La Journée internationale des droits de l'homme n'est pas une célébration consensuelle : ce 10 décembre est aussi l'occasion de rappeler certaines vérités qui dérangent. L'Union européenne des Aveugles rappelle ainsi que seuls 5 % des livres publiés sont accessibles à tous, un taux qui descend à moins de 1 % lorsque l'on se tourne vers les pays en développement. Et cette réalité ne concerne pas que les personnes atteintes de cécité : en raison de l'allongement de la durée de vie, nous sommes tous concernés par la menace de n'avoir plus rien à lire.
Le 10/12/2015 à 10:31 par Antoine Oury
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10/12/2015 à 10:31
(Jason Pearce, CC BY-NC-SA 2.0)
« Actuellement, seuls 5 % des livres produits dans les pays développés et 1 % dans les pays en voie de développement sont adaptés dans des formats accessibles, comme le braille, les grands caractères et l'audio, dont les personnes atteintes de problèmes de vue ont besoin pour apprécier le plaisir de la lecture », rappelle l'Union européenne des Aveugles (European Blind Union, EBU). Pour la France, cela représente environ 5.000 livres accessibles, sur 100.000 publications, environ, en 2014.
Plus encore, les carences en livres accessibles portent atteinte au droit de lire de millions de personnes empêchées, dyslexiques, dyspraxiques, ou victimes de handicap moteur. Un accident, ou plus simplement l'âge avancé peuvent avoir une incidence sur confort de lecture total.
La réalité de la pénurie de l'offre livresque accessible est connue : en septembre 2012, le ministère de la Culture et de la Communication chargeait l'Inspection générale des affaires culturelles d'une enquête sur l'exception handicap. Un an plus tard, le verdict était formel : « La production annuelle de publications adaptées ne représente que 3,5 % de l'offre “grand public”, et l'offre globale, moins d'un cinquième des références disponibles en France », signalait le rapport. Même constat du côté des manuels scolaires : « La production annuelle de manuels scolaires adaptés à partir des fichiers numériques représente 10 % du volume de nouveautés. »
Au fil des années, les progrès sont minces, et pour cause : les livres accessibles sont très coûteux à produire, et reposent sur la bonne volonté d'associations privées aux moyens souvent limités. L'édition grand public annonce régulièrement que le format numérique, et notamment l'EPUB3, permettra bientôt de produire des documents commerciaux totalement accessibles, mais c'est oublier que toutes les personnes empêchées de lire ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, déchiffrer un texte sur un lecteur ebook. Certaines préféreront le braille, d'autres la lecture audio ou les grands caractères...
À la mi-2013, un large traité international apparaissait pour accélérer l'accès à tous les documents, pour tous les individus : le Traité de Marrakech. Ce document à portée mondiale cherche à faciliter les échanges transfrontaliers de documents adaptés, afin de faire progresser le catalogue général des livres accessibles. Néanmoins, pour entrer en vigueur, ce traité doit être ratifié par un certain nombre de pays, et l'ajout des membres de la Commission européenne apporterait un certain poids à l'ensemble.
Mais les négociations sont longues, et certains États ne sont pas vraiment disposés à introduire des dispositions législatives pour faciliter les échanges transfrontaliers, sans qu'une autorisation des ayants droit soit nécessaire. En mai dernier, l'EBU dénonçait ainsi les « blocages » de l'Allemagne, de l'Italie, de la Hongrie, de la Grande-Bretagne et de Chypre au sein du Conseil de l'Europe.
La Commission européenne, elle, serait toute disposée à proposer des mesures législatives correspondant au Traité de Marrakech : d'après sa communication publiée hier, elle présentera les premières au printemps 2016. Toutefois, les organismes spécialisés sont encore méfiants : le processus qui entoure la réforme européenne du droit d'auteur et le marché unique du numérique pourrait ajouter des années à une entrée en vigueur attendue de longue date.
Malgré tout, la Commission envoie des signaux positifs : le « EU Disable Act », projet de directive présenté par Marianne Thyssen, Commissaire européenne à l'emploi, aux affaires sociales aux compétences et à la mobilité, introduira ainsi certains standards en matière d'accessibilité des livres numériques. Même si cette directive ne porte que sur les formats accessibles numériques, elle a le mérite de témoigner du souci récent de la Commission pour la question de l'accessibilité.
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