La relation au texte reste primordiale, que l’on travaille dans le monde numérique, ou dans celui de l’imprimé. Une fois ce point essentiel résolu, il importe de définir les méthodes de diffusion. L’éditeur Walrus vient d’opter pour une nouvelle approche, basée sur l’impression à la demande. Une réflexion qui va bien au-delà de la simple création d’objets-livres.
Le 18/06/2015 à 10:40 par La rédaction
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18/06/2015 à 10:40
Au commencement, il n’y avait que le numérique.
Quand Walrus a ouvert ses portes il y a bientôt cinq ans (wouhou !), nous ne voulions entendre parler que de pixels. La révolution promise arrivait enfin et il était temps pour une nouvelle génération d’éditeurs de proposer des choses nouvelles, dégagées des contraintes matérielles de stockage, de transport et d’impression. C’est ce que, à notre modeste échelle, nous avons essayé de faire (les copains de Numeriklivres et de Publie.net aussi, le trio gagnant des débuts). À l’époque, nous étions seuls sur le terrain de jeu. Les éditeurs historiques renâclaient à l’idée de tremper le petit doigt de pied dans la piscine, d’autant qu’elle n’était pas chauffée et à peine nettoyée. Mais une fois la jungle défrichée, tout le monde est arrivé pour jouer. C’est bien normal. Aujourd’hui, la plupart des livres imprimés sortent conjointement en numérique, ajoutant leur nombre au catalogue global de l’offre dématérialisée disponible. C’est le jeu.
Notre problématique, ainsi que celle de tous les pure-players, est simple : maintenant que la piscine est surpeuplée, comment surnager ? Comment rester à la surface, comment ne pas se faire piétiner par les géants, comment garder un peu de visibilité ? Déjà que ce n’est pas facile quand on est un indépendant, un indépendant en numérique a deux fois plus de mal à se faire entendre, et donc lire. Et on serait bien chagrinés de baisser le rideau uniquement pour un problème de visibilité, non ? D’autant que nous pensons être — sur notre créneau — à peu près les seuls à vous proposer des histoires inédites aussi déjantées, aussi « pulp et nerd », et qu’on n’a aucune envie d’arrêter de vous faire ce plaisir. Alors, comment faire ?
Weird China / CC-By via Flickr
La médiation numérique, en toute franchise, ce n’est pas ça. Se faire entendre des sites d’information spécialisés, c’est compliqué — et heureusement que les amis d’ActuaLitté sont toujours sur le pied de guerre pour donner un coup de pouce aux pure-players. Quant aux sites d’information généralistes, n’en parlons même pas. Nous sommes des petits Poucets, invisibles à leurs yeux. Il faut dire qu’il y a tellement de bouquins qui sortent qu’ils ne parviennent pas à séparer le bon grain de l’ivraie, c’est parfaitement compréhensible. Et puis il y a les blogueurs, sur lesquels nous avons toujours beaucoup misé à travers des partenariats. Mais eux aussi sont surchargés de lecture, et leur pile à lire ne cesse de grandir : les éditeurs historiques ont fini eux aussi par comprendre leur importance, et je comprends parfaitement — même si je le regrette — que les blogueurs se tournent vers eux plutôt que vers les petits éditeurs indépendants : c’est tellement plus tentant. Au point que beaucoup de blogueurs refusent maintenant de lire en numérique… triste constat, surtout quand on propose un catalogue comme le nôtre, qu’on n’est pas près de voir chez un éditeur « respectable » (oui, parfaitement, nous sommes irrespectueux ET « irrespectables »).
Alors on cherche, on se cherche, on réfléchit à des solutions pour sortir de l’ombre, pour se faire remarquer, et on constate que rien ne vaut le contact physique avec ses lecteurs (en toute amitié, bien sûr). Quand on est petit, il faut savoir se faire des amis. Et les amis sincères et fidèles, ça ne court pas les rues. Nous avons envie que nos lecteurs soient nos amis sincères et fidèles : nous voulons les dorloter, les chouchouter pour qu’ils nous dorlotent et nous chouchoutent en retour. Pour cela, nous avons imaginé une nouvelle ligne directrice : le numérique qui sort du bois pour aller à la rencontre de ses lecteurs, là où ils sont, dehors, dans le vrai monde d’où nous nous sommes trop longtemps exclus, pensant que le numérique nous permettrait de joindre tout le monde sans barrière.
Nous en sommes encore à la phase de test, parce qu’il faut que ça se rôde, mais on y arrive. Le but avoué est de donner à nos lecteurs l’envie de nous aider — de lire nos livres bien sûr, mais aussi de disséminer l’information autour d’eux, par les réseaux, mais aussi et surtout dehors, dans le grand bain, là où les gens vivent, marchent, dorment, etc. Pour nous sortir de ce carcan numérique, nous avons imaginé plusieurs choses.
Nous avons commencé par des extraits pliables. Après nous être cassé la tête sur la maquette, nous proposons désormais à nos lecteurs d’imprimer sur une feuille A4 en recto verso un petit extrait de certains de nos livres (pour l’instant la collection orange Pulp), à plier, couper et relier soi-même. Outre le côté travaux manuels « cours d’arts plastiques » très sympathique en soi (nous sommes aussi des fans de reliure traditionnelle), c’est une manière d’investir notre lecteur, de lui donner physiquement quelque chose à faire d’inhabituel et d’amusant pour pouvoir lire son extrait.
Impliquer le lecteur sur un autre niveau que le seul numérique (avec les extraits perdus au fond d’une liseuse ou d’un disque dur qui finissent par ne jamais être lus) est très important. Nous avons besoin de cela. De plus, ces mini-livres peuvent servir de supports de promotion virale : chacun est libre d’en imprimer plusieurs et de les semer comme des graines dans les halls de gare, les salles d’attente, les salles de classe, etc. C’est l’idéal que nous souhaiterions atteindre.
Ensuite, nous avons « hacké » le principe de la carte de visite pour fabriquer de petits supports de promotion destinés à nos premiers tomes gratuits. Ces petites cartes matérialisent le livre numérique, qui même gratuit prend une autre couleur, une autre densité. Il devient quelque chose que l’on peut donner, offrir, transmettre, collectionner même.
Grâce à son lien direct et à son QR-Code, cette carte fonctionne comme n’importe quel objet physique et est facilement diffusable/distribuable en librairie, en bibliothèque, dans la cour de récréation, etc.
À signaler aussi, les livres de la collection Pulp (en attendant d’étendre le principe aux autres titres importants de Walrus) sont désormais disponibles à l’impression à la demande (via le service Createspace).
C’est quelque chose de totalement nouveau pour nous, mais qui découle de cette même volonté de matérialiser nos ouvrages, de leur donner corps et existence dans le monde physique, parce que 95 % des lecteurs y sont encore cantonnés et que nous avons besoin d’eux pour consolider notre activité de découvreurs de talents.
Les livres ainsi imprimés, avec leurs couleurs éclatantes, sont vraiment de beaux objets dont nous sommes très fiers — surtout quand il s’agit de donner vie à des histoires aussi folles qui n’auraient probablement jamais trouvé leur place chez un autre éditeur.
Comme dit Neil Gaiman, l’ebook en tant que contenant est beaucoup de choses : il est une bibliothèque infinie, un gain de place, des possibilités de partage et d’annotations, etc., et c’est formidable. Mais à être un livre au sens papier du terme… eh bien le livre est encore ce qui se fait de mieux (logique, quoi).
Outre ces nouveautés axées lecture, nous avons décidé de creuser l’esprit de communauté Walrus en fabriquant des goodies via une petite boutique sur Spreadshirt qui permet d’acheter tee-shirts et mugs, mais aussi en faisant imprimer nos propres badges et nos propres autocollants. Ceux-là ne sont pas destinés à être envoyés ou disséminés : ils sont là comme autant de témoins de rencontres physiques, que nous voulons provoquer. Les badges se donnent de la main à la main, pour matérialiser un échange. L’édition, c’est une histoire d’amour entre les lecteurs, les auteurs et les éditeurs. Et la dématérialisation ne doit pas occulter cet aspect.
Quelles sont les étapes suivantes ? D’abord, nous aimerions creuser le principe de « carte-ebook » pour pouvoir être présents en librairie traditionnelle. C’est une étape essentielle. Je viens à titre personnel de la librairie et j’aimerais que les ouvrages de Walrus, bien que numériques, puissent s’y faire un nid. Les cartes sont une bonne manière de matérialiser un téléchargement payant par un passage en caisse, avec un fichier facilement récupérable ensuite depuis n’importe quel ordinateur ou smartphone. Nous aimerions également que nos livres soient présents en librairie au format papier, mais nous devrions pour cela trouver un distributeur et c’est en l’état actuel de notre croissance inenvisageable. Mais nous espérons que cette envie se concrétisera un jour. Enfin, nous comptons bien faire quelques festivals pour rencontrer nos lecteurs en chair et en os (et leur offrir quelques goodies).
Comme vous le voyez, il y a du pain sur la planche. Mais le Morse n’a peur de rien, et surtout pas de se faire des amis.
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