#Imaginaire

Latium Tome 1

Romain Lucazeau

Dans un futur lointain, l'espèce humaine a succombé à l'Hécatombe. Reste, après l'extinction, un peuple d'automates intelligents, métamorphosés en immenses nefs stellaires. Orphelins de leurs créateurs et dieux, esseulés et névrosés, ces princes et princesses de l'espace attendent, repliés dans l'Urbs, une inéluctable invasion extraterrestre, à laquelle leur programmation les empêche de s'opposer. Plautine est l'une d'eux. Dernière à adhérer à l'espoir mystique du retour de l'Homme, elle dérive depuis des siècles aux confins du Latium, lorsqu'un mystérieux signal l'amène à reprendre sa quête. Elle ignore alors à quel point son destin est lié à la guerre que s'apprête à mener son ancien allié, le proconsul Othon. Pétri de la philosophie de Leibniz et du théâtre de Corneille, Latium est un space opera aux batailles spatiales flamboyantes et aux intrigues tortueuses. Un spectacle de science-fiction vertigineux, dans la veine d'un Dan Simmons ou d'un Iain M. Banks.

Par Romain Lucazeau
Chez Editions Denoël

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Genre

Science-fiction

Et comme le fœtus se forme dans l’animal, comme mille autres merveilles de la nature sont produites par un certain instinct que Dieu y a mis, c’est-à-dire en vertu de la préformation divine (…) il est aisé de juger de même que l’âme est un automate spirituel, encor plus admirable ; et que c’est par la préformation divine qu’elle produit ces belles idées, où nostre volonté n’a point de part, et où nostre art ne sauroit atteindre.

LEIBNIZ, Théodicée, III, § 403

 

 

À Benjamin,

 

Ici, du moins je l’espère,

Un récit que je te ferai

 

 

PROLOGUE


Les neutrinos ne sont pas grand-chose : bien moins que le battement d’ailes d’une mouche de la planète originelle, ou qu’une bouffée de gravité issue de la rencontre paresseuse de deux poussières dans l’espace. À peine plus que le frétillement diffus du vide, matrice éternelle des particules les plus exotiques. Des fantômes sans corps, presque dépourvus de masse et de capacité d’interaction avec la matière ordinaire. Leur quasi-inexistence explique aussi leur vélocité, égale, voire, selon certains, supérieure à celle de la lumière. Issus de la souffrance que fut l’enfantement du monde, ou jetés sur les routes de l’univers par l’accouplement forcé de myriades d’électrons et de protons dans une étoile en cours d’autodestruction, ils ne feront jamais que passer, jusqu’à la dispersion glacée qui marquera la fin de toutes choses.

Qu’un flux de neutrinos traversât la Nef constituait presque un non-événement. Elle ne se trouvait pas là pour dresser des notices nécrologiques d’étoiles, ni pour scruter les granularités du fond cosmologique. À vrai dire, ses fonctions supérieures éteintes, elle dérivait depuis de longs siècles d’exil dans les confins du bras spiralé — là où, loin du cœur civilisé de l’espace épanthropiqueI, de rares étoiles naines scintillaient faiblement. Mais la Nef était tout de même là, dans l’attente que quelque chose arrivât, avec la patience infinie des machines et, surtout, équipée d’une débauche d’appareils de détection. Parmi ceux-ci, un dispositif controuvé, conçu pour créer des signes ténus et indirects du passage de neutrinos.

Il consistait en une goutte de plusieurs centaines de millions de tonnes, faite d’un hydrocarbure liquide, plus transparent encore que l’eau la plus pure — une sphère maintenue en l’air par la combinaison de sa propre inertie et de la microgravité, au milieu d’une fosse elle-même placée dans une soute vaste, silencieuse et obscure.

En traversant ce milieu, les neutrinos polarisèrent chaque atome rencontré, ce qui créa l’équivalent lumineux d’une brève onde de choc. Ce fut très discret, peut-être une lueur, un pâle halo bleuté. Une rétine animale n’en aurait rien perçu.

Cela suffit cependant aux capteurs photosensibles, milliers d’yeux tapissant les murs métalliques — espions de ce sérail corpusculaire.

De concert, ils s’ébrouèrent et pépièrent une alerte de routine, transmise en temps réel au logiciel en charge de leur supervision. Celui-ci prit connaissance des faits avec la plus circonspecte prudence. Lui-même n’était qu’un modeste veilleur de nuit, une toute petite pensée, un simple noèmeII. Il avait pour support le réseau nerveux local, un ensemble quasi biologique qui courait, comme les racines d’un arbre, dans les murs de cette zone de la Nef. Il ne consommait presque pas d’énergie, et son opiniâtre surveillance n’en était que plus discrète. Ses capacités cognitives présentaient de nombreuses ressemblances avec celles d’un mammifère inférieur : mieux valait ne pas disposer d’une conscience de soi très développée lorsqu’on était destiné à demeurer isolé, l’attention concentrée sur une machinerie silencieuse, pendant des siècles. Sa seule fonction consistait à traquer, dans les flux captés par les appareils de détection, des structures artificielles, des codes et des langues, ou toute autre manifestation d’intention ou d’intelligence.

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03/10/2016 449 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782207133026
9782207133026
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