Première partie
La rue de Paradis
En automne
Le bord des feuilles entaille mon cœur
Un seul arbre fleurit dans l’absence
Irrigué par les murmures de ma mère
Un coin vide
Il est quatre heures du matin. En descendant de l’avion, je regarde le ciel. Parmi toutes les lumières qui éclairent l’aéroport Charles-de-Gaulle flotte un croissant de lune rouge. En Syrie, c’est l’heure où ma mère se réveille. Où elle sort dans le jardin faire ses prières.
Voit-elle la même lune que moi ?
L’adresse m’a été donnée par un ami qui travaille pour une association d’aide aux Syriens. Me voilà aspiré dans le dédale du métro. Des dizaines de personnes montent et descendent si vite que je pense un moment à une catastrophe, un accident ou une rixe. Ce sont tout simplement des gens pressés. Au bout de quelques instants, mes pieds courent eux aussi, comme animés d’une vie propre. Autour de moi, des panneaux, des flèches, des mots auxquels je ne comprends rien. Des bribes d’une langue que je ne connais pas. Dans ma main, une petite feuille avec l’adresse où je me rends. Cette adresse, c’est une chambre de bonne, rue de Paradis.
Je trouve un coin vide. Me rabats contre le mur. Regarde passer près de moi des gens de toutes nationalités, tandis que me reviennent dans ce chaos les raisons qui m’ont fait venir à Paris.
Comment j’ai imaginé cette ville.
Comment je me retrouve là dans une réalité qui n’est pas la mienne.
La terre natale
— Où est ton fils ? On le trouvera, même s’il est parti sur Mars.
Dans le désordre, le bruit des coups, le commandant hurle sur mon père. Celui-ci se relève, le dos contusionné.
La veille de Noël, les services secrets sont venus chez moi, à Al-Qutayfah, petite ville au nord de Damas. Ils ont fouillé toutes les chambres.
Je n’étais pas bien loin, à Homs. Le lendemain, mon oncle m’a téléphoné pour me mettre en garde.
J’ai compris qu’Al-Qutayfah était pour moi une terre morte.
Le visage de l’exil
Mon visage disparaît dans le miroir. À Homs, un médecin du réseau est en train de se charger de ma transformation. Il a déjà masqué le grain de beauté sur ma joue, changé la couleur de ma peau, celle de mes yeux, ma coupe de cheveux. À mesure qu’on me couvre de maquillage, qu’on me tond le crâne, que des lentilles vertes donnent à mon regard un reflet étranger, je découvre une nouvelle apparence qui me plaît davantage. Je me trouve beau. Je souhaite l’espace d’un instant être né avec ce visage. Qu’il soit vraiment le mien et non pas celui d’un personnage créé pour passer les postes de contrôle entre Homs et Damas.
L’assiégé
En mars 2012, je vis dans un grenier. Le plafond, lorsque je suis couché sur le matelas, est à un mètre et demi de ma poitrine. Cela fait trois mois que je me cache à Damas, changeant régulièrement de logis, impuissant alors que la Révolution arabe bat son plein. Les inspections incessantes rendent très périlleuse la situation des militants. J’apprends, par l’appel d’un ami libéré de prison, que je suis plus que jamais recherché par les services secrets : ce n’est plus Homs, Al-Qutayfah ou Damas qu’il fallait fuir, mais la Syrie.
Extraits
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