Le câble Wikileaks intitulé « The Googlisation of France » permet une vue d’ensemble, et un certain recul, sur les rapports d’amour et de haine du géant américain avec le gouvernement français sur la question de la numérisation des livres.
Le 26/08/2011 à 13:09 par Clément Solym
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26/08/2011 à 13:09
Et plus particulièrement sur la position changeante du Ministre de la culture Frédéric Mitterrand. Enfin par amour et haine, ne faudrait-il pas plutôt entendre intérêts commerciaux ?
Quand Google devint une menace pour l’éditionLorsque Google lança son projet de recherche de livres Google Book Search en 2004, et numérisa des milliers de titres français conservés dans les bibliothèques américaines, la multinationale devint de facto une menace pour le secteur de l’édition en France. Le groupe La Martinière (qui possède les éditions du Seuil), le Syndicat national de l'édition (SNE, qui regroupe 530 éditeurs), et la Société des gens de lettres (SGDL) avaient porté plainte en juin 2006.
Bataille gagnée pour la France puisque le 18 décembre 2009, la cour interdit Google d’utiliser les œuvres françaises et condamna l’entreprise à verser 300 000 euros de dommages et intérêts. Pas grand choses comparé au 15 millions initialement réclamés.
Mais les choses ne firent qu’empirer en août 2009, lorsque le gouvernement français annonça un projet de partenariats public-privé équilibrés possibles avec Google Livres pour la numérisation sa collection. Ces négociations avaient provoqué l’ire de nombreuses personnalités du secteur de l’édition, dont le président du groupe Eyrolles, Serge Eyrolles, qui les avait même qualifiés de « viol culturel ».
Bien étrange alors que l’on se souvient de la virulence avec laquelle l’ancien président de la BNF Jean-Noël Jeanneney avait combattu la firme américaine dans un essai intitulé Quand Google défie l’Europe. Numériser d’accord, mis avec Google, non. La principale raison ? Les fonds, le budget, l’argent ! La numérisation de la collection coûterait entre 50 et 80 millions d’euros alors que le Centre National du Livre ne la finance qu’à 5 millions, et Google avait proposé gracieusement de numériser l’ensemble des œuvres en échange de l’exclusivité de l’indexation sur le Net pour la recherche, rappelle Libération.
« En une nuit, Google passa du moteur de recherche préféré de tout le monde au symbole d’un capitalisme américain vorace et d’insensibilité culturelle » souligne Wikileaks. Le ministre de la culture Mitterand désigna alors l’ancien patron de télévision Marc Thessier pour établir un rapport sur la numérisation du patrimoine culturel français. Il demanda 753 millions d’euros soient prélevés du « Grand Emprunt » pour financer la numérisation des œuvres françaises.
Mitterand retourne sa veste ?
Wikileaks explique que la position de Mitterrand devint par la suite étrangement plus favorable envers Google. Il rencontra en décembre 2009 David Drummond, vice-président et directeur juridique de Google et accepta de visiter les bureaux de Google à Mountain View au mois de mars suivant. Selon les employés de Google, Mitterrand a affirmé ne pas être anti-américain et évoqua l’idée que Google pourrait avoir un rôle à jouer dans le projet de numérisation financé par le Grand Emprunt.
Wikileaks souligne l’étrangeté de ce changement d’attitude alors que Mitterrand avait tenté de réunir en novembre ses homologues européens contre la numérisation commerciale des œuvres européennes et qu’il était également derrière la décision de l’UE de créer un comité de sage pour établir un plan de numérisation du patrimoine de l’UE.
Le site analyse ce changement de bord comme étant une conséquence de la décision du gouvernement français d’investir des milliards dans le numérique, ainsi que de la volonté de Google de créer de l’emploi en France. En effet, Google avait engagé un prestataire français pour la numérisation, « Scanning Lyon » afin de numériser environ 500 000 livres de la bibliothèque de Lyon.
La culture française numérisée
Mi-décembre 2009, Nicolas Sarkozy dévoilait le plan du Grand emprunt et annonce qu’environ 4,5 milliards d’euros seront consacrés au numérique. Il ajouta alors que la France ne se ferait pas voler son héritage par « une grande multinationale, même si elle est amicale, importante ou Américaine ». Or, au même moment, le président de la BNF Bruno Racine annonça à la presse «Tout le monde a peur de Google mais tout le monde l'utilise au moins 10 fois par jour. Google est le seul à pouvoir numériser les livres par millions. Il est vrai que c'est une puissance considérable et c'est aussi, pour les jeunes générations, la porte d'entrée du savoir. De toute façon, une discussion avec Google est nécessaire et indispensable, mais de là à signer un accord il y a encore un pas à franchir. Ce sera une décision politique.» indique le Figaro.
En décembre, David Drummond de Google rencontrait Patrick Zelnick, désigné par Mitterrand pour conduire une mission sur le développement de l’offre culturelle en ligne et sur la rémunération des créateurs et des entreprises des industries culturelles pour la diffusion de leurs œuvres sur Internet. Les éditeurs français lui avaient alors demandé de taxer les publicités Internet pour compenser les pertes subies par la numérisation de leurs publications par Google. Le géant américain avait affirmé que Zelnick ne semblait pas enclin à faire passer une telle taxe. Il mentionna par ailleurs que l’autorité de la concurrence française pourrait reprocher à Google sa position dominante sur le marché. Selon Wikileaks, le conseiller de presse de Mitterrand, Vincent Peygrenne, accusait cependant Google de fraude fiscales puisque le siège européen de la firme est installé en Irlande, où les charges d’impôts sont parmi les plus faibles d’Europe.
La France n’a pas dit son dernier mot. La plateforme Polinum, Plateforme Opérationnelle pour le Livre Numérique, affirme pouvoir rivaliser Google dans les trois ans à venir et espère conquérir une grande partie du marché européen. Elle se définit comme une plateforme collaborative de recherche et développement pour la numérisation et la valorisation des fonds patrimoniaux, industriels et informationnels. Une initiative française qui s’attaque clairement à Google, alors que la BNF a finalement préféré confier à Microsoft l’indexation des œuvres libres de droits de sa bibliothèque numérique, Gallica, sur le moteur de recherche, Bing.
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