Fin mai, Le Temps diffusait la tribune de Sébastien Meier, jeune romancier particulièrement remonté contre l’industrie du livre en Suisse. Le débat, qui a été vif en France, portait sur la rémunération des auteurs dans le cadre de manifestations littéraires. En France, la question avait été réglée lorsque le Centre national du Livre avait conditionné son soutien aux festivals, au fait que les auteurs soient rémunérés. Y’a-t-il le feu au lac ?
Le 09/06/2016 à 09:06 par Nicolas Gary
Publié le :
09/06/2016 à 09:06
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Micro-mafia », disait Sébastien Meier, pour évoquer l’industrie, considérant que tous ses acteurs « vivent du livre. Sauf l’auteur qui doit, quant à lui, se contenter de ses droits ». Il dénonçait également le cas du Salon du livre de Genève : « On offre déjà une visibilité, estimez-vous heureux ; voilà le message.»
A contrario, l’exemple français était salué, devant une attitude manifestement mercantile de la part des organisateurs de salon. «On dit promouvoir l’auteur, mais l’auteur romand est en fait un bouche-trou de programmation, un alibi pour réclamer des subventions publiques. La prétendue visibilité qu’on lui offre devrait être considérée comme un paiement légitime ? De qui se moque-t-on ? Ce sont les auteurs romands qui financent ce salon, grâce à leur présence bénévole !»
Ce débat été originellement venu avec une tribune publiée par la présidente du Salon du livre de Genève, Isabelle Falconnier, dans Le Temps. « Sous une apparente simplicité, la question de la “rétribution” des auteurs pour des “lectures”, telle que soulevée par l’Association des autrices et auteurs de Suisse, ne veut rien dire, ou plutôt tout. [...]De quels auteurs parle-t-on ? Dès lors que l’on entre dans la logique de la monétisation de leur présence se pose la question de la valeur desdits auteurs. Une manifestation peut être prête à débourser gros pour bénéficier, en le faisant venir de loin, de la présence d’un nom susceptible de lui assurer la venue d’un large public.
À l’inverse, certains auteurs sont prêts à vendre père et mère pour accéder à certaines manifestations ou émissions. Entre ces deux extrêmes, une vaste déclinaison de la logique de l’offre et de la demande. Si une manifestation, après avoir investi massivement dans l’infrastructure, l’organisation, la communication, se retrouve avec à sa charge l’entier de la rémunération des auteurs en sus des frais de déplacement et de logement, pourquoi investirait-elle cet argent dans des auteurs qui ne lui amènent pas de public – paradoxalement ceux qui ont le plus besoin de cette plateforme assurant rencontres, ventes, réseau et visibilité ? »
Le PDG des librairies Payot, Pascal Vandenberghe, a souhaité répondre à cette intervention, dans une tribune que nous reproduisons ici dans son intégralité (publiée précédemment dans Le Temps).
L’article de Sébastien Meier, auteur romand, publié le 1er juin dans Le Temps, était titré « Adresse à la “micro-mafia” de la chaîne du livre romande ». Il détaillait cette appellation ainsi : « [...] La chaîne du livre, micro-mafia huilée composée des libraires, éditeurs, directeurs de salon, fonctionnaires (sic), diffuseurs, etc. [...]». Qu’on me permette ici de lui répondre, en tant que membre actif de cette « micro-mafia ».
Tout d’abord, cette appellation insultante non seulement dénote une méconnaissance complète de l’économie du livre, mais elle reflète aussi un profond mépris pour tous les éditeurs et libraires qui ont choisi leur métier par passion tout en sachant pertinemment qu’en faisant ce choix leurs revenus seraient faibles et leur existence précaire durant toute leur vie professionnelle.
Concernant ensuite le fond de son article, on peut identifier deux sources à l’origine de la revendication actuelle de certains auteurs (pas tous) que leurs interventions dans des salons ou festivals du livre soient rémunérées.
La première est à chercher dans l’idée que se font ces auteurs qu’ils devraient pouvoir devenir des « professionnels » et ne vivre que « de leur plume ». Comme le souligne pourtant Sébastien Meier lui-même, même en France ou ailleurs, sur des marchés beaucoup plus étendus que la Suisse romande, les auteurs vivant exclusivement de leurs livres ne sont qu’une poignée.
Et cela a toujours été vrai. Mais en quoi cela est-il honteux d’avoir un travail rémunéré pour pouvoir écrire le reste du temps ? N’est-ce pas de l’ordre de la responsabilité individuelle (celle de l’auteur), que l’on voudrait, semble-t-il, transformer en culpabilisation collective (celle des « profiteurs de la micro-mafia » du livre) ? La réaction de ces auteurs contre cet état de fait en dit long sur leur rapport à l’écriture, non plus considérée comme un plaisir d’abord pour soi qui ensuite trouvera peut-être, d’abord un éditeur (c’est déjà une chance...), ensuite un public (ça arrive...).
Cette revendication exprime une frustration que l’on peut entendre, certes. Mais ces salons et festivals sont pourtant l’occasion, surtout pour des auteurs encore en quête de notoriété, d’avoir accès à un public large et nouveau. Sébastien Meier parle du « [...] mépris des “petits auteurs” et [d’] une course au gigantisme mercantile », alors que c’est justement grâce à ce genre d’événement que les auteurs les moins connus peuvent bénéficier de la rencontre avec un public attiré par des auteurs connus. C’est bien cette mixité qui est formidable et bénéficie surtout aux « petits auteurs », les « grands » pouvant s’en passer.
J’y décèle aussi les séquelles d’une rumeur que certains auteurs malintentionnés (les peine-à-jouir de la littérature romande) ont colportée dans les allées du Salon du livre de Genève cette année, répandant que certains auteurs connus, Français en particulier, étaient, eux, rémunérés. Or rien n’est plus faux. Certains auteurs, comme Luc Ferry par exemple, vendent très cher des conférences à des sociétés privées, banques, multinationales, etc. Cela contribue à leurs revenus, en complément de leurs droits d’auteur et autres activités. Mais, pour des salons du livre comme celui de Genève et autres manifestations de ce genre (les « grands débats » que nous organisons mensuellement à Genève et à Lausanne, par exemple), ni lui ni aucun autre ne perçoit la moindre rémunération.
La seconde source nous vient de France. Il faut d’abord savoir que les plus importants salons du livre et festivals en province sont en majeure partie financés par les collectivités territoriales et organismes d’État, quand ils ne sont pas directement l’émanation d’un projet municipal, départemental ou régional.
C’est le cas, par exemple, du Livre sur la place (Nancy), ou de Quai du polar (Lyon), auquel Sébastien Meier a été invité. Ce festival est financé à près de 70 % par des fonds publics : près de 50 % par la Ville de Lyon, 10 % par la région et près de 15 % par le Centre national du livre (CNL). Le CNL (financé par des taxes, comme à peu près tout en France...), justement, a annoncé l’an passé qu’il n’accorderait plus son soutien qu’aux salons et festivals qui rémunéreront les auteurs. Et, comme tout doit être réglementé dans ce pays, une grille avec les tarifs minimaux par type d’intervention a été imposée. Cela s’apparente en quelque sorte à un transfert de charge (ou à un chantage, selon l’angle de vue) : que les collectivités augmentent leur financement (par l’impôt) pour rémunérer les auteurs s’ils veulent que le CNL participe (grâce aux taxes qu’il perçoit).
Le directeur du CNL, Vincent Monadé, présent au Salon du livre de Genève cette année, a vanté les mérites de cette formule, proposant même que le CNL participe au financement dudit salon du livre si un système de rémunération des auteurs était mis en place. Je rappelle que le « n » de CNL est l’initiale de national, donc français ! Ce « geste », apparemment arrivé à l’oreille de certains auteurs romands, ne s’apparente-t-il pas à une forme de néocolonialisme ? Depuis quand cet établissement public français, qui vit des taxes qu’il perçoit en France, a-t-il vocation à intervenir en Suisse ? La question est ouverte. On aura compris quelle réponse j’y apporte personnellement.
Pour terminer, je voudrais alerter Sébastien Meier sur les conséquences qu’aurait une telle mesure si elle était appliquée de façon obligatoire et systématique : dès lors que les organisateurs des salons et festivals en Suisse seront contraints de rémunérer les auteurs, ils chercheront à amortir ce e dépense supplémentaire. Avant d’inviter un auteur, on vérifiera son « potentiel commercial ». Ce qui profitera aux « grands », qui seront invités parce que générant de fortes ventes compensant leur rémunération, et nuira aux « petits », vendant peu, dont la plupart ne seront peut-être plus invités. Ça s’appelle se tirer une balle dans le pied.
NdlR : dans le cadre du dispositif Vie littéraire, le CNL avait annoncé en juillet 2015 de « rendre obligatoire la rémunération des auteurs à partir de 2015 en accompagnant les organisateurs qui l’appliquent, avec un moratoire d’un an pour les autres ». Cette décision s’applique toutefois à différents cas, avec une grille de rémunération spécifique : les auteurs en dédicace n’entreront pas dans ce dispositif, de même que les universitaires qui publient dans leur champ de compétence, et sont déjà payés pour ce travail.
— les rencontres centrées sur le dernier ouvrage de l’auteur invité seront a minima rémunérées 150 € HT ;
— les rencontres nécessitant un temps de travail préparatoire seront a minima rémunérées 226 € HT (correspondant au tarif proposé par la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse pour une demi-journée) ;
— les lectures-performances de et par l’auteur seront rémunérées a minima400 € HT.
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