Depuis plusieurs semaines, les membres du Bureau du SNE demandaient que le Syndicat prenne position sur la question de l'abonnement. Différentes organisations d'auteurs, mais également le Syndicat de la librairie française ou encore le Centre national du livre avaient déjà condamné ces offres. On attendait avec impatience que les principaux concernés se décident donc. Chose faite, sans trop de surprise.
Le 04/02/2015 à 16:55 par Nicolas Gary
Publié le :
04/02/2015 à 16:55
Laurence Engel, médiatrice du livre, devrait rendre sous peu son avis : diligentée par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, la question de la légalité de l'abonnement illimité lui avait été soumise. Et le SNE, très en retard sur le sujet, avait décidé de profiter de la communication du ministère pour enfin se déclarer opposé à cette offre. Le fait que le Medef du livre se soit enfin prononcé laisse donc augurer que le rapport de la Médiatrice ne devrait maintenant plus tarder.
Laurence Engel avait d'ailleurs confié à ActuaLitté, « ne pas vouloir brimer l'innovation en France, mais nous ne pouvons pas cautionner des offres qui soient destructrices de valeur. L'industrie du livre est en attente de solutions qui apportent des réponses aux besoins des lecteurs. Le tout sans brimer les sociétés qui ne sont pas éditrices, mais apportent des solutions nouvelles ». Voilà deux semaines, l'avis de la Médiatrice n'était toujours pas connu, quoiqu'il ne fasse quasiment plus aucun doute.
L'offre d'abonnement multi-éditeur, illégale. Point.
Dans son analyse juridique, le SNE constate donc que les offres d'abonnement multi-éditeurs ne sont pas compatibles avec la loi du 26 mai 2011. Christine de Mazières, secrétaire générale du Syndicat, précise à ActuaLitté que la décision devait être communiquée à l'occasion des vœux, mais les événements de Charlie Hebdo avaient contraint à reporter cette divulgation. « Le Syndicat de la librairie avait été informé mi-décembre, et nous avons, cette semaine, informé nos membres des conclusions que nos services juridiques ont trouvées. »
« Seules les offres proposées dans un cadre professionnel, destinées à l'enseignement supérieur ou la recherche peuvent être compatibles avec la loi sur le prix unique du livre numérique », poursuit la secrétaire générale. Mais le SNE n'a pas vocation à légiférer sur les offres commerciales des éditeurs : « Nos membres agiront en conséquence, et les très rares éditeurs qui avaient proposé des ouvrages ne le faisaient qu'à titre d'expérimentation. Et surtout, avec des offres anciennes, et aucune nouveauté, bien entendu. »
Pour exemple, dans la bande dessinée, « cela permet de redonner du souffle à des séries anciennes, qui ne se vendent plus en papier. Mais elles ne peuvent être fournies que par les éditeurs eux-mêmes. Ce n'est qu'un début de solution, pour répondre aux besoins des clients, mais la coexistence de différentes offres ne peut qu'apporter de la concurrence et de l'émulation sur le marché ».
La mise en conformité, cependant, ne pourra être imposée qu'à condition qu'une décision judiciaire intervienne. Si jusqu'à lors, plusieurs offres de start-up françaises s'étaient lancées sur le marché, c'est bien entendu Kindle Unlimited qui a déclenché la consultation de la Médiatrice. D'autres problèmes annexes se posent en effet : la présence de toute l'œuvre Harry Potter, mettait en porte à faux la maison Gallimard. Mais qui possède les droits numériques de ladite traduction ? Manifestement pas l'éditeur, qui ne pouvait donc empêcher que la saga du petit magicien soit présente sur la plateforme d'Amazon.
Le SNE n'émettra pas d'avis supplémentaire – beaucoup redoutent encore qu'une plateforme de type 1000 et 1 libraire ne voit le jour, par laquelle des solutions d'abonnements seraient proposées.
Favoriser la médiation
Or, selon nos informations, il s'était monté au SNE un front commun réunissant plusieurs maisons, farouchement opposées à l'offre d'abonnement, tandis que, Vincent Montagne, le président du Syndicat avait bien engagé ses différentes maisons BD (Dargaud, Dupuis, Lombard) et jeunesse (Fleurus), dans l'expérience Unlimited. De quoi mettre un peu d'eau dans le gaz, apprenait-on.
Arnaud Nourry, PDG du groupe Hachette Livre, s'était pour sa part montré implacable, sur la question de l'abonnement. « Je serai le dernier à plonger. Ça n'a aucun sens. Dans la musique, les formules d'abonnement peuvent avoir du sens, parce que les gens consomment beaucoup de morceaux », assurait-il. Mais surtout : « Si nous allions vers l'abonnement, nous irions, c'est sûr, vers la destruction du modèle économique que nous mettons en place. »
Dans tous les cas, la ministre rappelait, fin décembre 2014 que « [l]a loi de 2011 établit une règle : c'est l'éditeur qui fixe le prix de vente du livre numérique. À ce titre, l'offre proposée par Kindle Unlimited ne semble pas conforme à la loi ». Et d'ajouter : « Toutes les offres de livres doivent respecter le même principe fondamental : une juste rémunération de l'ensemble des acteurs concernés et, en particulier, des auteurs, car c'est la condition de la vitalité de notre création et de la préservation de la diversité culturelle. »
Joint par ActuaLitté, le cabinet de Fleur Pellerin nous confirme que, « désormais, l'avis de Laurence Engel sera rendu très rapidement. Il nous faudra prendre connaissance précisément de l'avis, et il ne nous est pas possible de dire ce qui sera fait. Dans tous les cas, madame Engel fera son travail de médiation avant toute chose. » Il s'agirait donc de favoriser les discussions, plutôt que d'envisager une modification de la loi, ou une interdiction pure et simple, mais rien n'est certain avant la publication de l'avis. « La Médiatrice a procédé à plusieurs dizaines d'auditions, et ne s'est pas simplement appuyée sur les avis qui avaient été communiqués », précise le ministère.
Il se murmure tout de même, dans les couloirs de Valois, que les analyses qu'avait proposées ActuaLitté ont reçu un certain écho, plutôt très favorable.
Voici l'intégralité de l'avis rendu par le SNE
Offres d'abonnements dits illimités : analyse juridique
L'apparition récente de nouvelles offres d'abonnements dits illimités pour des livres a suscité un vif débat dans les médias. Dans beaucoup de secteurs économiques, et en particulier dans certains secteurs culturels comme la musique et la vidéo, nous assistons en effet à un glissement d'une logique de propriété à une logique d'usage. Il est de la responsabilité de chaque entreprise de trouver les meilleures manières de répondre aux évolutions de la demande de ses clients, tout en s'assurant que les nouveaux modèles économiques ne détruiront pas la valeur de leur offre.
Le secteur du livre présente des spécificités du par rapport à d'autres secteurs. Tout d'abord, force est de constater que les offres d'abonnements « illimités » n'ont pas contribué à développer le marché du livre numérique, pas même aux Etats-Unis. Par ailleurs, les lecteurs ont à leur disposition un formidable réseau de lecture publique, qui démultiplie l'accès au livre. De multiples expérimentations de prêt numérique en bibliothèque sont en cours. A cet égard, éditeurs, auteurs, libraires et bibliothèques ont adopté en commun, en décembre 2014, des recommandations de bonnes pratiques pour diffuser le livre numérique dans les bibliothèques.
En France, où le principe du prix unique du livre a été transposé au livre numérique par la loi du 26 mai 2011, la question de la compatibilité des nouvelles offres d'abonnement avec la loi se posait.
Après analyse juridique et mûre réflexion, le Bureau du SNE est parvenu à la conclusion en décembre dernier que les offres d'abonnement dont les prix ne sont pas fixés par les éditeurs ne sont pas légales, hormis les exceptions prévues par la loi de 2011 sur le prix du livre numérique, à savoir les offres à usage collectif proposées dans un but professionnel, d'enseignement supérieur ou de recherche. Dans ces secteurs, en effet, des offres d'abonnement multi-éditeurs existent depuis longtemps, à l'initiative des éditeurs eux-mêmes, et correspondent aux spécificités de leurs modèles économiques. En revanche, pour le marché « grand public », la loi n'autorise pas les offres d'abonnement multi-éditeurs, seulement les offres d'abonnement constituées par un seul éditeur, qui en maîtrise le prix.
Le SNE estime donc que la loi a été bien conçue, en transposant au numérique une régulation bénéfique préservant la diversité culturelle, tout en tenant compte des particularités de certains marchés éditoriaux.
Cette position du SNE, qui fait l'objet d'un large consensus au sein de la chaîne du livre, des auteurs aux libraires, a été transmise à la Médiatrice du Livre, saisie entre-temps de cette question par la Ministre de la Culture, et qui devrait rendre ses conclusions prochainement.
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