DOSSIER – Nous bouclons ce jour le projet entamé avec David Pathé-Camus, autour de l’agent littéraire, de sa fonction au sein de la chaîne du livre, et plus encore, une tentative modeste de mieux en définir le champ d’action. Cette entreprise fera date, d’autant qu’il n’existe que peu de littérature sur ce métier — à l’exception de l’étude de juin 2010 produite par Juliette Joste pour le MOTif.
Le 04/11/2019 à 08:53 par David Pathé Camus
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04/11/2019 à 08:53
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vanité des vanités et tout est vanité - pixabay licence
Merci à tous ceux qui sont intervenus dans les commentaires — parfois de manière extrêmement judicieuse —, et merci à tous ceux qui m’ont apporté leur soutien. Vous êtes nombreux à l’avoir fait. Cela m’a fait chaud au cœur – il ne va pas de soi de s’exprimer publiquement sur une profession réputée pour sa réserve et son quant-à-soi. Merci à Nicolas Gary et à toute l’équipe d’Actualitté de m’avoir accueilli. Comme vous le voyez, Nicolas est éditeur (de presse – Si, peu, si peu, NdlR...). Cela ne l’a pas empêché d’inviter un agent à s’exprimer dans ses colonnes.
Merci à Nadia Gosselin et à son Pigeon décoiffé pour avoir relayé ce dossier auprès de nos cousins canadiens francophones. J’espère que ceux-ci ne m’en voudront pas trop pour mes horribles anglicismes (le monde des agents a trop l’habitude de l’anglais). Si le Canada anglophone est bien loti en termes d’agents littéraires, ce n’est pas encore le cas de la Belle Province. Je croise les doigts pour que cela change.
Je voudrais également remercier, et rendre hommage, à mes mentors en édition. Ils sont au nombre de trois, et sont — cela ne vous surprendra guère : éditeur, auteur et agent. Il s’agit (par ordre de notre rencontre) de : Patrice Duvic, créateur de la célèbre collection Pocket Terreur, qu’il m’avait invité à codiriger avec lui en 1998. C’est à lui que je dois de travailler maintenant depuis plus de vingt ans dans l’édition, ce milieu où je m’étais bien juré, en 1990, de ne plus jamais remettre les pieds.
Ayerdhal, auteur de science-fiction et de thrillers, « parfois désigné comme “l’homme en colère de la SF française” » (Wikipedia), mais dont la gentillesse, le talent et l’indéfectible dévouement à la cause des auteurs m’ont toujours paru les qualités les plus évidentes. Je ne crois pas que la communauté des auteurs ait totalement pris la mesure de tout ce qu’elle lui doit.
Avec sa compagne — l’auteure et traductrice Sara Doke — et l’avocat Franck Macrez, Ayerdhal a initié le combat contre La loi sur les indisponibles (ReLIRE) — et par là même, fait preuve d’une meilleure connaissance de la PLA et des procédés de reproduction numérique que bon nombre de « professionnels de l’édition ». Sara, Yal, Franck, jamais je n’aurai assez de mots pour vous remercier comme il se doit, mais que cela soit quand même dit ici : « Merci à vous trois. Du fond du cœur. »
Et — last but not least — Anna Jarota, agent littéraire, dont j’aime à dire qu’elle est son propre adjectif. J’ai fait la connaissance d’Anna en 2009, alors que je travaillais à l’élaboration d’une collection jeunesse pour Robert Laffont. J’ai eu ensuite la chance d’avoir Anna comme agent. Si j’ai pu publier outre-Manche, en 2014, un roman graphique dessiné par Nick Abadzis, c’est à Anna que je le dois. Je lui dois surtout de m’avoir formé au formidable métier d’agent littéraire. Comme on dit : le peu que j’en sais, je le lui dois. Et si j’ai commis des erreurs, elles ne sont imputables qu’à moi.
J’aimerais vous inviter à lire (je n’ose dire « relire ») la « Lettre ouverte aux éditeurs et aux parlementaires » qu’Ayerdhal avait lue à Nantes, en octobre 2000, année où j’ai fait sa connaissance.
Cette lettre n’a rien perdu de son actualité, et il est fascinant de voir qu’il aura fallu 20 ans pour que ses idées, issues du monde de la science-fiction, infusent la quasi-totalité de la sphère éditoriale et littéraire. Ayerdhal y rappelait justement « [qu’il] faut au moins deux parties pour signer un contrat », et y évoquait déjà les avantages qu’un auteur pouvait à avoir à travailler avec un agent. C’est son avis, et le mien, bien sûr, et il n’appartient qu’à vous — auteur, éditeur — de voir si vous souhaitez travailler avec, voire devenir vous-même, un agent littéraire.
Enfin, je rappelle que ces articles ne sont qu’un témoignage, partage d’une expérience. Comme je le disais au tout début de ce dossier, il s’agissait avant tout de « poser certaines bases et de permettre le débat ». J’ai bien conscience que chacun de mes articles n’est qu’une infime lueur de la grande galaxie de l’édition, et que l’angle que j’ai choisi — celui des agents littéraires — n’en est qu’une des innombrables constellations.
Je n’ai absolument pas la prétention de détenir quelque vérité que ce soit, ni sur les éditeurs, ni sur les agents, et encore moins sur les auteurs, mais je sais ce que mon parcours atypique m’a permis d’apprendre au sujet de chacun d’eux. Comme tout un chacun, je tâtonne et m’efforce de continuer à apprendre. Que vous partagiez ou non mes idées, que vous soyez ou non un professionnel du livre, je me réjouis à l’avance des échanges que nous pourrons avoir au sujet du monde de l’édition.
Les livres sont inséparables du champ social, depuis l’étape du manuscrit jusqu’aux mains du lecteur, en passant par l’établissement du contrat, le travail sur le texte, le choix de la police de caractère, du papier, du type de couverture, du mode de commercialisation, etc. C’est tout cela qu’il faut prendre en considération quand on aspire à parler des livres ou de littérature. Vaste chantier, en effet, et qui ne saurait être mené par un seul.
Je n’oublie pas que j’ai été cet éditeur qui n’est pas irréprochable, cet agent qui n’est pas irréprochable, tout comme je suis, encore et toujours, et au grand dam de mes éditeurs, cet auteur (et traducteur) qui n’est pas irréprochable.
Quand on publie 76 000 livres par an (comme en 2017), et que la vie commerciale d’une œuvre peut s’étendre sur plusieurs décennies, les accidents de parcours sont inévitables.
Les éditeurs, qui ont souvent affaire aux ayants droit, savent bien que publier un livre signifie s’engager sur deux voire trois ou plus générations. Sur une telle durée, et avec une telle quantité d’ouvrages, il est mathématiquement impossible que des problèmes ne surviennent pas. Mais, comme je le dis souvent : « Le problème ce n’est pas le problème, le problème c’est comment on règle le problème. » D’ailleurs, plusieurs des incidents évoqués par moi dans mon article XVIII ont été réglés, à l’amiable : comme quoi, il n’y a pas de fatalité.
L’édition est une industrie à la fois de l’instant (imprimer vite, distribuer vite, commercialiser vite, vite faire remonter la recette, etc.) et au long cours : qu’elle ait ou non rencontré le succès au moment de sa parution, une œuvre met toujours des années, parfois des dizaines, à grandir, se ramifier et entrer en résonance avec le monde. Le travail commence souvent dans le silence d’une chambre, et peut se terminer sous les projecteurs. Mais peu importe les projecteurs, à vrai dire — ils sont anecdotiques et peuvent très bien ne s’allumer que le temps d’un livre, pour s’éteindre ensuite, définitivement, ou pas.
Seule compte l’œuvre, qui sera lue dans le silence d’une autre chambre, parfois à des milliers de kilomètres et à plusieurs centaines d’années du lieu et de l’époque où elle fut écrite, et dont elle portera le témoignage.
L’édition, comme les livres, reflète et influence la société. À l’instar de nos classes moyennes, les auteurs « middle list » tendent à s’étioler. Le gros des ventes est réalisé par un toujours plus petit nombre de titres, tandis que de plus en plus d’auteurs vendent de moins en moins.
À la manière des « pulp magazines » d’antan, les grands groupes se muent chaque jour un peu plus en « fournisseurs de contenus », et il est courant que des éditeurs soient eux-mêmes à l’origine de projets éditoriaux. Comme les producteurs de cinéma ou de télévision, ils commandent à des packagers ou à des « Uber-auteurs » des textes formatés pour répondre à une supposée demande du marché.
Le paysage éditorial évolue de telle manière que l’édition proprement dite (le fait de travailler sur un texte) n’occupe plus chez les gros éditeurs la place prépondérante qu’elle y occupait autrefois, ou qu’elle occupe encore chez les plus petits éditeurs – ceux qui n’ont ni services commerciaux, généraux, marketing, du numérique, des réseaux sociaux, des foires et salons, des études économiques, des cessions de droits, de relecture-correction, artistiques, relations libraires, expéditions, de la fabrication, comptabilité, ressources humaines, communication et relations média, direction juridique, pôle audio, réseaux de distribution-diffusion en propre, assistante et voiture de fonction.
Face à cela, il était important que les auteurs (mais certains éditeurs aussi) se rassemblent et s’organisent afin de mieux défendre leurs droits. Aujourd’hui, les auteurs font preuve, plus que jamais, d’un professionnalisme qui force le respect, et sont de plus en plus nombreux à souhaiter se faire représenter. Cela tombe bien : les agents sont également de plus en plus nombreux. Le fait d’avoir un agent ne sera plus un luxe réservé à une poignée d’auteurs avertis ou gros vendeurs.
À terme, je ne doute pas que la littérature et le monde de l’édition en bénéficieront. (Merci aux anonymes et aux moins anonymes qui s’engagent, donc.)
Au cours de la parution de ce dossier, plusieurs personnes m’ont demandé où je me situais. Pour ou contre les éditeurs ? Pour ou contre les agents ? Pour ou contre les auteurs ? Ceux qui me connaissent savent combien je me méfie de ces oppositions. Mais qu’il soit dit quand même ici, une bonne fois pour toutes, que pour moi (comme pour beaucoup d’autres) les choses sont — et ont toujours été — très claires : je ne suis ni pour les éditeurs, ni pour les agents, ni pour les auteurs.
Je suis tout simplement du côté de ceux qui m’ont aidé à grandir et m’ont accompagné tout le long de ma vie d’enfant puis d’adulte, et qui, quand leurs auteurs et ayants droit sont morts, n’ont plus qu’eux-mêmes et leurs lecteurs pour se défendre : du côté des livres.
Qu’ils soient écrits par des auteurs vivants ou morts, parus depuis des siècles ou à paraître, de science-fiction ou de littérature générale, pour la jeunesse ou de développement personnel, pièces de théâtre ou romans policiers, recueils de poésie ou récits de voyage, etc. Les livres, les livres, les livres — et tous ceux qu’ils relient.
Précédemment : Agent, au service d'autrui
Dossier - Profession : agent littéraire, un métier mal connu
4 Commentaires
Bénédicte Brun
04/11/2019 à 19:51
Merci pour ce passionnant dossier!
Catherine Secq
05/11/2019 à 08:18
Merci David pour cette série d'articles que j'ai trouvés vraiment intéressants, instructifs et en même tant assez effrayants. Aujourd'hui auto-éditée, je souhaite pouvoir un jour passer par le circuit classique de l'édition pour éditer mes livres mais vos propos me rappellent combien ce choix est engageant et peut être lourd de conséquences, y compris à long terme. Passer par un agent littéraire, finalement, oui, c'est sans doute une sage précaution. En tout cas j'ai envie d'y réfléchir. Merci encore. Catherine
Sab
05/11/2019 à 11:48
Bonjour,
Qu'entendez-vous par Uber-auteur ?
C'est un mot que l'on m'a déjà lancé à la figure en me traitant d'Uber-poète. J'ai vraiment du mal avec ce terme qui pour beaucoup semble avoir une connotation négative. :bug:
Pathé Piumi
07/11/2019 à 15:11
Bravo, mon David, je suis fière de toi. Tu es un homme courageux.
maman