Tout prix littéraire digne de ce nom, particulièrement en période de rentrée, est rattaché à un haut lieu de la gastronomie. Le Grand Prix des Enquêteurs ne déroge pas à la règle : le restaurant Guy Savoy, situé à la Monnaie de Paris, accueillera les jurés et le lauréat 2020 ce mardi 15 septembre. Avec un menu très polar…
Le 14/09/2020 à 13:51 par Nicolas Gary
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Publié le :
14/09/2020 à 13:51
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Un chef ne passe pas tout son temps avec sa brigade : Guy Savoy assure modestement, ne « pas être un grand lecteur : je lis un peu moins de livres que j’ai de doigts aux mains ». Diantre. Avec un genre de prédilection, qui l’a logiquement conduit à accepter de devenir l’hôte des jurés du Grand Prix des Enquêteurs.
« Le polar, j’y suis arrivé par San Antonio : Frédéric Dard est devenu un ami, avec lequel j’avais des relations fortes. La ville de Bourgoin nous rapprochait [l’auteur y est né, le chef y a passé son enfance et son apprentissage, Ndlr], ainsi que la Suisse : j’ai des origines helvètes, et Dard y avait une propriété, à Bonnefontaine (Fribourg) », nous raconte Guy Savoy.
Alors, assez logiquement, quand on lui demande de bâtir des ponts entre la gastrononomie et le polar, il se délecte par avance. Trois livres, trois recettes associées : en avant !
« Je vais revenir sur le lauréat du prix 2019, Pour seul refuge de Vincent Ortis. C’est l’histoire d’un juge qui a condamné un Indien pour viol et torture. En guise de recette, je vous propose quelque chose qui n’existe probablement pas : une Oie rôtie à l’indienne. De la loi à l’oie, le glissement m’amuse. Et pour la farce, j’envisagerai des pommes entières, avec de la compote, des petits morceaux de noix ou de châtaignes. Et du curry, pour la note indienne, qui se marierait très bien avec la pomme et l’oie. »
Diablement appétissant...
« Ensuite, je vais revenir à Dard, avec l’un de mes favoris : San Antonio chez les Gones. Bon, les gones, c’est de l’argot lyonnais pour désigner les enfants, alors il faut quelque chose de typique de la région. Si vous le voulez bien, je vous propose donc un Gras double à la lyonnaise. C’est du Dard, par essence : un plat dont la préparation n’a rien de sophistiqué, et qui se retrouve principalement dans la cuisine de la région. Et c’est délicieux. »
Sans aucun doute.
« En dernier, je resterais chez Dard — pardon, mais vraiment, San Antonio, c’est une passion : j’ai la collection complète, et dans ses romans, je retrouve une atmosphère singulière, avec des personnages que j’identifie parfaitement. Une ambiance qui m’est familière, en fait… »
Le polar, ce sera La rate au court-bouillon, sorti en janvier 1965, le 58e de la série. « Quand j’entends court-bouillon, pour moi, le pot-au-feu s’impose. Voire le Pote au feu, et Frédéric aurait adoré ce jeu de mots. Dans cette recette, on retrouve un peu de son univers, où tout le monde baigne dans un même monde, se mélange… »
Stop, chef : il n’est pas encore midi, et on en a déjà l’eau à la bouche !
« Ah, mais vous m’avez lancé sur San Antonio en premier », rétorque-t-il hilare. « Il faut que je vous dise : mon premier restaurant à Paris, rue Duret, est cité dans trois ou quatre des romans de Dard. En fait, ses personnages allaient souvent manger chez Lasserre ou Guy Savoy. Et que le commissaire San Antonio aille dans mon restaurant, que j’avais ouvert en 1980, en le mettant sur le même plan que Lasserre, qui était une référence, c’était un honneur. »
Comme pour l’édition 2019, Guy Savoy a réservé aux jurés de cette année un repas qui fait écho au roman choisi. Rappelons que ce prix a été créé par les éditions Robert Laffont et le Figaro Magazine, en partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie. Plus de 150 manuscrits d’auteurs jamais publiés leur sont parvenus en début d’année, suite à leur appel à textes, et à la fin, il ne peut en rester qu’un.
Qui sera publié ce 17 septembre dans la collection La Bête noire. Avec une spécificité : les jurés réunissent l’ensemble des compétences requises pour une enquête policière, du juge au commissaire, en passant par le découpeur, etc. NCIS, donc, mais en version littéraire.
Sans trahir le nom du lauréat 2020, qui sera dévoilé à 14 h ce 15 septembre, Guy Savoy nous met les papilles à l’envers.
« En entrée, on aura Brume, fonds marins et crustacés, qui font écho à la région où se déroule le roman. Ce sera suivi d’un Saint-Pierre comme un clam chowder, là encore, pour un clin d’œil géographique », détaille le chef.
« Ensuite, parce que c’est la marque de fabrique de notre établissement, une Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et beurre de truffe. C’est hors du livre, mais je ne voudrais pas que les invités n’aient pas le plaisir d’y goûter… »
Le plat principal restera sous silence, s’excuse-t-il, « de peur de trop vous en dévoiler sur l’auteur. Mais personne ne devrait être déçu ! » Enfin, pour clore les agapes, un clin d’œil au genre en général : « Ce sera un gâteau au chocolat, que j’ai logiquement baptisé Série noire. »
Après un tel menu, difficile de ne pas se sentir pousser des ailes — ou des nageoires. Mais Guy Savoy en revient toujours à San Antonio, et son goût pour les bons repas. « Frédéric aimait tout. Il avait un problème avec les oignons, mais cela tient surtout aux dommages collatéraux », se souvient-il avec un sourire.
En revanche, si les joies de la table étaient à l’honneur, c’est au vin — le château d’Yquem plus particulièrement — que l’écrivain rendit le plus bel hommage selon le chef. « Il a écrit cette Apothéose du goût, en préface d’un livre sur Yquem, un texte magnifique pour les papilles et l’esprit. »
Ainsi, écrit Dard, « à chaque gorgée, il se passe quelque chose qui appartient à l’extase ». Baptisé « nectar », plus que vin, parce qu’il existe « des vins », mais « Yquem est unique ».
Et Savoy de conclure : « Ici, Frédéric nous invite à déguster Yquem, à le célébrer. Et pour ce faire, il faut être trois : la bouteille, un ami, et soi. Mais encore faut-il que ce soit un ami d’un grand millésime. »
Laissons le dernier mot au romancier : « Car l’Yquem, est aussi lumière. De la lumière bue ! […] les mots ne peuvent plus suivre. Il n’en existe pas, en aucune langue, pour exprimer le plaisir infini qui consent à s’offrir. […] Vous regardez l’ami qui, en face de vous, éprouve les mêmes sensations. La force de la communion vous lie. […] Vous lisez vos propres expressions sur le visage de votre vis-à-vis. Il est devenu le miroir qui reflète votre extase. »
Pour retrouver cette préface, délectable, il faudra plonger dans le livre de Richard Olney, Yquem, sorti en 1985…
photos © Brian Leatart et Carine Polito
2 Commentaires
Jujube
15/09/2020 à 20:32
Bravo à Guy Savoy et Nicolas Gary! Quelles bonne humeur et belle imagination chez tous deux: c'est magnifique, ça ravigote le coeur!
Merci à Guy pour avoir choisi sa voie dans le talent, l'humour et l'amitié. Merci à Nicolas pour rapporter de Guy sa voix joyeuse avec telle brillance!
On a faim davantage et on en redemande!
Coam
07/01/2021 à 18:02
Un livre à lire absolument... pour les adeptes de la gastronomie. <a href="https://www.lecoam.eu/cours-de-degustation-du-vin-a-paris-decouverte-des-aromes-en-atelier">Atelier dégustation du vin</a>