— SID, JE TE PRÉSENTE FARIZA.
Sid lève les yeux. Megan se tient sur le palier de la cuisine, une main légère posée sur la tête d’une fillette vêtue d’un long T-shirt ample qui lui descend quasiment aux genoux. Ses pieds nus sont sales ; elle a les ongles des orteils mouchetés de lambeaux de vernis à ongles violet scintillant. Ses longs cheveux noirs bouclés sont emmêlés, comme ceux d’un caniche mal soigné. Un bracelet de perles entoure son poignet brun et menu. Elle a dû arriver dans la nuit, par le dernier ferry. Il n’est que sept heures, le jour se lève à peine. En été, Sid est rarement debout si tôt, mais aujourd’hui, il a promis à Caleb de l’aider à préparer le bateau pour la prochaine croisière de pêche.
— Salut ! Tu veux des Cheerios ? lance-t-il à la petite en désignant la boîte jaune posée devant lui sur la table.
Il se lève pour prendre un bol dans le placard.
Fariza tressaille et disparaît derrière Megan. Sid hausse les épaules et retourne à son journal. Ce ne sont pas les nouvelles qui l’intéressent, il ne les lit jamais. Il part du principe que si quelque chose d’important se produit – l’entrée en guerre du Canada, une nouvelle marée noire sur la côte, ou le divorce de Brad et Angelina –, son amie Chloé, qui habite juste à côté, le mettra aussitôt au courant. Chloé ne lit pas les journaux non plus. Elle consulte les actualités sur Internet : CNN, TMZ et le New York Times. « Les infos, c’est comme les œufs, il n’y a pas qu’une seule façon de les cuisiner », prétend-elle.
Ce que Sid aime dans le journal, ce sont les bandes dessinées. Et ce matin encore, il se pose les mêmes questions qui l’obsèdent depuis qu’il est en âge de déchiffrer une bulle : pourquoi la BD Family Circus est-elle encore publiée aujourd’hui ? Qui peut bien la lire ? L’apprécier ? Pourquoi les enfants de Family Circus ne vieillissent-ils jamais, comme dans For Better or for Worse ? Pourquoi sont-ils tous blancs ? Pourquoi leurs têtes ressemblent-elles à des ballons de football ? Sid déteste aussi Hippolyte et Clémentine. Et Blondie1. Il s’imagine que tous ces héros habitent la même banlieue sans intérêt, dans des maisons identiques. Le dimanche, les pères de famille tondent la pelouse avant d’allumer le barbecue pour brûler la viande du dîner. Sid sourit. Et si les mères bourgeoises et coincées de ces familles parfaites trompaient leurs maris avec le facteur ? Ou devenaient lesbiennes ? Ou abandonnaient leurs enfants à des grands-mères indignes, accros au loto ? L’un des pères modèles pourrait plonger dans la dépression et se faire arrêter, après avoir braqué une supérette à main armée, vêtu d’un tablier à fleurs et chaussé de talons hauts appartenant à l’une de ses ex. Un autre se confesserait dans ses Mémoires, deviendrait riche, et mourrait d’une crise cardiaque, au lit avec deux amants mineurs déguisés en Batman et Robin…
— Qu’y a-t-il de si drôle, Sid ?
Extraits
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