« BONNE NUIT, MON CHÉRI »
La nuit quand on est seul et malade on a peur. Du vent qui fait trembler les fenêtres et rampe en bas des tours, dehors. La grande machine de l’hôpital est en panne. L’insomnie s’écrase sur le rideau de fer métallique qu’on a baissé avec des manivelles, pour ne laisser aucun espoir d’aube, pour qu’on ne voie plus rien du ciel.
Si l’un ou l’une qui vous aime est assis sur le fauteuil près du lit, si de temps à autre on peut dire : tu es là, la nuit recule et on a moins froid.
Il y a des femmes qui articulent, en refermant la porte de la chambre : bonne nuit mon chéri. À qui parlent-elles, aux portes, à ceux qui errent encore dans les couloirs ? Appel à témoins. Entendez bien que je l’aime et que c’est à regret que je l’abandonne, mon chéri, à la nuit. Il est huit heures du soir, il faut partir. C’est la règle.
La règle n’est plus affichée, elle s’est dissoute dans le vide grandissant des couloirs désertés par les créatures en blanc.
Le vent en bas des tours va pouvoir régner sur la nuit. La bonne nuit.
Mais il n’y a pas qu’elles. Il y a de grandes dames partout, des femmes qui se lèvent et enjambent l’infranchissable sans effort apparent. Celles-là ne disent rien, elles restent. Je les aime.
Un jour je balayais le sol de la chambre où mon père avait été isolé, pour le protéger, j’imagine, des microbes, parce qu’il avait atteint le point approximatif du chemin où l’on va de la vie vers la mort.
Il y avait une semaine que ça durait. On nous avait donné un lit de camp, nous ses enfants on y dormait chacun à notre tour et le matin celui qui n’avait pas dormi là amenait à mon père un petit déjeuner comme il les aimait, je ne me rappelle plus comment on faisait pour lui préparer ses œufs à la coque.
Aucune des dames qui faisaient chaque jour le ménage dans les chambres ordinaires n’avait passé le seuil de cette chambre-là. On patinait sur un sol gluant, la salle de bains n’était pas fraîche.
Ce jour-là j’avais un masque blanc sur la bouche, un balai et une serpillière à la main. Le médecin-chef entra. Il passait régulièrement, seul. Un grand médecin, disait mon père qui l’aimait. Il ne fut pas mécontent de lui dire : regardez ma fille, elle lave par terre le sol de votre chambre stérile avec un masque blanc sur la figure.
Le grand médecin sourit. En Afrique, fut sa réponse, les familles font ça depuis longtemps, elles campent près de l’hôpital et préparent la nourriture de leur malade. Elles veillent. Dans votre famille, vous ne semblez pas étrangers à ce genre de pratique.
Mais vous pouvez enlever votre masque, madame, vous respirerez mieux
C’était il y a vingt-cinq ans.
Il ne faut pas dire de mal de l’hôpital. Tous ceux qui ont écrit pour le faire avaient raison. Mais on n’en est plus là. On est en Afrique. Sans disposer de leur civilisation, de leurs familles sans limites, de leur tendresse. Pour leur misère, ça vient.
Extraits
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