#Roman étranger

Or

Audur Ava Olafsdottir

"Je n'ai pas touché la chair nue d'une femme - pas délibérément en tout cas -, je n'en ai pas tenu une seule entre mes bras depuis huit ans et cinq mois, c'est-à-dire depuis que Gudrun et moi avons cessé de coucher ensemble, et il n'y a aucune femme dans ma vie, en dehors de ma mère, mon ex-femme et ma fille - les trois Gudrun. Ce ne sont pourtant pas les corps qui manquent dans ce monde et ils ont assurément le pouvoir de m'émouvoir de temps à autre en me rappelant que je suis un homme." Sans plus de réconfort à attendre des trois Gudrun de sa vie - et inspiré par sa propre mère, ancienne prof de maths à l'esprit égaré, collectionneuse des données chiffrées de toutes les guerres du monde -, Jonas Ebeneser se met en route pour un voyage sans retour à destination d'un pays ravagé, avec sa caisse à outils pour tout bagage et sa perceuse en bandoulière. Ör est le roman poétique et profond, drôle, délicat, d'un homme qui s'en va, en quête de réparation.

Par Audur Ava Olafsdottir
Chez Zulma

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Editeur

Zulma

Genre

Littérature étrangère

À toutes les victimes inconnues, infirmiers, enseignants, serveurs, poètes, écoliers, bibliothécaires, électriciens.

Et aussi à J.

 

 

La formation d’une cicatrice est une phase normale du processus biologique lorsque se referme la lésion subie par la peau ou un autre tissu à la suite d’un accident, d’une maladie ou d’une intervention chirurgicale. Là où l’organisme ne parvient pas à rétablir l’exacte texture du tissu lésé, s’en forme un nouveau dont la texture et les propriétés diffèrent de celui, intact, qui l’entoure.

 

« Le nombril est notre point central, notre milieu, autant dire le centre de l’univers. C’est la cicatrice d’une fonction qui n’est plus. »

 

(www.bland.is)

 

 

I.

Chair

 

 

II.

Cicatrices

 

 

31 MAI

 


Je sais bien que j’ai l’air ridicule, tout nu, mais je me déshabille quand même. J’enlève d’abord mon pantalon et mes chaussettes, puis je déboutonne ma chemise, laissant apparaître un nymphéa d’un blanc éclatant sur ma chair rose, sur le côté gauche de la cage thoracique, à une demi-lame de couteau du muscle qui pompe huit mille litres de sang par jour, je termine par mon caleçon. Dans cet ordre. Ça ne prend pas longtemps. Me voilà nu, debout sur le parquet, devant la femme, tel que Dieu m’a fait, avec quarante-neuf ans et six jours de plus. Non que mes pensées aillent vers Dieu en cet instant précis. Il y a encore trois lattes de parquet entre elle et moi, du pin rouge de la forêt environnante, laquelle est parsemée de mines explosives. Chaque planche mesure dans les trente centimètres de large, sans compter les interstices, je tends la main, tâtonnant dans sa direction comme un aveugle qui cherche des points de repère, j’approche le bout des doigts de l’enveloppe extérieure de son corps, la peau. Un rai de lune caresse son dos par la fente des rideaux. Elle fait un pas vers moi, j’avance sur une latte qui grince, tandis qu’elle aussi tend la main, ajuste sa paume contre ma paume, ligne de vie contre ligne de vie ; je sens aussitôt un afflux tumultueux dans ma carotide, une pulsation dans mes genoux et mes bras ; je sens le flot sanguin se répandre dans mes organes. Il y a du papier peint à motif de feuillage sur le mur au-dessus du lit de la chambre numéro onze de l’Hôtel Silence et je me dis que demain je poncerai le parquet avant de le cirer.

 

 

I.

Chair

 

 

La peau est l’organe le plus étendu du corps. Celle d’un homme adulte mesure environ deux mètres carrés et pèse approximativement cinq kilos. On parle plutôt de cuir ou de couenne au sujet des autres vertébrés.

 

 

5 MAI

 


La table du Salon de tatouage de Tryggvi est couverte de petits flacons de verre contenant de l’encre de toutes les couleurs et le jeune homme me demande si j’ai déjà choisi une image, ou si j’envisage plutôt un motif personnel ou un symbole.

Son corps à lui est entièrement couvert de tatouages. J’observe le reptile qui serpente jusqu’à son cou pour se lover autour d’une tête de mort. L’encre irrigue tout son épiderme ; le haut du bras maniant l’aiguille est cerclé d’un triple fil de fer barbelé.

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trad. Catherine Eyjólfsson
05/10/2017 240 pages 20,00 €
Scannez le code barre 9782843048067
9782843048067
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