La pandémie a causé des pertes importantes dans le secteur éditorial, avec toutefois une exception de taille : le crowdfunding. Ces initiatives ont augmenté au premier semestre 2020, déterminant le succès de structures comme l’Italienne Bookabook, qui, entre crowdfunding et communauté virtuelle, bouleverse les codes de l’édition traditionnelle.
Alors que l’industrie du livre a payé cher la crise sanitaire du début de l’année 2020, le crowdfunding éditorial n’a pas arrêté son taux de croissance : d’après les données de la plateforme de financement participatif Kickstarter, en 2015 les dollars investis dans des projets éditoriaux étaient de 70 millions, un chiffre très inférieur aux 183 millions investis durant le premier semestre 2020, indiquait le Corriere della Sera, ce 3 août 2020).
Un modèle commercial participatif déjà très commun dans la production audiovisuelle, en particulier documentaire, et qui commence à être pratiqué par plusieurs maisons d’édition, parfois même dans des domaines autres que le livre. Un exemple en est l’italien Feltrinelli, qui a récemment lancé une campagne de crowdfunding pour sélectionner, créer et distribuer un nouveau jeu de société.
Cependant en Italie il existe une autre structure qui, dès le début, a choisi de faire du crowdfunding sa marque de fabrique : Bookabook, fondée à Milan en 2014 par Tomaso Greco, éditeur et expert de crowdfunding et Emanuela Furiosi, avocate. Le mécanisme est simple : après une première sélection par des éditeurs professionnels, les manuscrits sont proposés à la communauté des lecteurs qui peut accéder aux brouillons, les commenter et commander les exemplaires encore inédits. Une fois atteint le quota de 200 copies précommandées, les livres sont publiés.
Ce principe est sorti gagnant du confinement : durant le premier semestre 2020, l’augmentation des lecteurs de la communauté a été de 27,7 % et les textes précommandés ont été de 23 500, soit 21,4 % de plus qu’en 2019.
Les raisons d’un tel succès ? Elles résident dans le fonctionnement de Bookabook, un modèle atypique et innovant, basé sur la création et l’alimentation d’une communauté de lecteurs. En effet pendant le confinement la fermeture des librairies a entrainé un grave ralentissement dans l’édition papier. Au contraire, on a assisté à une forte croissance du numérique, en Italie, mais aussi en général : de l’e-commerce aux livres numériques (comme confirme le rapport mené par Pepe Research pour l’AIE, Associazione Italiana Editori en mai 2020, Associazione italiana editori), en passant par l’augmentation du temps d’utilisation des écrans et en particulier des réseaux sociaux (d’après l’enquête promue par le Cepell [Centre pour le livre et la lecture] et l’AIE de juillet 2020).
Le modèle Bookabook répond assez bien à ces changements. En effet pour cette maison, le crowdfunding n’est pas seulement un modèle économique, mais surtout un moyen pour créer une communauté, qui s’alimente et s’exprime à travers les réseaux sociaux. Leur rôle est tellement crucial pour Bookabook que — comme l’assure Tommaso Greco — « la maison n’existerait pas sans les réseaux sociaux, ou peut-être elle serait très différente ».
Cependant il ne s’agit pas d’un modèle 100 % numérique, car, comme souligne encore Tommaso Greco, « nous pensons que l’opposition virtuel vs physique n’a pas de sens ». En effet, d’après une analyse des habitudes de lecture de la communauté Bookabook, plus de 80 % des lecteurs choisissent le papier. De plus, la communauté virtuelle se rassemble physiquement lors de la fête annuelle La longue nuit des lecteurs, pour partager lectures et conseils littéraires.
Par ailleurs, des indices nous amènent à penser que le futur de Bookabook est plus ancré dans le numérique que ce qu’il ne parait. La maison d’édition, en effet, a montré une capacité d’écoute et d’innovation conséquente pendant le confinement, quand elle a conçu l’initiative « Promettimi un libro » (Promets-moi un livre) : un livre électronique Bookabook offert à chaque lecteur en échange de la promesse d’acheter n’importe quel livre (même d’autres éditeurs) dans les librairies, une fois terminé le confinement.
Un engagement en faveur des librairies, certes, mais aussi une opération promotionnelle très fine, qui a permis d’entendre parler de Bookabook même au-delà de sa communauté de lecteurs, vu l’attention que cette initiative a retenue dans la presse, en général très réceptive aux propositions de la maison. « Les réseaux sociaux sont importants, mais la critique et l’information - heureusement ! - jouent toujours un rôle décisif », rappelle Tommaso.
Bookabook a donc su s’adapter à un nouveau mode d’utilisation des contenus, qui, en raison de la pandémie, semble aller toujours plus vers le numérique. Est-ce que le numérique gagnera une place toujours plus importante aussi dans le modèle Bookabook ?
Il semble que oui. Tomaso Greco affirme : « Nous avons considérablement augmenté le budget consacré à la promotion en ligne de nos livres ainsi que celui de nos campagnes en ligne. Il s’agit d’un naturel processus de croissance, mais il est certain que le confinement a accéléré cet investissement. En termes de contenu, nous avons créé deux rendez-vous hebdomadaires dans lesquels nous présentons nos titres en direct sur Facebook et Instagram. »
La pandémie ne semble donc pas avoir arrêté la volonté d’expérimentation de Bookabook. Née sous le signe de l’innovation (deuxième place en 2015 à Renew The Book, compétition internationale pour l’innovation dans l’industrie du livre), elle propose aujourd’hui un modèle fluide, à mi-chemin entre physique et numérique, basé sur la création de communautés plutôt que sur le choix du produit. Un modèle qui intègre encore des éléments traditionnels, comme la commercialisation en librairie et l’impression en papier.
Nous avons donc demandé à Tomaso quels sont les projets futurs de Bookabook, vu son fort potentiel de croissance. Il nous a répondu avec un significatif « no comment », qui laisse quand même ouvertes certaines portes : « Je peux seulement dire que nous sommes en train de travailler beaucoup, dans de nombreuses directions. Et que le crowdfunding se développe à un rythme surprenant, et pas seulement dans l’édition. »
Cependant, certaines interrogations restent ouvertes. Dans la logique du crowdfunding, le traditionnel rôle de choix de l’éditeur semble avoir perdu son importance, remplacé par le choix de la communauté : Tommaso Greco souligne que cela est le principe, et, si on veut avoir une proposition différente, il faut rester fidèles « au pacte avec les lecteurs ».
Ensuite, entre les composants du binôme classique — selon certains un peu anachroniques — auteur-éditeur s’insère le lecteur, qui occupe une position inédite. Tommaso affirme ne pas croire à ce binôme et conçoit le livre comme une entreprise collective : « Dans le chemin qui mène à la naissance et à la diffusion d’un livre, de nombreux autres sujets interviennent : agents littéraires, scouts, éditeurs, critiques, graphistes, promoteurs. Et, bien sûr, les libraires ».
Seul le temps nous dira comment Bookabook va évoluer. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura du changement : « Nous sommes très différents de ce que nous étions il y a cinq ans — affirme Tommaso — et j’aime penser que nous allons encore changer, que nous allons expérimenter. »
Et ce, dans le sillage de l’innovation.
illustration principale : CC 0
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