Décryptage d’une nouvelle tendance qui modifie la relation au lecteur sur les médias sociaux. Tout a commencé avec l’émergence de Snapchat. Plus les usages sur cette plateforme allaient croissants, plus les géants du web se devaient de réagir. Le groupe Facebook a d’abord lancé les Stories sur Instagram avant de proposer cette même fonctionnalité sur le réseau social historique avec « Ma journée » (ou Messenger Day, une fonctionnalité qui n’est pas encore accessible aux pages Facebook, mais qui pourrait l’être bientôt).
Le 13/10/2017 à 11:01 par Stephanie Vecchione
Publié le :
13/10/2017 à 11:01
DesEquiLIBROS, CC BY ND SA 2.0
Dans un paysage social médias saturés, quel intérêt représentent ces contenus autodestructibles en 24 h ? Pourquoi suscitent-ils autant d’engouement de la part des usagers, mais aussi des lecteurs ?
Chez les plus jeunes, utilisateurs historiques de Snapchat, l’enjeu était bien entendu de protéger leur identité numérique. Limiter la portée du partage social à leur cercle d’amis, limiter la visibilité de leur contenu dans le temps, et s’assurer ainsi une protection contre le bashing (le harcèlement sur les médias sociaux).
En se démocratisant, cette pratique a touché de nouvelles cibles et elle a ainsi commencé à répondre à de nouvelles attentes. Les utilisateurs passent aujourd’hui moins de temps à partager ou à produire du contenu qu’à le consommer. Et la vidéo occupe un tiers de leur temps passé en ligne. Or, les stories s’inscrivent dans cette logique d’un contenu facile à recevoir.
Ces publications éphémères sont également dans la lignée de certaines tendances visibles des médias sociaux : vers plus d’instantanéité (spontanéité), vers plus d’humanité (personnification), plus de proximité (intimité), plus d’authenticité (transparence et confiance), et plus de personnalisation (exclusivité et projection).
En modifiant ainsi les règles du jeu éditorial sur les médias sociaux, c’est la relation même à l’usager et au lecteur qui se modifie. Impossible de se recroqueviller derrière de l’informationnel pur. Le texte s’efface pour privilégier un storytelling fragmenté qui exige soit de réagir à l’instant, soit de mettre en scène l’information pour en saisir les composantes émotionnelles.
À mon sens, ces contenus sont un atout pour le secteur du livre, car non seulement ils génèrent de meilleurs taux d’engagement (l’urgence de découvrir maintenant ce qui aura disparu demain), mais surtout, car ils permettent nouer des liens plus ténus avec le lecteur tout en exploitant des contenus qui généraient jusqu’à présent peu d’engagements.
Voici quelques exemples pratiques pour illustrer concrètement le changement dans la relation au lecteur charrié par les contenus éphémères.
La spontanéité est une attitude sur les médias sociaux. Elle exige d’être constamment en alerte, de se demander à chaque instant ce qui peut être exploité du quotidien ou du calendrier événementiel de la maison pour le donner à connaître aux lecteurs.
Dans le cas de Folio, on joue sur une mise en scène simple qui résonne avec le quotidien des lecteurs : une balade automnale en pleine nature. La démarche est complétée par la nouvelle fonctionnalité « sondages » des Stories, qui permet d’engager concrètement le dialogue avec les lecteurs abonnés.
Côté Livre de Poche, on choisit de couvrir une opération promotionnelle. La singularité de l’opération (distribution de livres dans un train) et son aspect limité dans le temps en font un sujet idéal pour une story.
2. L’humanisation ou comment personnifier sa maison et incarner la marque
J’avais développé dans mon précédent article la nécessité pour une stratégie social médias de reposer sur l’employee advocacy. Si faire participer les équipes d’une maison d’édition à l’animation des médias sociaux n’est pas toujours possible dans les faits, il existe des moyens plus ludiques de mobiliser ses collègues et salariés.
Chez Hachette Romans, on a choisi le de faire en publiant les photos d’enfance de collègues féminines pour le lancement d’un titre qui défend la scolarisation des jeunes filles. Mobiliser en interne autour de ce lancement avait donc du sens.
La participation des lecteurs sur cette opération n’a pas été au rendez-vous pour diverses raisons : mécanique trop complexe, pas de gain/prix, et timing trop court pour susciter un engagement significatif. Cependant, elle a le mérite d’avoir adopté un juste angle pour ce lancement : celui de rendre la marque discrète pour valoriser l’engagement de ceux qui la font.
Nouer une relation de proximité avec les lecteurs, c’est comprendre que les médias sociaux sont une courroie de transmission directe : de l’éditeur vers le lecteur, mais aussi et surtout, des lecteurs vers l’éditeur.
Chez Robert Laffont, les équipes de la Collection R ont intégré cette dimension d’intimité en s’adressant directement à leurs lecteurs (ou plutôt lectrices) tout en adoptant les mêmes codes de communication : filtres Snapchat, présentation des nouveautés façon BookHaul (à la manière d’un Booktubeur). Plus important encore : la cible étant particulièrement sensible aux couvertures des livres, on prend soin de solliciter son avis via un sondage.
4. L’authenticité ou comment favoriser la transparence et installer une relation de confiance avec son lecteur
Authenticité et transparence sont les mots qui reviennent le plus souvent lorsque l’on parle des médias sociaux. Et il est vrai que cette nouvelle manière de communiquer avec ses lecteurs est en soi une révolution dans un monde du livre traditionnellement opaque. Les éditeurs sont incités à communiquer sur un changement de couverture comme vu précédemment ou sur l’achat de nouvelles licences dans le manga par exemple. Dans le format stories, cela peut se traduire uniquement par : « prendre le temps de lever le voile sur les coulisses ». C’est un aspect sur lequel j’insiste beaucoup, dans mes articles, avec mes clients, mais on sous-estime souvent la fascination des lecteurs pour le monde de l’édition lui-même.
Chez J’ai lu, la transparence revient tout simplement à montrer en direct et en détail la réception des nouveautés. Les équipes ont choisi de le faire à la manière de leurs lecteurs, via un unboxing (ouverture des colis en direct, thème que l’on retrouve souvent dans les vidéos de booktubeurs).
Personnaliser le dialogue avec chacun de ses lecteurs sur les médias sociaux, une tâche qui semble difficile a priori. Pourtant les contenus éphémères donnent cette sensation que l’éditeur parle directement et exclusivement au lecteur, sûrement le format de cette fonctionnalité qui permet d’interagir uniquement avec l’éditeur, mais pas avec les autres lecteurs.
Tout se passe comme si le lecteur était un privilégié auquel on proposait une expérience unique. C’est d’ailleurs ainsi que les équipes d’Albin-Michel ont exploité le format récemment, pour le lancement du dernier livre de Katherine Pancol. Une équipe de lectrices blogueuses avaient été invitées à lire le livre en avant-première durant toute une nuit, avec une surprise finale, car l’auteure les a rejoints au petit matin. L’ensemble de l’opération a été raconté via des stories, faisant ainsi partager aux lectrices restées derrière leur écran l’évènement en avant-première.
En donnant la possibilité d’interagir de manière encore plus directe avec les lecteurs, ces nouveaux contenus soulèvent également de nouvelles questions. Par exemple, l’évaluation du ROI des stories est pour l’instant difficile. Plus complexe encore, la redéfinition des lignes éditoriales qu’impliquent ces nouveaux contenus. Éphémères, ils ont beaucoup moins d’impact direct sur l’identité de la maison que les contenus dits evergreen (ceux qui perdurent dans le temps). Produire des contenus éphémères commence donc par une redéfinition de la stratégie médias sociaux globale : quels sont les contenus qui participent de l’identité de la maison, et quels sont ceux pertinents pour les lecteurs, mais qui n’ont pas besoin de perdurer dans le temps ?
On observe également, dans d’autres secteurs cette fois, une véritable professionnalisation des stories. Je vous invite, par exemple, à suivre celles produites par le Centre Pompidou ou le théâtre du Châtelet, deux institutions qui ont choisi d’investir dans ce format pour la promotion de leurs évènements.
Stéphanie Vecchione,
La nouvelle promotion du livre
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