Comme d'autres milieux professionnels, l'édition n'échappe malheureusement pas aux cas de violences sexuelles et sexistes. La publication du livre Le Consentement de Vanessa Springora et la médiatisation de l'affaire Matzneff ont rouvert un dossier trop longtemps étouffé : des appels à témoignages de la Ligue des auteurs professionnels et de la CGT-SGLCE entendent changer la donne. Marion Doutreligne, correctrice et secrétaire à l'édition du Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), revient avec nous sur cet appel.
Marion Doutreligne : Cet appel à témoignages s'adresse à tous les travailleurs du secteur de l'édition, quels que soient leur métier et leur statut (auteur, salarié, intérimaire, prestataire, par exemple).
Marion Doutreligne : Non, mais on entend régulièrement des bruits de couloirs sur les lieux de travail. Nous sommes face à des situations d'emprise, avec un déséquilibre de pouvoir flagrant, dans un milieu très respecté avec des figures parfois placées sur un piédestal, au sein d'une société déjà patriarcale. La proximité et l'entre-soi du monde de l'édition expliquent aussi pourquoi il est très difficile de s'exprimer ou de se faire entendre sur ces sujets.
Marion Doutreligne : Nous envisageons de porter la question en commission paritaire (CPPNI, Commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation) dans la branche de l'édition, qui est en train de fusionner avec les branches de l'édition musicale et de l'édition phonographique, afin d'inscrire dans la Convention collective commune la protection des victimes de violences sexistes et sexuelles.
Marion Doutreligne : L'appel à témoignages du SGLCE a été salué par la Ligue des auteurs professionnels, qui avait déjà lancé un appel huit jours plus tôt, c'est d'ailleurs cet appel qui nous a poussés à lancer le nôtre : les actions ne sont pas disjointes, mais complémentaires, la Ligue des auteurs s'adresse aux auteurs, et nous nous adressons aux adhérents de notre syndicat, mais aussi aux non-adhérents qui voudraient témoigner de situations d'emprise qu'ils ont subies ou dont ils ont été témoins : les violences sexistes et sexuelles ne connaissent hélas pas de frontières...
Marion Doutreligne : Le monde de l'édition n'est pas le seul à se réveiller d'une utopie qui lui collait (mal) à la peau, nous voyons ces jours-ci des révélations dans le monde du sport (patinage artistique et équitation, notamment) : il est déplorable de constater que ces mondes que l'on pensait exceptionnels par leur degré d'exigence et leur aura culturelle ne préservent en rien de l'abus de pouvoir de certains, ce qu'a très bien dit Adèle Haenel dans l'interview qu'elle a donnée à Mediapart.
Un jeune qui veut "percer" dans ces milieux est fragile face à ceux qui ont du pouvoir. Pour en revenir à l'édition, Vanessa Springora dit dans le prologue du Consentement que maintenant elle se méfie des livres. Il faut que les nouvelles générations apprennent à se méfier des puissants des maisons d'édition, que la société apprenne à ne pas sacraliser les "grands noms" de la littérature, et que ceux-ci apprennent à ne pas abuser de leur pouvoir.
2 Commentaires
Fabienne
11/02/2020 à 09:57
Eh bien il y a du chemin à faire ! La "chaîne du livre", c'est toute une chaîne de complicité et d'arrangements entre "grands" ("grands" éditeurs, "grands" écrivains, "grands médias") et, ne nous le cachons pas, de très nombreuses librairies (y compris indépendantes) qui subissent les pressions de ces "grands" et tombent aussi dans le piège "notoriété = qualité = promo = ventes assurées". Ce monde totalement consanguin a malheureusement encore de beaux jours devant lui et fera tout pour empêcher les "petits" d'avoir un tant soit peu de visiblité.
Jujube
11/02/2020 à 20:51
Il y a donc un chemin à parcourir: bonne nouvelle. Comment l'emprunter? Commencer par où? Où ensuite? Quelles chaussures ou véhicules pour l'agilité stratégique? Quels compagnons, compagnes pour l'action? Quand? Où puiser le courage et la volonté de gagner le défi?
Ou resterons-nous confits dans la plainte, aussi momifiés que la plaie à combattre?