Ils l'avaient promis au Salon du Livre de Paris, en mars dernier : le collectif Bibliothécaires de Grenoble en lutte s'est déplacé au congrès annuel de l'Association des Bibliothécaires de France, à Paris. Objectif : faire entendre la voix des agents alors que le maire de Grenoble, Éric Piolle, est invité à s'exprimer lors d'une table ronde. Les bibliothécaires dénoncent la « politique d'austérité » du maire et ses impacts sur la lecture publique, mais aussi le discours « éloigné du terrain » de l'ABF.
Le 15/06/2017 à 21:56 par Antoine Oury
Publié le :
15/06/2017 à 21:56
Au Salon du Livre de Paris, le contact avait été pour le moins douloureux : le collectif Bibliothécaires de Grenoble en lutte avait déjà fait le déplacement pour y dénoncer les politiques d'austérité qu'ils attribuent au maire EELV, Éric Piolle. Présente lors de leur conférence de presse, l'Association des Bibliothécaires de France avait été chahutée en raison de l'invitation du maire de Grenoble à son congrès annuel, ce jeudi 15 juin. Rebelote ce jeudi, donc, pour faire entendre leur voix.
Devant le pavillon 5 de la Porte de Versailles, une trentaine de bibliothécaires syndiqués sont présents : CGT, SUD Solidaires et CNT sont représentés, avec des agents de Grenoble, donc, mais aussi d'Île-de-France (Paris, de Plaine Commune, et même de la Bibliothèque nationale de France). Leur revendication ? « Nous nous battons dans une lutte sociale et syndicale pour le maintien de l'emploi public, pour la sauvegarde des postes, contre la dégradation des conditions de travail », énonce une représentante des agents de Grenoble.
Un programme partagé par tous les mobilisés, y compris ceux de la BnF : « La BnF semble un peu éloignée de la lecture publique, mais on dit qu'elle est la tête de réseau de toutes les bibliothèques de France. À ce titre, les suppressions de postes, les fermetures, baisses de budgets d'acquisition, nous les combattons. Depuis 2009, nous comptons 270 postes en moins et des baisses de budget cumulées de plus de 3 millions. Oui, nous sommes en accord avec les revendications des bibliothèques territoriales. » Un budget stabilisé en 2017, certes, mais les dégâts sont là, soulignent les agents.
Du côté du syndicat SUD Solidaires pour les bibliothèques de la ville de Paris, on dénonce également sans hésiter les baisses d'effectifs et de budgets, mais aussi « le manque de moyens investis » dans l'extension des horaires d'ouverture par l'administration. « Je considère, à titre personnel, que les dimanche ne sont pas des jours sacrés et peuvent être utiles aux gens pour se rendre dans les espaces culturels, comme c'est le cas dans les musées », souligne pourtant notre interlocuteur, qui précise que, dans son propre établissement pourtant orienté vers la jeunesse, les horaires ont été réduits.
La ministre de la Culture Françoise Nyssen a annoncé la couleur ce jeudi matin, en ouverture de l'ABF : le premier objectif de la présidence Macron, pour les bibliothèques, ce sont les horaires d'ouverture, un sujet déjà évoqué lors du quinquennat précédent. La mise en oeuvre reste toutefois difficile : les collectivités ont à portée de main la Dotation Générale de Décentralisation (DGD) pour aider à payer l'extension des horaires, mais sa durée de 3 années maximum en refroidit plus d'une, qui craignent l'impossibilité de son financement ensuite.
Sans compter la résistance des personnels, parfois excédés par plusieurs années d'austérité : Françoise Nyssen souhaite instaurer un dialogue, un « débat » sur le sujet. « Franchement, au niveau de la CGT BnF, nous ne participerons pas : quand on voit le nombre de suppressions de postes que l'on a subi, il faudrait beaucoup plus d'effectifs ou alors faire travailler plus les agents, ce qui n'est pas facile à faire accepter aux personnels », commente-t-on.
C'est donc de Grenoble que part la mobilisation au congrès de l'ABF : le réseau de la Ville s'est vu amputé de deux établissements, Prémol et Hauquelin, tandis qu'un troisième, Alliance, était réduit de moitié en termes de surface et de personnel. Depuis plusieurs mois, le collectif Bibliothécaires de Grenoble en lutte multiplie les actions pour contester la politique du maire Éric Piolle. « La municipalité est désormais très mal à l'aise, et préfère négocier avec le collectif d'habitants pour ne pas avoir affaire aux agents », explique une membre du collectif.
Aux dernières nouvelles, la mairie de Grenoble a annoncé la création de « points lectures » dans les quartiers où Prémol et Hauquelin disparaissent, après avoir plus ou moins annoncé des réouvertures. « C'est de l'enfumage, avec au bout du compte du travail supplémentaire et aucun budget pour suivre » : en effet, la mairie prévoit d'utiliser des fonds existants, mobiles, et de confier l'animation à des agents du réseau ou à des personnes désignées. « Autrement dit, ce sont les habitants qui vont bientôt accueillir les agents dans les bibliothèques, et plus l'inverse », commente une bibliothécaire venue de Grenoble avec deux de ses collègues.
La situation promise à la bibliothèque Alliance ne leur paraît pas plus enviable : « Quand la mairie parle de tiers lieu, c'est du vocabulaire pour masquer les suppressions de postes. Un vrai tiers lieu, cela demande de l'argent, du personnel, des moyens. Nous en voulions un à Prémol, et on nous fait maintenant passer pour de vieux réacs alors que notre réseau a toujours été à la pointe, reconnu Bibliothèque Numérique de Référence... »
C'est dans ce contexte que l'invitation d'Éric Piolle au congrès de l'ABF intervient : sa présence pour s'exprimer au sein de la table ronde « Fermer une bibliothèque, est-ce une source d'inégalités ? » frustre le collectif et leurs soutiens dans la profession, qui estimaient déjà, au Salon du Livre, que l'Association se coupait de sa base, du « terrain ».
Plusieurs courriers sont échangés : le collectif réclame d'abord l'annulation de la rencontre, ainsi que la possibilité de s'exprimer en public en ouverture du congrès, proposant aussi de laisser leurs collègues d'Île-de-France s'exprimer et invitant l'ABF à payer leurs frais de déplacement au congrès. L'ABF refuse, proposant plusieurs mesures en remplacement, comme une prise de parole lors de l'assemblée générale de l'association ou un temps de rencontre le vendredi.
« Nous sommes l'épine dans le pied de l'ABF », confie une bibliothécaire présente avant la table ronde avec Éric Piolle. « Cette instance est absolument nécessaire, mais nous pensons qu'elle doit mieux prendre en compte la réalité du terrain, elle a des positions qui ne représentent pas l'avis de tous les agents. » Pour y remédier, certains proposent d'adhérer en nombre pour influencer les décisions, ce que l'ABF elle-même avait suggéré dans un de ses courriers.
Finalement, le collectif s'exprimera directement pendant la rencontre avec Éric Piolle, sur le temps de questions réservé à l'assistance, avec l'évocation du sentiment personnel des agents présents sur la situation. « Nous sommes animés par le principe d'égalité, nous voulons que le savoir soit accessible à tous, et c'est très violent de voir qu'une mairie de gauche ferme des bibliothèques dans des quartiers populaires, ça ne passe pas pour moi », explique une intervenante. « Je lutte pour le maintien d'une lecture publique, parce que je crois à l'idéal démocratique. »
Leurs interventions ont suscité une scène assez gênante, le président de l'ABF, Xavier Galaup, tentant de reprendre le micro des mains d'une membre du collectif, avant de la laisser s'exprimer. De son côté, le maire Éric Piolle a expliqué sa politique culturelle en évoquant le fort endettement de la ville, la baisse des dotations de l'État et une solution qui permettait à Grenoble « de ne pas s'étrangler peu à peu avec des dépenses » tout en s'assurant des accès de la population à une offre culturelle.
Au sortir de la table ronde, le collectif s'est dit « satisfait » de ses interventions, applaudies par une bonne partie de la salle, tandis que d'autres membres de l'assistance ne cachaient pas leur impatience...
Tout en monopolisant la parole et prenant en otage l'assemblée #ABF2017
— Zenodote (@zenodote) 15 juin 2017
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