Après plusieurs mois de médiation avec les principaux acteurs de la filière de l’édition (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaire), le Ministère de la Culture vient de déclarer que les modèles d’abonnement des principales bibliothèques digitales françaises étaient conformes à la loi sur le prix du livre numérique. Juan Pirlot de Corbion, fondateur de YouScribe, revient ici sur les principes de rémunération, en observant comment l'offre d'abonnement peut apporter un complément de revenu, et offrir un réelle complémentarité à la librairie.
Le 09/07/2015 à 09:46 par La rédaction
Publié le :
09/07/2015 à 09:46
Comment l’abonnement en streaming d’ebooks contribue-t-il à la rémunération de la filière du livre ?
Laurence Engel, Médiatrice du livre, aux Rencontres nationales de la librairie - ActuaLitté CC BY SA 2.0
Du streaming conforme à la loi française pour un modèle mutualisé des abonnés.
L’offre d’abonnement en streaming dans le livre peut désormais engager sa pleine croissance à l’instar de l’industrie de la musique, du jeu et du cinéma, avec la même promesse : lisez autant de livres que vous le souhaitez quand vous voulez, où vous voulez, en connexion ou hors connexion et sur n’importe quel matériel de lecture pour moins de 10 € par mois.
Un modèle mutualisé des abonnés va permettre à tous les éditeurs de fixer le prix des ebooks proposés dans l’offre et d’établir ainsi un plafond de consommation adressé à l’ensemble des abonnés. La promesse de ces bibliothèques digitales est très proche d’une bibliothèque classique : vous êtes membre ou « abonné » de votre bibliothèque habituelle. Vous y avez autant de lectures possibles, vous pouvez consulter sur place ou emprunter un livre chez vous… dans la limite des stocks d’acquisitions ou des licences dudit établissement public ou privé.
La grande différence entre les deux bibliothèques se situe dans la mobilité : la bibliothèque digitale vous accompagne partout où vous voulez, quand vous voulez ; quant à la bibliothèque classique, il vous faut vous rendre physiquement dans l’établissement pour y consulter des ouvrages ou pour effectuer un emprunt qui sera temporaire.
La filière du livre est organisée globalement sur deux axes de distribution : le réseau de détail (libraires, club de livres, grandes surfaces), près de 20 000 points de vente en France, et le réseau des bibliothèques (environ 10 000 établissements). Le réseau de détail vend chaque année environ 350 millions de livres (3.85 Mds € de chiffre d’affaires). Les bibliothèques, qui recensent environ 15 millions d’adhérents en France, prêtent de l’ordre de 200 millions de livres chaque année (pour assurer les services de prêt, les bibliothèques font des acquisitions de livres auprès des libraires).
Dans le réseau de distribution classique (librairies, clubs, ventes en ligne), le lecteur achète le livre, en devient propriétaire et s’acquitte du prix fixé par l’éditeur (le prix de vente moyen est de 11 € TTC). Le fonctionnement est à peu près le même pour la vente de livres numériques en téléchargement à l’unité (le prix de vente est cependant plus bas).
On entend ici ou là, et souvent que l’abonnement en streaming serait destructeur de valeur. Or, il semble que ce pourrait être tout à fait le contraire. Comment mieux le comprendre sinon en comparant le modèle de librairie à celui de la bibliothèque digitale du point de vue de la consommation du lecteur ? Une étude a été conduite par YouScribe en juillet 2015 pour reconstituer la contribution économique moyenne par lecteur dans la filière.
On le voit ici, les revenus de l’abonnement en streaming par lecteur par mois sont globalement supérieurs à ceux de la vente à l’unité.
Toute la filière du livre est financée dans sa quasi-totalité par les lecteurs, à la différence d’autres industries culturelles. L’approche raisonnée de la contribution par lecteur permet aussi de sortir des controverses ambiguës de la valeur du stream, c’est-à-dire de la valeur de la page lue qui est affichée souvent comme ridiculement basse. Or comparer l’intérêt des modèles selon la valeur de la page lue n’a que peu d’intérêt : que sait-on en effet du comportement du lecteur qui a acheté un livre en librairie ou qui l’a emprunté dans une bibliothèque ? Pas grand-chose. Est-ce que le livre a été lu ou relu, en tout ou partie, ou pas du tout ? La comparaison de la valeur à la page n’est pas raison. La référence à la page lue sert avant tout à répartir le chiffre d’affaires d’un opérateur d’abonnement entre les livres des éditeurs. N’est-il pas logique d’ailleurs qu’un livre effectivement beaucoup lu capte plus de rémunérations qu’un livre qui le serait moins ?
Les modèles de bibliothèque (ou d’abonnement) en streaming sont désormais un usage courant dans les industries culturelles (voir Netflix, Deezer, Spotify, Zynga…). Dans la musique, les revenus des labels et des artistes n’ont globalement pas diminué depuis 10 ans malgré la chute des ventes des supports physiques depuis les années 2000 (voir étude récente de Strategy& : The digital future of creative Europe – juin 2015). Le modèle d’abonnement en streaming est en train de créer une valeur économique significative, supérieure aux ventes à l’unité.
La simplicité d’accès d’une bibliothèque numérique joue un rôle majeur. Dans les nouveaux usages digitaux, le simple, l’immédiat, l’interopérabilité, l’effet de recommandation de ses réseaux, la mobilité jouent un rôle décisif. À la question : « Diriez-vous que la location par abonnement est adaptée ou pas adaptée à la consommation de la lecture de livres ? », 74 % des Français avaient répondu par l’affirmative selon un sondage IFOP de juin 2014.
De plus, un lecteur peut facilement passer d’un livre à l’autre, entrer dans une logique d’échantillonnage. À part pour le roman ou la bande dessinée, il est rare que l’on ait besoin de lire une œuvre en totalité. Précisément, sur ce point, les bibliothèques 2.0 apportent une réponse nouvelle et attractive pour les ayants droit puisque chaque page lue, chaque extrait parcouru sont rémunérés.
La disposition à payer du lecteur pour un modèle de bibliothèque est donc supérieure. C’est également ce qui a été constaté pour les abonnements dans les salles de cinéma (carte). L’abonné investit en général davantage dans une filière, car il bénéficie de services et d’une promesse future qu’il juge valorisante. Mais surtout, on peut parier que le lecteur lira davantage qu’auparavant. N’est-ce pas un facteur de réjouissance pour les auteurs et pour les éditeurs ?
La bibliothèque digitale, simple d’accès est par ailleurs une réponse positive et immédiate au risque de développement du piratage. Qu’est-ce que le piratage ? Un abonnement illimité gratuit. Combien d’abonnés actuels de Deezer et de Spotify avaient des comportements illicites avant 2007 ? Sans doute une partie non négligeable : certains utilisateurs payaient volontiers des services sur des sites pirates en croyant que c’était sur des plateformes légales. La licence légale est une des meilleures réponses à ces phénomènes incontrôlables. Elle crée surtout une valeur pour la filière de la création que les usages illicites ont tendance à détruire.
La bibliothèque digitale est complémentaire à celui de l’achat du livre papier ou de l’achat en téléchargement. Les modèles ne sont pas antinomiques. Le lecteur va en bibliothèque et en librairie selon ses besoins, en fonction de son âge, de ses moyens ou selon les catalogues qui lui sont proposés. La bibliothèque digitale est une réponse de plus à ses attentes. Plus le livre sera représenté et défendu dans tous les univers et plus il s’en lira. Enfin, il faut souligner que les libraires traditionnels peuvent jouer aussi un rôle déterminant en commercialisant eux-mêmes des solutions d’abonnement en streaming pour leurs clients. La transition digitale est aussi une opportunité pour les libraires.
Les éditeurs de leur côté ne s’y trompent pas : selon le Baromètre 2014 de l’offre de livres numériques en France (KPMG – mars 2014), près de 97 % des éditeurs français interrogés considèrent que les ventes de livres numériques constituent une source de CA supplémentaire.
La bataille culturelle de l’attention pour le livre a commencé
L’abonnement en streaming apporte une rémunération attractive et complémentaire pour les éditeurs et les auteurs. Il a une autre vertu : celle de permettre au livre de batailler contre les autres industries culturelles qui font, chacune, tout ce qui est possible pour capter l’attention des usagers. Face à la vidéo, aux mails, aux SMS, aux jeux, aux photos, le modèle simple des bibliothèques digitales peut camper solidement le livre au milieu des usages spontanés de la génération Y et y livrer bataille pour que remonte le temps et l’intérêt pour la lecture.
Participer au développement d’une bibliothèque digitale de livres en streaming parmi les millions d’écrans mobiles, c’est faire aujourd’hui le pari que l’écriture et l’édition resteront parmi les pratiques les plus utiles pour diffuser les savoirs et soutenir une meilleure compréhension du monde.
Juan Pirlot de Corbion
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