UNE TOUCHE PLUS CLAIRE dans le ciel. Une pointe d’ocre dans le noir. Les couleurs sont comme pressées sur la toile. Des falaises pourpres qui tournent au vert et dans les mêmes tons, les personnages. Seuls les contours font ressortir leurs silhouettes.
J’adore peindre. J’ai l’impression à chaque fois de plonger dans la toile. Ce n’est plus un simple carré de lin posé dans la salle d’arts plastiques, mais le monde qui m’entoure. Les voix s’assourdissent en un murmure. Au lycée, en général, faire abstraction des autres est difficile. Ils sont toujours là. Mais quand je peins, tout disparaît. Ce qui a ses avantages et ses inconvénients : je me sens bien, mais je suis tellement absorbée par ce que je fais que ne me méfie plus de rien. Je sursaute quand ma sœur, surgissant derrière mon dos, me prend soudain dans ses bras et me hurle à l’oreille :
— Quelle artiste, Elsaaaa !
Peut-être qu’elle n’a pas parlé si fort que ça. Mais mon cœur a bondi brusquement dans ma poitrine et c’est comme si elle avait crié. Je me dégage par réflexe :
— Tu m’as fait une de ces peurs !
Lena me regarde en battant des cils. Ses paupières sont fardées de vert.
— C’est trop tentant de te voir hypnotisée, là, avec ton pinceau suspendu en l’air, explique-t-elle. T’es toute mignonne et je me sens obligée de…
— … de venir tout gâcher ?
— Ouais ! rétorque-t-elle. Il est l’heure, de toute façon.
Je jette un œil à l’horloge accrochée au-dessus de la porte : 9 h 57, déjà. Le cours d’arts plastiques s’arrête toujours quand on est en plein travail. Surtout maintenant qu’on fait de la peinture à l’huile, alors que Mattias, le prof, avait dit que ce ne serait sans doute pas possible. Un quart d’heure à peine semble s’être écoulé depuis que j’ai posé les premières couleurs sur ma palette ! Si seulement les maths pouvaient passer aussi vite…
— Je viens d’apprendre quelque chose, reprend Lena. Quelque chose qui va te plaire.
Je revisse le bouchon du bleu de cobalt, puis cherche du regard celui du tube de peinture noire. Lena, impatiente, se penche vers moi.
— T’entends ?
— Qu’est-ce qui devrait me plaire ? dis-je d’un ton détaché, tout en continuant à chercher.
— Il s’appelle Vincent ! s’exclame Lena.
Elle me dévisage, attendant visiblement de ma part une réaction, mais j’ignore de quoi elle parle. Et je ne trouve pas ce fichu bouchon.
— Qui est-ce qui s’appelle Vincent ?
Je m’accroupis pour voir s’il n’aurait pas roulé quelque part.
— Le prof de théâtre ! répond Lena. Allô ?!
Suis-je bête. Bien sûr qu’il s’agit de ça.
Le théâtre, moi j’aime assez, mais c’est surtout le truc de Lena. Ma sœur est faite pour monter sur les planches. Depuis qu’elle a appris que le budget des ateliers servirait à faire venir un professeur de théâtre à l’école, elle n’arrête pas d’en parler. Au point que j’ai oublié qu’il devait arriver aujourd’hui.
Extraits
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