Saluée par Fleur Pellerin, la résolution des problèmes que soulevait l’offre d’abonnement illimité permettra donc aux différents acteurs engagés de poursuivre leur activité. Toutefois, plusieurs modifications substantielles interviennent, dans la construction de leur offre. L’objectif premier reste de s'assurer que l’éditeur, et non les prestataires d’abonnements, fixe le prix de vente des ouvrages.
Le 08/07/2015 à 09:46 par Nicolas Gary
Publié le :
08/07/2015 à 09:46
Fleur Pellerin avec Vincent Montagne, président du SNE - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Conformément aux pistes qu’évoquait la Médiatrice, Laurence Engel, trois solutions ont été retenues et les opérateurs disposeront de 6 mois pour s’y conformer. La première solution est assez large, et non exclusive des deux autres :
le prestataire d’abonnement acquiert les droits d’exploitation des livres et en fixe le prix en tant qu’éditeur
Il s’agit d’une clause de cession de droit, à la manière d’un éditeur de livres de poche, qui achète les droits d’un grand format. Une solution qui sera combinable avec un des deux autres modèles. On comprend mieux, à ce titre, que Youboox ait modifié les statuts de sa société pour étendre son objet social à l’édition, la distribution et la commercialisation.
Ah, Youboox a étendu son objet social à l’édition, la distribution et la commercialisation de livres (Cc @ActuaLitte) pic.twitter.com/B7ZMgjBnWw
— Benjamin (@benjmo) 13 Mai 2015
D’ailleurs, Amazon avait déjà anticipé le coup, pour Kindle Unlimited, en choisissant d’ouvrir une maison d’édition qui depuis longtemps est donc en mesure d’anticiper cette approche.
Vers une diversité commerciale des offres
La deuxième solution, exclusive de la troisième, est destinée à favoriser une offre multiéditeur, tout en laissant planer quelques doutes sur son fonctionnement :
chaque éditeur fixe un prix pour son offre de livres et le montant de l’abonnement est la somme de ces prix individuels à laquelle s’ajoutent les frais d’accès à la plate-forme
Comme nous l’avons plusieurs fois expliqué, cette solution repose sur un modèle par lequel l’éditeur va fixer le prix de vente du catalogue qu’il propose en offre d’abonnement. Que ce soit à la page, au chapitre, l’éditeur est donc libre d’imposer le prix qu’il estime juste. Toutefois, elle est désormais décorrelée d’une notion de remise, qui s’applique logiquement quand un libraire vend un ouvrage traditionnellement. Ici, la rémunération de l’éditeur ne s’opère pas sur un prix de vente public, comme classiquement.
« L’éditeur et le prestataire d’abonnement se partagent l’ensemble des revenus générés par les abonnements, avec un prorata pour l’éditeur, établi selon la consultation effective. Plus l’opérateur disposera d’abonnés, plus les retours financiers seront intéressants pour l’éditeur », nous précise l'autorité de la Médiation.
L’autre possibilité, appliquée par Amazon, est celle d’une rémunération forfaitaire, selon que l’abonné aura lu plus de 10 ou 20 % d’un livre. Or, si la médiation ne portait pas précisément sur ce point, on comprend qu’un éditeur préférera cette seconde solution, plus rentable, à la première. « La question se pose effectivement, mais relèvera du droit de la concurrence », reconnaît l'autorité.
En effet, dans le premier cas, l’éditeur et le prestataire d’abonnement partagent une cagnotte définie par les abonnements. Dans la seconde, il faudrait envisager que le prestataire dispose déjà d’une cagnotte, dans laquelle il puisera, quel que soit son nombre d’abonnés, pour payer les consultations. Dans ce cas de figure, comment pourra-t-on fonctionner dans une concurrence saine, si ledit opérateur pratique, d’une manière ou d’une autre, une forme de vente à perte ? « Ce type de modèle peut favoriser des pratiques prédatrices, uniquement dans l’hypothèse où la rémunération est hypertrophiée, par rapport au chiffre d’affaires généré », poursuit l'autorité.
Bien, dans ce cas, la vigilance sera de mise et l’Autorité de la concurrence pourra être saisie. Mais comment affirmer, et surtout prouver que Kindle Unlimited – on ne va pas se voiler la face trop longtemps – pratique le dumping sur son offre illimitée. Ou dit autrement, qu’Amazon abonde un fonds par lequel il rémunère les éditeurs ? Peut-être que lorgner sur ce que KU faisait jusqu’à avec les auteurs indépendants apporterait un début de solution, non ? Sauf que le dumping n’est pas interdit aux États-Unis.
L'effet "trop" de lectures, ou le cas Scribd
La dernière modalité proposée est celle qui laisse le plus sceptique, particulièrement en regard de ce que Scribd a décidé de faire récemment.
l’abonnement acquitté par les clients abonde mensuellement un compte sur lequel est prélevé le prix de chaque consultation individuelle établi par l’éditeur, dans la limite des crédits disponibles.
La semaine passée, le service Scribd, qui propose une offre illimitée pour 8,99 $ mensuels, a choisi de supprimer des ouvrages de romance de son catalogue. Ces derniers, trop consultés, commençaient à leur coûter plus cher que les paiements ne leur rapportaient. Ainsi, 80 à 90 % du catalogue de Smashwords, gros fournisseur d’ebooks, mais aussi des titres de l'éditeur Harlequin allaient disparaître, le temps de revoir les grilles tarifaires.
On comprend donc immédiatement le danger de cette solution. Dans le troisième modèle, en fixant un prix trop élevé, le prestataire d'abonnement suscitera un effet dissuasif, et trop bas, il limitera la capacité de lecture de ses abonnés et donc, l'attractivité de son offre. « Lorsqu'il fixe le prix de son offre, l'éditeur détermine également l'unité de consommation (la page, le chapitre, le livre, la collection...). Le prestataire d'abonnement doit exercer sa rationalité économique : si la consommation est supérieure au montant qu’il a estimé, il doit augmenter le prix d'accès au service », analyse l'autorité de la Médiation.
Les opérateurs d’abonnement devront donc jouer au yo-yo dans les premiers temps et seront contraints à réévaluer leur offre, pour permettre au client de lire davantage. « C’est le modèle des cartes illimitées pour les salles de cinéma qui se présente. En rapportant le produit général et les revenus, au nombre de places effectivement achetées par ces clients, les salles peuvent réévaluer le prix de vente de leur carte. Et l’Autorité de la concurrence les accompagne dans cette démarche. »
Mais pour le coup, de la simplicité légalement contestée d’une offre à 9,99 €, on passe donc à différents modèles qui risquent de transformer la vie du client en petit enfer personnel. Sauf dans l’hypothèse Kindle Unlimited, où Amazon aura les moyens de reverser aux éditeurs ce qui leur est dû, sans, réellement, se préoccuper de ce que paye l’abonné...
Rémunération juste et équitable
Tout l’enjeu de la médiation reposait sur cette notion, découlant de la loi de mars 2011, sur le prix unique du livre numérique, que d’assurer une rémunération juste et équitable à l’éditeur. « C’est la préservation de la valeur du livre, par le prix de vente que fixe l’éditeur, qui est au cœur de la loi », reprend l'autorité. En tant que tel, donc, il n’y avait pas de mécanisme spécifique pour la rémunération de l’auteur, puisqu’elle découle du contrat d’édition lui-même.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Ce qui pourrait appeler à repenser le contrat d’édition, « et d’appeler à la responsabilité de chacun. Auparavant, les éditeurs accordaient un blanc-seing aux diffuseurs puisque ces derniers fixaient le prix de vente de l'abonnement. Ils n'étaient plus en mesure d'exercer la responsabilité que le cadre de régulation du livre leur confère. Maintenant que les éditeurs fixent leur prix, selon les différentes modalités, ils auront également à impliquer les auteurs. . »
Le lecteur également sera responsabilisé : « L’obligation d’information, qui permettra au lecteur de savoir sous quelles conditions commerciales il peut souscrire, est un renforcement de la lutte contre la déperdition de la valeur. Il saura si l’offre proposée lui semble conforme à ses intérêts – ce qui exige également une prise de conscience de sa consommation. »
Déduction faite : l’offre d’abonnement pour la musique ou le cinéma, par la notion d’illimité, entraînait une communication sur la dimension médiathèque de l’offre. Désormais, le livre est joliment exclu de cette dimension. La fin du papillonnage, d’un ouvrage à l’autre, et donc d’un potentiel de découverte qui était certes contestable, mais présentait des avantages. « Rien n'empêche la plateforme de proposer des extraits gratuits si l'éditeur y consent. Le butinage n'est donc pas exclu du modèle mais certes un peu plus encadré. »
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