ESSAI - Le Temple : « la royauté y brisa le moyen âge, par la main de Philippe le Bel. Et elle-même y revint brisée avec Louis XVI. » Michelet, Histoire de la Révolution.
« D’emblée, les événements marchèrent plus vite que les hommes. »
20 juin 1789 : Serment du jeu de Paume
14 juillet 1789 : prise de la Bastille
4 août 1789 : abolition des privilèges
26 août 1789 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
6 octobre 1789 : la famille royale est ramenée à Paris, aux Tuileries
20/21 juin 1791 : fuite à Varennes
Septembre 1791 : nouvelle Constitution
Avril 1792 : déclaration de guerre à l’Autriche
10 août 1792 : prise des Tuileries. La famille royale est prisonnière.
Le Temple ne s’imposa pas tout de suite, on pensa d’abord au Palais du Luxembourg, mais « l’enjeu était trop grand pour prendre le risque d’une évasion » ; l’enclos du Temple, doté d’une vraie prison, était plus sûr.
Si beaucoup de livres retracent les heures sombres de la Révolution française, et ses quelques réussites aussi, aucun ne se penche sur le sort qui fut réservé à la famille royale dans la prison du Temple ni à toute sa symbolique.
Charles-Éloi Vial, docteur en histoire et conservateur à la Bibliothèque nationale de France, n’a pas pour but, en écrivant ce livre publié chez Perrin, de « refaire de vieux procès ou de juger les acteurs, mais d’étudier le quotidien de ceux qui vécurent au Temple. »
Avec un sens de la formule peu commun, permettant de donner à ce récit passionnant une dynamique surprenante, l’historien nous fait comprendre « comment les cadavres qui jalonnent l’histoire du Temple ont fini par devenir des victimes » en s’appuyant sur des sources issues des archives de la police ; des Archives nationales (commandes, factures, petits papiers qui instruisent sur le fonctionnement administratif de la prison et sur le « soin » apporté aux captifs) ; mémoires des uns et des autres, le tout à analyser minutieusement pour trier le faux du vrai.
« En emprisonnant puis en jugeant le roi, la République cherchait aussi à expliquer son origine et à légitimer son pouvoir. » Alors que s’est-il passé à l’intérieur de cette prison royale, à l’intérieur du Temple ?
Après un juste retour sur les causes et circonstances de la chute de la monarchie et un résumé détaillé de la prise des Tuileries, nous retrouvons la famille royale enfermée au couvent des Feuillants en attendant que l’on – la Législative (composée de députés élus) et la Commune (directement issue du peuple en armes) – statue sur le sort et sur l’emplacement de leur futur logement.
Le 12 août, décision est prise de les conduire à la prison du Temple.
L’enclos du Temple était alors une ville dans la ville, « endroit de tous les contrastes », sorte de « no man’s land » composé de plusieurs logements et commerces, dont celui, dans les années 1750, du prince de Conti, cousin du roi Louis XV, libertin patenté et homme d’esprit, qui y tenait salon avec ses amis, dont Beaumarchais qui venait de temps à autre se mettre à l’abri d’ennemis un peu trop zélés ; d’un palais dont le dernier locataire avait été le comte d’Artois, frère de Louis XVI et futur Charles X et donc… d’une prison.
Louis XVI à la tour du Temple par Jean-François Garneray (détail)
Si la famille royale pensa d’abord être installée dans les anciens appartements du comte, elle fut vite détrompée. Installée dans un grand dénuement, surveillée en permanence par des gardiens constamment changés, afin que des liens ne se créent pas entre détenus et geôliers, les journées s’égrenaient longuement.
6 h : lever du roi. Prière. Le reste de la famille se lève un peu plus tard.
9 h : petit-déjeuner, assez copieux, du moins au début puis instruction des enfants
12 h : promenade sur le chemin de ronde
13 h : retour dans les appartements
14 h : déjeuner puis jeux du type échecs et broderie
16 h : sieste du roi puis, de nouveau, instruction des enfants
20 h : dîner et coucher des enfants
21 h : dîner des adultes
Vers minuit : coucher
On n’est évidemment pas surpris de lire que la famille royale s’ennuie ferme ! Quoi qu’il en soit, le couple aura toujours à cœur d’épargner le plus possible leurs enfants, que cela soit du désœuvrement ou des brimades des gardiens. Ces derniers, toujours prompts à imaginer des complots, passaient leur temps à espionner la famille royale et, on s’en doute, n’étaient pas les êtres les plus aimables au monde, pour ne pas dire carrément grossiers, au point où « le roi, malgré son flegme légendaire, fut à plusieurs reprises à deux doigts de perdre son sang-froid. »
Pendant ce temps, à l’extérieur du Temple, la Révolution fait rage. Les nouvelles du front sont mauvaises, très mauvaises. Il n’en faut pas plus pour voir des traîtres partout, enfin partout, surtout dans les prisons puisque c’est là où se trouvent la plupart des nobles et antirévolutionnaires… sus aux prisons !
En ce début du mois de septembre 1792, « en trois jours, environ 1 300 victimes furent exécutées. » La famille royale est-elle bien gardée ? La Commune est inquiète et elle a bien raison : on voit le sort qui a été réservé à la princesse de Lamballe, amie de la Reine, « même en passant au crible les récits ou en tentant d’atténuer la portée de ce geste, le simple résumé de l’événement fait froid dans le dos. »
Mais de fait, et si les traîtres étaient aussi au Temple ? Si « l’Autrichienne » réussissait à communiquer avec l’ennemi ? « Le Temple, prison des pires ennemis des sans-culottes, devint ainsi le catalyseur de leurs peurs les plus irrationnelles. »
Les différents partis s’écharpent, le chaos règne, « qui aujourd’hui est démocrate sera peut-être demain traité d’aristocrate. »
La petite tour de Temple, où était enfermée la famille royale, n’est pas assez sûre, on les transfère dans la grande, plus facile à défendre. « De sinistre, mais grandiose, le décor du drame se rapetissa aux dimensions d’un appartement bourgeois. »
Le 7 octobre, on apprend à Louis XVI qu’il n’est plus roi. L’homme, résigné, ne semble pas plus touché que cela par la nouvelle. Il se réfugie dans la lecture, seule façon de s’évader un tant soit peu. « Peu de temps avant son exécution, Louis XVI récapitulera lui-même qu’entre août 1792 et janvier 1793, en 161 jours de détention, il avait lu 257 volumes. »
Dehors, on réclame de plus en plus la tête du roi déchu, persuadé que cela résoudra bien des problèmes. La presse, d’une objectivité sans faille, s’en fait l’écho. L’étau se resserre.
Juger Louis Capet, certes, mais encore faut-il avoir des mobiles, des preuves de ce qu’on avance. Faisons confiance aux révolutionnaires pour nous fournir tout cela. Après un procès qui n’en a que le nom, où tout est joué d’avance, Louis XVI est condamné à mort par 361 voix contre 360. Philippe-Égalité, cousin du roi, a voté la mort, il fait la différence. « Son choix dégoûta jusqu’à Robespierre qui déclara pudiquement qu’il aurait compris qu’il s’abstint », surtout que ça ne le sauvera pas.
Le 21 janvier 1793, Louis XVI est décapité.
Pour les royalistes, le dauphin devient de fait Louis XVII. Théoriquement, Marie-Antoinette devient régente, ce qui ne fait pas les affaires du comte de Provence, futur Louis XVIII, qui hait Marie-Antoinette et qui se verrait bien, du fin fond de son exil, sur le trône de France si la roue venait à tourner. Et les hommes de pouvoir savent que la roue tourne toujours, le peuple français est certes bon, mais inconstant. Bref, « bafouant les droits de Marie-Antoinette, il s’empressa de se proclamer régent du royaume. » Dans le même temps, les pays voisins se coalisent quasi tous contre la nouvelle République, il ne faudrait pas que l’idée de raccourcir les têtes couronnées devienne un nouveau jeu à la mode.
Même si pour le moment l’attention se porte vers les différents fronts, ce qui reste de la famille royale n’en a pas terminé pour autant avec le malheur.
Quelques complots pour sortir femmes et enfants de la prison sont bien envisagés, mais vite déjoués. La question reste, que va-t-on faire d’eux ? Une monnaie d’échange ? Personne n’a envie de prendre la décision de les exécuter, la barbarie se drape encore dans un peu de compassion, tuer une mère et ses enfants, quand même, non ! Les séparer en revanche…
Le 3 juillet 1793, Louis XVII – Charles-Éloi Vial s’explique sur le choix qu’il fait de le nommer ainsi – est « séparé de sa mère, de sa sœur et de sa tante ». Un mois plus tard, le 2 août 1793, à 1 h 15 du matin, Marie-Antoinette est transférée à la Conciergerie. Très malade, elle n’en a plus pour très longtemps, il faut se dépêcher de la juger pour en tirer profit.
Au Temple, Marie-Thérèse, fille du couple, et Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, restées seules, en sont réduites à faire le ménage ; elles n’ont plus le droit de sortir et leurs repas deviennent très légers, « elles n’étaient plus princesses après tout, et ne pouvaient que s’estimer heureuses de manger à leur faim ».
Louis XVII, lui, est très malade, tuberculeux, il est confié à différents médecins qui vont le soulager un peu, mais non pas le guérir. Confier à un sans-culotte violent, il va être maltraité et subir un lavage de cerveau en bonne et due forme, allant, on le sait, jusqu’à accuser sa mère et sa tante d’inceste à son encontre.
Après une parodie de procès, Marie-Antoinette fut exécutée le 16 octobre 1793. Sa fille ne l’apprendra que deux ans plus tard.
En mai 1794, c’est au tour de Madame Élisabeth d’être décapitée après un procès expéditif, « ses crimes […] étaient “trop connus pour qu’il soit nécessaire d’en retracer ici l’horrible tableau.” » CQFD
Marie-Thérèse se retrouve seule ainsi que son petit frère à l’étage du dessous. Mal nourris, mal chauffés, ils sont mis à rude épreuve. Mais contrairement à sa sœur, on l’a vu, Louis XVII est de constitution fragile. La mort de Robespierre, le 28 juillet 1794, et un retour à plus de « sérénité » vont bien leur apporter un peu d’améliorations dans la vie de tous les jours, mais pour le jeune garçon il est malheureusement trop tard. Le 8 juin 1795, « Louis XVII meurt au Temple d’une péritonite ulcéro-caséeuse survenue au décours d’une tuberculeuse disséminée hématogène chronique dont on trouve les premières manifestations cliniques, pleurales en particulier, en mai 1793. » Pauvre gosse, enterré dans une fosse commune, son corps ne sera jamais retrouvé.
Le sort de ces enfants va émouvoir la France et de là à en faire des martyrs avec le reste de leur famille, ça ne sera plus long, la Restauration y veillera.
Le 26 décembre 1795, Marie-Thérèse, dernière représentante de la famille royale enfermée au Temple, est échangée contre des otages français retenus en Autriche. « Marie-Thérèse, qui fêtait son dix-septième anniversaire, quitta enfin sa prison après 1222 jours de captivité. »
Composé de nombreux détails sur le fonctionnement interne de la prison – budget alloué pour le linge, la nourriture, les travaux, etc. –, sur l’organisation démente pour y envoyer des gardes et leurs relations avec les membres de la famille royale, ce livre dépeint la Révolution sous un angle nouveau, inédit et passionnant. À lire !
Charles-Eloi Vial – La famille royale au temple — Le remords de la Révolution 1792-1795 – Editions Perrin – 9 782 262 070 823 – 25 €
2 Commentaires
pilayrou
05/09/2018 à 04:25
La très probable vérité :
http://louisxvii.canalblog.com/
Férue-Historia
29/09/2018 à 12:01
Aucune frustration du peuple, ne justifiait un tel massacre.
Nobles ou non, les enfants sont innocents.
Pauvre petit Louis XVII. :-S