En reprenant le bar-glacier-patisserie familial, qui offrait durant le confinement un service de livraison de glaces à domicile, Lorenzo a bousculé les habitudes. Depuis un an qu’il est gérant du Gentilini (situé à Palazzuolo sul Senio, commune de Florence), il s’est volontairement débarrassé de son meilleur client. Maintenant, il assure avoir la conscience tranquille…
Le 30/08/2020 à 08:53 par Nicolas Gary
Publié le :
30/08/2020 à 08:53
« Je ne voulais pas être complice de tout cela. Je ne voulais pas gâcher la vie de qui que ce soit. La dépendance au jeu est une maladie grave, qui touche non seulement les joueurs, mais également leur famille », indique Lorenzo.
Et pour cause : dans le bar se trouvait un de ces bandits manchots. Une machine à sous qui incitait les parieurs à se lancer dans une course frénétique. Jouer, encore et encore, jusqu’à tout perdre.
Selon l’agence des douanes et des monopoles (Agenzia delle Dogane e dei Monopoli), sur l’année 2017, les dépenses en jeux de hasard et de pareilles machines s’élevaient à 758 € par habitant. Une somme.
« J’ai vu trop de gens se ruiner. Ceux qui ont perdu 500 euros en quelques heures. Ou encore, d’autres qui, une fois sans argent, ont fait venir un ami, pour ne pas perdre le temps investi, et aller, entre-temps, retirer de l’argent au guichet automatique pour continuer à jouer. »
Évidemment, reconnaît-il, la disparition de la slot machine a entraîné une perte de revenus non négligeable. Un argent qui aurait d’ailleurs été utile au sortir du confinement, et pour la reprise de l’activité. « Mais cela n’a aucune importance, car le soir je m’endors la conscience tranquille. »
Dans la ville, d’autres commerçants ont, bien avant lui, fait le choix d’éliminer cet objet de racket légal. Sauf que Lorenzo est allé plus loin. En décembre 2019, quelques mois après avoir ouvert, il a décidé de louer un espace attenant à son bar, et de le transformer en bibliothèque, ouverte au public.
Là où se trouvait la machine à sous, on découvre des étagères peuplées de bouquins — avec des tables et des chaises, pour lire tranquillement. « Les premiers livres, je les ai ramenés de chez moi. D’autres nous en ont fourni par la suite, progressivement. » Et les clients ont fini par s’habituer à lire, en prenant leur café ou petit déjeuner matinal.
Cette expérience de bar-librairie totalement improvisée s’est répandue dans la ville. Et alors que l’Italie est sortie de son confinement, les habitués ont retrouvé le chemin de leur bibliothèque. Certains, parmi les plus assidus, ont même retrouvé le marque-page de la lecture qu’ils avaient en cours.
La bibliothèque compte des thrillers de Carlo Lucarelli, des livres d’aventures, de fantasy, et de nombreux romans. La Divine comédie a sa place et le livre favori du patron : Un homme parmi les loups de Shaun Ellis (trad. Marie de Prémonville, Pokcet). « Bien que ce soit mon livre préféré, j’ai décidé de le donner pour que tout le monde puisse le lire. Même si je m’en suis séparé à contrecœur », assure-t-il avec le sourire.
Sur les réseaux, nul n’aurait pensé à lui reprocher ce choix. « Avec le temps, même les joueurs vous remercieront », indique un autre commerçant. « Les revenus auraient été là, représentant un salaire supplémentaire. Sauf que, définitivement, cela ne me semblait pas honnête », reprend Lorenzo.
Lorenzo Naldoni, 31 ans, a remporté son pari : faire disparaître la dernière machine à sous que son grand-père Zeio avait ouvert en 1965. Un choix éthique que sa mère, qui codirige l’établissement avec lui, a amplement validé. D’autant plus que des visiteurs de la région passent prendre un café, et repartent avec un livre, qu’ils ramèneront une fois achevé.
via La Repubblica, In Toscana
illustration Yamaguchi先生 CC BY SA 4.0
Commenter cet article