À Guillaume et Violaine Leyte,
mes très chers amis de toujours.
À leurs enfants Apolline et Geneviève.
Et à toi, Christina.
Alain fait semblant de dormir, je le sais. En quittant l’appartement je claque la porte, volontairement, pour lui montrer que je ne suis pas dupe. Il sursautera. Minables représailles, bien sûr, mais cela me soulage.
Puis je m’arrête, je me tiens droite, au garde-à-vous, les mains le long des hanches, mon sac en bandoulière. J’inspire et j’expire à fond. Catherine qui pratique le yoga m’assure que c’est efficace contre le stress… Il est vrai que ses stress à elle ne doivent pas être très violents. Ses enfants sont grands. Elle n’a plus grand-chose à faire… Alain m’énerve. Cette nuit, il dormait sans couverture, en caleçon. Son torse blanc et poilu ressemblait à un vieux marbre strié de veines noires. Cela me dégoûte. Il suait. Il ne dormait pas. Il savait bien que moi non plus. On ruminait chacun de notre côté en trempant nos oreillers. L’appartement est irrespirable. Pendant la nuit, les murs exsudent une mauvaise fièvre, la chaleur accumulée pendant la journée. Cela dure depuis au moins deux semaines.
Je viens de prendre ma douche et je transpire déjà. Mes mains sont moites. Je les essuie contre ma jupe. Rien n’y fait. J’ai mal à l’estomac. Le ventre me brûle comme avant une colique… Un goût acide dans la bouche. Mauvaise haleine. Je dois déjà puer. Même si je me suis brossé les dents pendant cinq minutes pour la fraîcheur de la pâte mentholée… Il me reste un chewing-gum. Je le prendrai tout à l’heure, là-bas.
Rien que de penser à « là-bas », je me sens soudain plus fatiguée, et les pulsations de mon cœur s’accélèrent.
« Là-bas », immenses immeubles dressés comme des barreaux, et dedans ces milliers d’alvéoles. Dans l’une d’elles, il y a moi, bouffée de l’intérieur, toute la journée…
Je me dis : « Je n’y arriverai pas. » Je sais pourtant le contraire. Dans une minute, tout au plus, mes jambes se mettront en route, obéissant à la Sophie travailleuse qui n’écoute pas la Sophie épuisée, qui va crever si cela continue. Restons encore une minute, même si, déjà, j’ai envie d’y aller.
La cage d’escalier sent la vieille poussière et l’encaustique, comme dans les librairies de livres anciens où Alain m’emmène le samedi. Pas un bruit dans l’immeuble. Impression de fraîcheur. Il est sept heures. Il n’y a que moi pour partir « là-bas » si tôt. Je ne peux pas m’en empêcher. Il me semble qu’en arrivant parmi les premiers, j’empêche que ma situation ne se dégrade davantage. Je voudrais rester ici. Je me précipiterais dans le salon, je m’y allongerais. Je dormirais tout de suite. Je n’aurais qu’à fermer les yeux… Mais cette nuit, j’avais beau les fermer, le sommeil ne venait pas. Je pensais à Alain, au bureau, à Florence Stirl, à ce qu’elle a dit sur les enfants. À Texmore aussi.
Texmore et Lionel.
Extraits
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