#Roman francophone

Ma part de Gaulois

Magyd Cherfi

C'est l'année du baccalauréat pour Magyd, petit Beur de la rue Raphaël, quartiers nord de Toulouse. Une formalité pour les Français, un événement sismique pour l'"indigène". Pensez donc, le premier bac arabe de la cité. Le bout d'un tunnel, l'apogée d'un long bras de fer avec la fatalité, sous l'incessante pression énamourée de la toute-puissante mère et les quolibets goguenards de la bande. Parce qu'il ne fait pas bon passer pour un "intello" après l'école, dans la périphérie du "vivre ensemble" — Magyd et ses inséparables, Samir le militant et Momo l'artiste de la tchatche, en font l'expérience au quotidien. Entre soutien scolaire aux plus jeunes et soutien moral aux filles cadenassées, une génération joue les grands frères et les ambassadeurs entre familles et société, tout en se cherchant des perspectives d'avenir exaltantes. Avec en fond sonore les rumeurs accompagnant l'arrivée au pouvoir de Mitterrand, cette chronique pas dupe d'un triomphe annoncé à l'arrière-goût doux-amer capture un rendez-vous manqué, celui de la France et de ses banlieues. Avec gravité et autodérision, Ma part de Gaulois raconte les chantiers permanents de l'identité et les impasses de la république. Souvenir vif et brûlant d'une réalité qui persiste, boite, bégaie, incarné par une voix unique, énergie et lucidité intactes. Mix solaire de rage et de jubilation, Magyd Cherfi est ce produit made in France authentique et hors normes : nos quatre vérités à lui tout seul !

Par Magyd Cherfi
Chez Actes Sud Editions

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Genre

Littérature française

L’exception française c’est d’être français et de devoir le devenir.

 

 

Longtemps j’ai aimé qu’on me dise :

— Magyd, écris-nous quelque chose ! Un truc qui tue, mets-nous le feu ! On s’ennuie.

Surtout les filles de mon quartier, qui savaient mon écriture inflammable et solidaire. J’aimais dégommer les mecs de ma cité qui me le rendaient bien. Je les croquais en verbe, ils me retournaient la bouche à coups de savate. Les filles, elles voulaient que j’écrive un incendie. Être leur pyromane me chauffait les neurones. Interdites de sorties je devenais leur passe­port pour les étoiles.

— Écris la légende des quartiers.

Tout le monde aimait ça, que j’invente une “histoire”. D’histoire on n’en avait pas. Ma mère, les filles, les copains, un seul cri : Écris…

— Un truc qui tue !

Comme on dit au djinn “exauce mon vœu” ou à la fée “fais-moi apparaître la plus jolie princesse”. On me sollicitait de partout pour un petit bonheur pépère. J’étais dans ma cité comme un magicien des mots et m’en léchais la plume. Les copains aussi me demandaient des poèmes pour accrocher une voisine et quand ils revenaient me supplier pour deux ou trois autres quatrains, je la jouais poète pris dans les tourments de l’inspiration, je me prenais la tête à deux mains :

— Attendez, il faut que ça vienne.

J’en profitais pour leur soutirer les commentaires de la coquine ou la teneur de l’échange qui pouvait être un premier baiser ou la permission d’une caresse en des endroits bénis par la secte “garçons”.

— J’y ai tété le sein, la tête de ma mère !

Et je bandais tranquille, un peu pour la scène décrite et beaucoup pour la sensation de ce pouvoir en ma possession et dont je profitais par procuration.

La procuration, ô terre bénie dans laquelle j’ai atterri en douceur, très tôt.

J’étais mou, affable et grassouillet, ça vous donne trois raisons de ne pas visiter la jungle des hommes. Je me dis quand j’y pense que le secret de l’écriture est là. En écrivant on sublime forcément cet effroi qu’est le réel. Pour moi c’en était un au point d’éprouver une jouissance à l’enfermement. Je m’isolais pour réinventer un monde dans lequel j’aurais pas été moins qu’un prince… charmant, musclé et pas con.

À défaut d’être “mec”, je me suis fait plume et ma haine, plutôt que des poings, s’est servie d’un stylo.

Par bonheur je n’étais pas que flasque et éteint, j’étais aussi fâché et j’ai donc envoyé mon écriture à la salle de gym. J’habitais la banlieue, ça dit tout.

Pourtant j’avoue pour avoir lu les “meilleurs” que j’étais à l’écriture ce que le mineur est au minerai, bien plus dans le concassage que dans l’épure.

J’en maudis encore le ciel, car écrire et être en colère auraient mérité un scribouillage hugolien. Rien de ça chez moi jusqu’à ce que j’assume ce qualificatif qui m’a hanté longtemps. Sympa.

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17/08/2016 256 pages 19,80 €
Scannez le code barre 9782330066529
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