Pour mes amis les profs : Flore, Pascal, Philippe, Rachel, Tristan, Véronique et, surtout, la plus rock’n roll d’entre tous : May-lise.
Chapitre 1
Je m’appelle Jasper Meade.
J’ai treize ans.
Et je vais mourir.
Tout du moins, c’est la première pensée qui me vient à l’esprit lorsque ce colosse à la barbe blanche brandit son maillet au-dessus de ma tête, prêt à l’abattre. Et tout, absolument tout autour de moi me laisse présager du pire : les tables renversées, la chaise projetée contre le tableau et à moitié enfoncée dans le mur, les hurlements stridents de mon professeur de physique qui résonnent dans le couloir et surtout, surtout, la malveillance dans le regard de l’homme qui me fait face. J’ai dressé une main devant moi dans un ultime réflexe. Mes doigts me paraissent si fins. Je pourrais presque en rire, si la situation n’était pas aussi dramatique. La barbe du colosse est impressionnante, blanche et… fleurie. Un sourire se dessine à travers les boucles, ou plutôt un rictus. Il prend son temps, savoure l’instant, comme s’il s’agissait d’une gourmandise.
Et moi, je tremble de tous mes membres, songeant aux derniers mots que je vais prononcer. Que je vais devoirprononcer. J’ai lu dans un livre il y a bien longtemps que c’était un droit accordé aux condamnés. Mes dernières paroles pourraient être « non ! » tout simplement, juste pour signifier à mon agresseur que je ne suis pas du tout d’accord avec ce qu’il s’apprête à faire. Ou « adieu la vie », mais j’ai peur que ça sonne faux. Le temps paraît filer à toute vitesse. Alors que je me résous à opter pour un simple « non ! », le colosse à la barbe fleurie me coupe dans mes pensées. Sa voix est sèche, comme un éboulement de rocailles le long d’une pente pierreuse :
— Il y a quelque chose au fond de toi que je cherche.
— Quoi ?
Ma voix n’est qu’un filet, et là, je n’ai pas eu besoin de réfléchir aux mots que j’allais utiliser. C’est sorti tout seul.
Quelque chose au fond de moi ? Je hausse les épaules. Je ne vois pas trop ce qu’il pourrait chercher au fond de moi. Peut-être parle-t-il d’une qualité que je possède et qu’il m’envie ? Cela me rend encore plus perplexe. Je n’ai à mon sens aucune qualité particulière. Des défauts, en revanche, j’en ai en pagaille.
J’hésite à en faire la liste au colosse à la barbe fleurie. Je pourrais lui parler du fait qu’il m’arrive de mentir. Je pourrais lui avouer que je suis toujours en retard. Lui révéler que j’ai souvent la flemme. Et lui confier mon plus grand plaisir : crapahuter sur les toits de Paris à la nuit tombée. Il est probable qu’après de telles confessions, le colosse abaisse son arme et me demande d’un air ahuri :
— Mais comment font tes parents ?
Mais je ne dis rien, et lui se contente de répéter :
— Il y a quelque chose au fond de toi que je cherche.
En y réfléchissant bien, j’ai peut-être un défaut qui pourrait lui plaire : je ne prends jamais rien au sérieux. Certains le considèrent même comme une qualité. Comme une vision du monde et de la vie légère, libérée.
Extraits
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