Monsieur Proust est le livre de souvenirs que sa gouvernante Céleste Albaret a consacré à Marcel Proust. Elle l’appelait « Monsieur Proust » et fut elle-même surnommée « Madame Proust » dans la mesure où elle s’occupa de lui avec le souci d’une mère et l’obéissance d’une fille. Je n’avais pas lu ce livre qui a eu un énorme succès en 1973 et qu’on a réédité l’an dernier, en 2013, soit quarante ans après sa parution
Le 20/12/2014 à 09:10 par Les ensablés
Publié le :
20/12/2014 à 09:10
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Par Laurent Jouannaud
En 1973, Céleste Albaret publie ses souvenirs, recueillis et rédigés par Georges Belmont. Le livre a été beaucoup critiqué à l’époque : en effet, Céleste est âgée de quatre-vingt-deux ans et Proust est mort depuis cinquante et un ans ! La bonne dame, la « chère Céleste », aura donc attendu un demi-siècle avant de raconter ses neuf années passées au service de Proust, de 1913 à 1922, date du décès de l’écrivain. Cinquante ans sans une ligne, et, tout d’un coup, 430 pages de récits, d’anecdotes, de dialogues, de portraits, de bons mots ?
Le livre a été considéré comme un « coup » des éditions Laffont, qui avaient réussi un coup semblable en 1969 avec la « vraie fausse autobiographie » d’Henri Charrière surnommé Papillon. On peut lire ces réactions négatives sur le site de L’Obs (naguère Le Nouvel Observateur ) : «Le livre de Céleste n'existe pas», décréta Jacques Bersani dans Le Monde. Il est «frappé de stérilité», ajouta Claude Mauriac, dans Le Figaro. «Rien que du bavardage», asséna Hubert Juin dans le Magazine littéraire. Des «papotages domestiques», selon Angelo Rinaldi, de L'Express, tenus par une femme incapable de restituer le génie d'un écrivain qu'elle n'avait pas lu. »
Philippe Sollers, à l’occasion de la réédition de 2013, écrit au contraire, cultivant le paradoxe : « Son témoignage, à l'âge de 82 ans, est bouleversant de vérité. » (Le Nouvel Observateur, 24 avril 2014) Les souvenirs de Céleste Albaret, quand on aime A la recherche du temps perdu, sont une tentation à laquelle j’ai fini par céder. Voici quelques réflexions, mon cher Hervé, inspirées par cette lecture. Et d’abord il y a la question de la valeur du récit. La langue distingue « vrai » et « véridique ». Ce qui est vrai est conforme au réel, et concerne l’exactitude des faits. Mais ce qui est véridique « a le souci, le scrupule de rendre compte fidèlement de la vérité, de la réalité ou de ce qu'il pense être tel » (Trésor de la langue française).
Le dictionnaire Robert fait la même distinction : « véracité : qualité de celui qui dit la vérité ou croit la dire » . Madame Proust a le souci de raconter exactement ce dont elle se souvient. Elle est véridique sans forcément dire la vérité : «J’ai suffisamment réexaminé, contrôlé et revérifié les faits dans mon souvenir pour avoir la certitude de ma fidélité absolue à la réalité de ce qui fut. »(P. 412) Céleste a ressassé ses souvenirs, mais la vérité s’établit, se prouve, se démontre. Comme dans les procès, il faut plusieurs témoins pour que le témoignage fasse foi : testis unus, testis nullus. Or, Céleste rappelle qu’elle était seule avec Proust, qu’elle seule s’est occupée de lui dans les dernières années, jour et nuit. D’où l’intérêt de son témoignage et sa fragilité : il n’y a pas de tiers témoin. Céleste Albaret s’est décidée à livrer ses souvenirs parce que, dit-elle, beaucoup de mensonges et d’inexactitudes courent autour des dernières années de Proust. Les autres mentent ou se trompent, mais pas elle. Quel intérêt pourrait avoir une vieille dame à raconter des mensonges, demande-t-elle ?
Eh bien, même les vieilles dames ont des envies inattendues (J’ai visionné sur YouTube, il y a quelques jours, le grand classique de René Allio, La vieille dame indigne, 1965) ! On sait que Céleste a vendu vers la fin de sa vie des objets proustiens, religieusement conservés jusque-là : elle avait besoin d’argent. Et peut-être envie de gloire, envie de laisser son nom dans le catalogue des bibliothèques du monde entier. Elle y a réussi. Les témoignages sont toujours contradictoires : n’importe quel inspecteur de police ou juge d’instruction vous le dira. Il se trouve que Céleste Albaret, en 1962, a participé à une émission souvenir consacrée à Marcel Proust. Cette émission de 1 h 27 minutes, animée par Roger Stéphane, est disponible sur Internet, dans les archives de l’INA. 11 minutes 39 secondes en sont visibles gratuitement, ce sont les minutes où Céleste parle de la mort de Proust. Or, cette version orale diverge en plusieurs points de la version écrite, donnée dix ans plus tard dans Monsieur Proust. Voici une différence notable. Le frère de Proust fait appeler un de ses confrères, une sommité médicale qui a soigné leur mère, pour tout tenter. Céleste raconte le moment où le professeur est arrivé. Elle hésite sur le nom : Landevski ou Landovsi. Elle se décide pour Landovski.
Dans Monsieur Proust, le docteur Landovski est devenu Babinski. C’est évidemment Babinski qui est exact. En 1962, Céleste se trompait ; en 1973, elle a retrouvé le nom juste. C’est qu’en 1973, son récit est filtré et botoxé par le journaliste Georges Belmont. Qui est Georges Belmont ? Je feuillette Google. Georges Belmont est journaliste, mais ce n’est pas n’importe qui. Il a interviewé Marilyn Monroe en 1960, la fameuse interview où l’on apprend qu’elle dort avec seulement quelques gouttes du N° 5 de Chanel. Il a été rédacteur en chef de Jours de France et de Marie-France, éditeur-conseil chez Laffont. En 1928, il était normalien, angliciste, ami de Becket, alors lecteur à l’Ecole normale supérieure. Il s’appelait Georges Pelorson à l’époque. Il a traduit James, Miller, Chase, Burgess. Il a changé de nom après la guerre : il a en effet été un collaborateur zélé. Georges Belmont avait lu Proust. D’ailleurs, Becket, son ami, a écrit un livre sur Proust, en 1930. Ancien khâgneux, Belmont savait organiser un récit et en éliminer les scories. Il avait dû lire la biographie de Proust par Georges Painter, qui a longtemps fait autorité, et dont maints passages ressemblent étonnamment à ce dont Céleste se souviendra plus tard. Je crois donc que le récit de Céleste est d’une fidélité relative, faite de vrai, de vraisemblable et d’imaginaire. Un livre doit avoir un certain volume et de la tenue : il faut étoffer le récit, rafraîchir le passé, gonfler les souvenirs, éliminer les bourdes, mettre en scène les personnages, fignoler l’expression. Belmont y a sans doute largement contribué. En fait, il est le seul qui sache quelle est la part du vécu, de l’imaginaire et de la reconstitution dans le livre de Céleste. Il aurait fallu le lui demander. Il est mort presque centenaire en 2008.
Céleste Albaret
D’ailleurs, Céleste Albaret explique combien Proust ne se fiait pas à sa mémoire. Il rencontrait telle ou telle personne pour pouvoir décrire très exactement dans son roman le personnage lui ressemblant. Il demandait aux duchesses s’il pouvait voir la toque ou la robe qu’elles portaient vingt ans plus tôt lors d’une réception ! Non, la mémoire n’est pas fiable : elle invente, comme l’imagination. Proust le savait, il s’en méfiait. Céleste raconte que plusieurs personnes se sont offensées d’être décrites dans le roman de Proust : elles s’y sont reconnues ou y ont été reconnues. A chaque fois, Proust leur répondait qu’il ne les avait pas décrites, qu’il n’y avait pas de clé. Mais en même temps, il affirmait ne vouloir écrire que la vérité. Il voulait que Swann ressemble à Charles Haas, et Charlus à Montesquiou, mais il n’a jamais voulu décrire ni Haas ni Montesquiou.
Il y a là un paradoxe qui tient à la nature de l’art romanesque. Céleste parle souvent du « roman » que Proust écrit, et elle fait bien de rappeler que La Recherche est un roman. Un écrivain fait un mélange, un cocktail, un mixte, bref une œuvre d’art : Proust écrit A la recherche du temps perdu et pas Les Mémoires d’un snob. Les détails vrais sont là pour étayer la fiction. Il faut rappeler, non pour la diminuer mais pour la grandir encore, que l’œuvre de Proust est inventée, imaginée, romanesque. « Aller croire que ses livres sont le récit réel de la vie de M. Proust, c’est vraiment faire peu cas de son imagination. » (P. 112) Proust ne décalquait pas. J’apprends que Proust lisait chaque jour plusieurs journaux, ainsi que de nombreuses revues : « Il se tenait très au fait des nouvelles et de l’actualité. Rien ne lui échappait, là comme ailleurs. » (P. 247)
J’imaginais un Proust aussi élégant que son œuvre. Je le voyais en esthète, entouré de beaux meubles, mangeant des produits fins, en élégante tenue d’intérieur. Or ce n’est pas du tout ainsi que vivait l’écrivain. Son appartement était un bric à brac où s’entassaient jusqu’au plafond des meubles sans valeur. On s’y gelait car Proust interdisait le chauffage par peur de la poussière et du bruit. Les fleurs, symbole du luxe et de la beauté pure, étaient proscrites à cause de leur parfum. Il ne mangeait rien que son café au lait avec un croissant, ou deux croissants, ou juste un bout de croissant. Ou des compotes. Parfois une sole. Jamais de vin, mais de l’eau d’Evian ou la bière glacée que son chauffeur, le mari de Céleste, allait chercher, de jour comme de nuit au Ritz. Quant aux vêtements, l’élégance de l’homme qui portait un camélia à la boutonnière , est passée. Il n’a que de vieux vêtements, toujours les mêmes puisqu’il n’use pas. Le 30 septembre 1920, il sort. Voici le témoignage de l’écrivain René Boylesve, secrétaire de l’Académie française, admirateur de Proust : « engoncé dans son pardessus », « son faux-col, évasé, élimé, et qui, sans exagérer, n’a pas été changé depuis huit jours », « une cravate râpée, un pantalon large d’il y a dix ans », « des gants blancs remarquablement sales » . Odilon Albaret transporte Proust à n’importe quelle heure. Or son taxi n’est plus qu’un vieux tacot auquel Proust est attaché.
Quand Odilon achète une nouvelle voiture, Proust meurt et il ne s’est jamais assis dedans. Bref, d’esthète qu’il avait été, Proust était devenu artiste, ce qui n’est pas du tout la même chose. Je lis avec beaucoup d’intérêt les biographies et autobiographies. J’ai lu récemment une biographie de Luther. Je lis lentement une biographie de Goethe. Je viens d’achever Mon évasion (2008, Le Livre de poche), l’autobiographique de Benoîte Groult. Ces récits sont plus passionnants que la plupart des romans et on y apprend davantage sur l’existence que dans bien des conversations entre amis. Dans ces livres, à chaque fois, je cherche à percer le secret du talent et du succès : comment vivre pour écrire un grand livre ? comment Marcel Proust a-t-il fait pour devenir l’auteur de la Recherche ? Charles Haas, un des modèle de Swann, est resté esthète, et bien des mondains de l’époque aussi : pourquoi Proust a-t-il échappé à leur sphère ? Et pourquoi Robert Proust, le frère fidèle et admiratif, grand médecin, n’a-t-il pas écrit la Recherche ? Faut-il vivre reclus pour écrire un grand livre ? Faut-il être riche et oisif ? Faut-il rester célibataire ? Céleste décrit le bizarre papillon nocturne que fut Proust, mais sa métamorphose reste un mystère. «Je suis marié avec mon œuvre ; il n’y a que mes papiers qui comptent. » (P. 211) Céleste Albaret souligne que pour Proust, finir son œuvre avait la priorité absolue. Henri Raczymow, dans «Notre cher Marcel est mort ce soir», émet une hypothèse intéressante pour expliquer cette fureur d’écrire : «Il sait que son œuvre lui survivra. Il peut mourir. Les écrivains, aujourd’hui, depuis des décennies, n’éprouvent plus cette certitude. Ils savent qu’ils meurent pour rien, comme tout le monde.»
La chambre de Marcel Proust au musée Carnavalet
Proust était réveillé la nuit. Il recevait ou sortait vers minuit, une heure ou deux heures du matin. Il restait la plupart du temps couché : il écrivait dans son lit. Il dormait peu, entre 8 h du matin et 16 h. «Je n’ai jamais su combien d’heures il dormait, ni même s’il dormait. Parce que cela se passait entre lui seul et les quatre murs de sa chambre.» (P. 93) Tout bruit était interdit. C’était l’obscurité ou la lumière électrique. A son réveil, Proust sonnait Céleste : elle apportait alors le café, une marque spéciale. Elle n’entrait jamais dans la chambre sans être sonnée. Une fois, il n’a pas sonné pendant plus de 24 heures : elle l’imaginait mort, mais n’a pas osé le déranger. La chambre n’était nettoyée et aérée qu’en son absence. Proust, asthmatique, interdisait tout mouvement qui aurait pu soulever de la poussière. Proust ne ramassait jamais rien : il avait plusieurs stylos à disposition, qui glissaient de son lit. Il jetait ses mouchoirs par terre. Céleste ramassait tout cela. Il n’utilisait qu’une seule fois une serviette de toilette : il lui en fallait donc plusieurs par jour. Proust avait eu avant Céleste des secrétaires et des domestiques mâles. Avec la guerre de 1914, tous les hommes étant au front, il a pris la jeune femme à son service. Céleste a vécu la nuit, dormi le jour et obéi au maître. Proust voulait être servi exactement comme il l’entendait, vite, bien et sans réplique. « Nous pouvions bavarder, plaisanter, mais chacun à notre place : pour rien au monde je ne me serais permis de lui poser des questions. » (P. 336)
Céleste Albaret
Il y a le ballet du beau monde : princes Emmanuel et Antoine Bibesco, comte Robert de Billy, comtesse de Chevigné, comte Boniface de Castellane, duchesse de Clermont-Tonnerre, duc de Gramont, comtesse Greffuhle, duc de Guise, comte de Montesquiou, comte de Fénelon, etc. A partir de 1914, Proust a fait couper sa ligne téléphonique pour avoir la paix. C’est Céleste qui contactait ses amis et relations en utilisant le téléphone du café du coin : elle monte et descend sans cesse. Elle porte souvent elle-même les lettres à leurs destinataires, quand c’est urgent et qu’il faut une réponse immédiate. Les gens qui avaient servi à l’écrivain pour mettre en place ses personnages lui faisaient perdre son temps désormais. On imagine que Proust avait beaucoup d’amis, de grands amis, mais Céleste écrit : « Dans sa façon d’évoquer et de juger même ceux qu’il avait connus et intimement fréquentés pendant de longues années, ou simplement dans le ton sur lequel il parlait d’eux, on sentait plutôt la relation que l’amitié. » (P. 268)
Le mystère de la personnalité de Proust reste entier. Il en a imposé au gratin mondain : les esthètes et les riches s’inclinaient devant la supériorité de l’artiste. Mais Proust fut admiré par des personnalités qu’on ne pouvait guère impressionner sans de bonnes raisons. Mme Straus, née Halévy (famille de musiciens), était la veuve de Bizet. Les frères Daudet, Léon et Lucien, tous deux écrivains, étaient les fils d’Alphonse Daudet, gloire littéraire du siècle précédent. Léon a épousé Jeanne Hugo, la petite fille de Victor. Réjane, grande comédienne, a connu des rois et des poètes.
Céleste évoque le regard de Proust, sa douceur, son intuition, son autorité, sa gentillesse : « Tel quel, il avait une allure extraordinaire. Cela venait de cette nature de distinction qu’il portait en lui, qui faisait que, si son génie était immense, l’homme l’était tout autant, et le cœur. » (P. 32) Bref, Proust était quelqu’un. Céleste ne fait aucune révélation concernant la vie sexuelle de Proust. Il ne s’est jamais rien passé quand elle était à son service : « Comme j’étais perpétuellement à l’affût du moindre signe de lui, aucun mouvement dans l’appartement ne pouvait m’échapper, même dans mon sommeil - j’ai eu très vite une sorte de sixième sens pour cela, et jamais je n’ai été prise en défaut. » (P. 228) Comme tout résonnait dans l’appartement, elle aurait entendu, ou constaté le désordre (ou l’ordre !) dans la pile de coussins, de gilets, de journaux et de papiers qui s’accumulaient sur le lit de Proust. Il semblerait, à la croire, que Proust n’ait jamais fait l’amour, de 1913 à 1922, par peur de soulever la poussière… On écrit beaucoup sur Proust et son œuvre. C’est la pléthore : L’Univers médical de Proust, Proust et les signes, Marcel Proust et les siens, Proust et le roman, Proust et la musique, Proust et ses amis, Proust et la cuisine, Proust et les plantes (il y aurait 260 plantes citées dans son œuvre), Proust et les bêtes, Proust et les peintres, Proust et la mode, Proust et la morale, etc. Et il y a bien sûr, un Proust et Céleste .
Ce livre raconte qui était Céleste Albaret, née Gineste (1891-1984), avant Proust et après Proust. Elle avait été baptisée Augustine Célestine, mais fut toujours appelée Céleste. Elle avait 22 ans quand elle est entrée au service de Proust qui en avait lui-même 42 : « Elle était jeune, belle, gracieuse, intimidée et volontaire », dit l’auteur. Elle est l’épouse d’Odilon Albaret, le chauffeur de taxi préféré de Proust qui ne prenait jamais les transports publics. Céleste a aimé son maître, mais le maître aimait aussi la servante. C’était de ces relations féodales qui nous semblent incompréhensibles : « Tel qu’il était en son entier, je l’ai aimé, subi, et savouré. » (P. 228) Après Proust, Céleste et Odilon, mariés en 1913, eurent une enfant, Odile Marcelle, née en 1925. Puis Céleste a tenu un hôtel. Plus tard, elle emménage à Montfort l’Amaury, au Belvédère, dans la maison de Ravel, aménagée en musée. Et bien sûr, tout s’emmêle : « Beaucoup de gens pensèrent que le Belvédère avait été la maison de vacances de Marcel Proust et on ne s’étonna plus dès lors qu’il ait composé sur le piano de Ravel la sonate de Vinteuil. » (P. 264) Christian Péchenard m’apprend encore que Proust a connu le purgatoire : de 1930 à 1970, on n’en parlait plus. Sartre a osé écrire en 1948 (« Présentation des Temps modernes ») : «Proust s’est choisi bourgeois, il s’est fait le complice de la propagande bourgeoise ». Aragon, Malraux, Camus n’en disent pas un mot. Et en effet, je n’ai pas découvert Proust au lycée : son imposante pièce-montée y était réduite à l’état de madeleine. Le récit de Céleste est une « hagiographie », commente Christian Péchenard. Il a cette formule sans doute juste : « Le texte est passionnant, car Céleste nous découvre le vrai Proust. Or, il lui a menti plus qu’à personne d’autre, ce qui n’est pas peu dire. » (P. 34) Même si Céleste a exactement dit ce qu’elle a vu et entendu, elle n’a pas tout vu ni tout entendu. Monsieur Proust est un témoignage émouvant et intéressant. Le noyau de vécu est intact, il résiste à la mise en forme. Madame Proust a fort bien rappelé le temps passé. Pour le temps perdu, il faut écouter Proust lui-même.
Proust sur son lit de mort (photo de Man Ray)
Proust est mort la plume à la main, comme Kafka (1883-1924), son contemporain. Voici les dernières lignes de L’Innommable, le grand roman de Beckett, l’Irlandais de Paris, admirateur de Proust : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. » S’il n’a pas prononcé ces paroles-là devant Céleste, Proust a dû se les répéter souvent in petto. Continuons, mon cher Hervé.
Mais le Littré fait de vrai et véridique, de vérité et véracité, des synonymes.
J’apprends qu’il a traduit Evelyn Waugh. Il se trouve que cet été j’ai rendu service à un jeune australien de passage. En partant, il m’a offert un roman d’Evelyn Waugh, en traduction française. Or ce roman, Retour à Brideshead, traduit et paru en 1969 chez Laffont, réédité en 2005, est traduit par Georges Belmont. Une raison pour le lire bientôt.
J’ai chez moi la volumineuse biographie de Beckett, 1115 pages, écrite par James Knowlson (Beckett, James Knowlson, Actes Sud, 1999). Dans l’index des noms propres, à Pelorson, on renvoie à Belmont. Et en effet, Georges Pelorson-Belmont y est cité 21 fois. Jusqu’en 1939.
C’est le portrait fameux de Proust, en 1892, par Jacques-Emile Blanche. Proust conservait ce tableau chez lui.
Cité dans « Notre cher Marcel est mort ce soir », Henri Raczymow, Denoël, 2013, p. 32.
Proust et Céleste, Christian Péchenard, La table ronde, 1996.
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