se rappelait­ encore l’éclat doré des vagues que fendait la proue du navire, et les lumières qui dansaient sur la côte et escaladaient une haute montagne ténébreuse jusqu’au ciel nocturne étoilé.

– Les Quais Létemank, avait chuchoté sa mère, mais le bruit de l’eau avait noyé sa voix, de sorte qu’il avait entendu quelque chose comme la Clef te manque. C’est ta nouvelle maison.

Évidemment, Finn connaissait maintenant parfaitement les Quais ; il n’en était jamais reparti. Mais cette nuit-là, recroquevillé dans ses bras, blotti contre elle, il avait eu peur. Il ne savait plus précisément à quoi ressemblait sa mère. Il ne se rappelait que ses cheveux noirs lui tombant sur les épaules, le reflet de la lune dans ses yeux et le contour de son petit nez rond.

Et qu’il s’était senti en sécurité dans ses bras.

Il soupira. La toute dernière chose dont il se souvenait était qu’elle lui avait montré une étoile dans le ciel, plus brillante que toutes les autres.

– Quoi qu’il arrive, lui avait-elle dit, tant que cette étoile brillera, tu sauras que quelqu’un la regarde aussi et pense à toi.