pour Aloyse,
compagnon d’aventure
depuis un quart de siècle
« Il va au sanctuaire, élève les autels indiqués, amène quatre superbes taureaux au beau corps et autant de génisses dont la nuque n’a point encore été touchée par le joug. Puis, quand la neuvième aurore se fut levée, il offre un sacrifice aux mânes d’Orphée, et retourne dans le bois sacré. Alors, prodige soudain et merveilleux à dire, on voit, parmi les viscères liquéfiés des bœufs des abeilles bourdonner qui en remplissent les flancs, et s’échapper des côtes rompues, et se répandre en des nuées immenses, puis convoler au sommet d’un arbre et laisser pendre leur grappe à ses flexibles rameaux. »
– VIRGILE,
Les Géorgiques, IV, v. 549-558, traduction de Maurice Rat
« [Synthèse :] coordination, en hauteur et en largeur, de l’ensemble des réseaux (électriques, informatiques et de climatisation…) dans les plafonds des couloirs, les vides des faux plafonds, les gros matériels dans leurs locaux, les luminaires, les ventilo-convecteurs… Toutes questions de gaines et tuyaux qui vont en se compliquant au fur et à mesure de l’avancement du chantier. »
– JEAN-FRANÇOIS FORSSE,
Une tour
RUMEN
(24 décembre 2015 – 31 janvier 2016)
J’ai fait un cauchemar.
C’est l’été sur le périphérique et le temps est horriblement chaud, je suis à pied dans les bouchons. Les voitures avancent à deux à l’heure, pare-chocs contre pare-chocs. Des deux-roues zigzaguent péniblement entre les files, raclent contre les carrosseries. Dans les habitacles, les gens sont atones et comme assoupis. Quand je les regarde un peu longuement, ils se tournent vers moi, me fixent sans expression. Le soleil, en surplomb, me cuit. Je vois la route déroulée devant moi, qui escalade le ciel en courbe, douce, et les voitures coulées dedans, collées à la chaussée, jusqu’à se fondre dans la lumière.
Je trouve une trappe sur le bas-côté, un tunnel de section carrée aux parois de fer-blanc, assez large pour y avancer à quatre pattes. Je progresse vite, c’est confiné et frais, je suis au calme, j’entends des bruits d’eau au-dessous et autour de moi, comme ces échos quand on garde la tête longtemps sous la surface, dans la baignoire.
En fait ce n’est pas un tunnel, c’est un boyau, je veux dire un intestin, un tube digestif. Les bruits sont des gargouillis de digestion, des remuements d’entrailles. Je comprends que le tunnel risque de se contracter d’un moment à l’autre, de m’écraser, et comme je ne peux pas faire demi-tour, j’essaie d’accélérer vers l’avant, je me sens lent et laborieux. J’aperçois une issue, je m’échappe, je sors, je suis dehors.
Je tombe de la bouche de ma sœur. Je roule au sol avec une immense sensation de soulagement. J’ai envie de rire, de tout lui raconter.
Ma sœur est assise à une table. Elle est gigantesque, vue de là où je suis. Son visage est un masque de joie calme et terrible. Nous sommes dans une grotte, taillée à sa mesure. Nous sommes dans un temple. Ma sœur est si vaste qu’elle occulte tout le fond de la pièce, et je me rends compte que je ne peux pas lui parler, parce que mes lèvres se sont soudées entre elles.
Extraits
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