Gaëlle Nohant a passé le confinement à Lyon. Et justement, on assimile facilement et hâtivement cette réclusion au travail même de l’auteur. Invitée de notre podcast Les mots en boîte, la romancière répond à nos questions.
ActuaLitté : Cela vous donne envie de rire ou de pleurer d’entendre que le confinement est constitutif de la vie d’auteur ou d’autrice en l’occurrence ?
Gaëlle Nohant : Moi, ça me rappelle un peu quand j’ai eu un bébé et que j’ai entendu tout autour de moi « c’est super tu vas avoir plein de temps pour écrire pendant qu’elle est petite ». Je ressens un peu la même chose avec ce confinement, dans le sens où cela reflète, et c’est tout à fait normal, le mystère qui entoure notre métier. Les gens ne savent pas réellement ce qui constitue le métier d’auteur.
Bien sûr, il existe une notion de confinement dans l’écriture, une dimension un peu monacale obligatoire pour écrire des livres, mais précisément, cela n’a rien à voir avec le confinement que l’on vit. Le confinement des écrivains est un confinement choisi. Ils décident de se cloîtrer, ils organisent leur retraite à certains moments, avec des rituels qui leur sont propres. Il s’agit d’un confinement volontaire, alors que là, c’est un confinement imposé.
Moi, je me suis confinée toute l’année dernière pour écrire mon dernier livre La femme révélée. Vu que ma vie s’organise selon deux pôles assez extrêmes, après mon confinement choisi, c’est l’autre pôle qui a commencé au mois de janvier, c’est-à-dire une tournée dans toute la France, avec une partie très très sociale. J’ai besoin de me régénérer, de sortir de mon côté monacal pour rencontrer plein de gens, parler de mon livre ; et être ainsi enrichie par ces rencontres. À la place, en plein milieu, non en fait au début, je me suis retrouvée à nouveau entre quatre murs, et cette fois-ci, je ne l’ai pas choisi.
En plus de ce confinement, il y a cette épidémie. On se retrouve complètement encerclé par des nouvelles inquiétantes. Nous avons des angoisses terribles pour l’avenir proche. Tout ça ne ressemble pas du tout au confinement choisi de l’écrivain, et n’est en rien favorable à l’écriture. Peut-être que certains auteurs arrivent quand même à écrire. Moi, en tout cas, ceux qui sont mes amis, je m’aperçois qu’ils sont un peu comme moi, ils ont beaucoup de mal. Pour eux, ce moment n’a rien à voir avec la manière dont on se retire normalement du monde pour écrire.
ActuaLitté : Durant cette période qu’avez-vous fait, si l’écriture est si difficile ?
Gaëlle Nohant : Alors, la première semaine je n’ai pas fait grand-chose. J’avais le sentiment très étrange d’être devenue un personnage de l’un de mes romans. Finalement, le sujet récurrent de mes livres, c’est l’histoire de gens qui avaient des plans dans la vie, des projets. Et puis il se passe quelque chose qui va gommer, balayer tous leurs projets.
ActuaLitté : C’est le cas de l’héroïne dans votre dernier roman Eliza Donneley...
Gaëlle Nohant : Notamment oui. Cet événement peut être la guerre, la guerre c’est typique. Mais plein d’autres choses aussi. Nous n’avons pas vécu cette expérience-là dans ma génération. Évidemment ce n’est pas comparable avec Verdun ou l’Occupation, mais il n’empêche que cette situation comporte une dimension tragique. Plein de gens meurent autour de nous. Et puis, il y a surtout toutes ces interdictions de mouvement, ces restrictions de libertés, de sorties, qui sont évidemment nécessaires, mais pesantes. Tous les projets que l’on avait sont repoussés, suspendus ou alors détruits.
La première semaine, j’ai vraiment eu le sentiment fou de me retrouver dans l’un de mes romans. Je devais savoir si j’étais aussi forte que mes personnages pour arriver à trouver ma part de liberté à l’intérieur de ces contraintes. Je n’ai pas encore réussi à répondre à cette question aujourd’hui. Par contre, assez vite, je me suis remise au travail, parce que j’ai un projet de roman, qui date d'avant le confinement. Et, j’étais vraiment à fond avant le confinement.
J’étais vraiment exaltée par ce sujet, je me trouvais dans cette espèce d’effervescence du début. Et puis le confinement a donné un coup d’arrêt à mon enthousiasme. Mon roman est devenu une planète qui recule, une planète très lointaine. Mais, je continue de graviter autour. Et donc, je suis arrivée à me remettre au travail, en prenant des livres de documentation, livres que j’avais stockés avant le confinement, que j’avais déjà achetés et qui sont assez ardus. Certains sont en anglais. Certains sont arides. Ce ne sont pas des romans, ce sont des livres de chercheurs.
ActuaLitté : Sur quel sujet ?
Gaëlle Nohant : Ahah... Sur des archives. Je ne peux pas tellement en dire plus, parce que j’ai envie de ne pas trop déflorer mon prochain sujet. En tout cas, c’est le contenu d’un centre d’archives et c’est très aride. Ce sont des côtes, des manières de classer, d’archiver. A priori, l’héroïne de mon prochain livre sera archiviste. Je travaillais là-dessus, et comme c’était très difficile, cela m’obligeait à me concentrer et c’est ainsi que je me suis remise au travail. Maintenant, je peux recommencer à lire des romans qui sont liés à mon sujet. Je gagne du temps parce que mon emploi du temps de l’année à venir est remis en question.
Tout ce que j’avais prévu de faire est chamboulé. J’avais, par exemple, prévu de partir 15 jours en Allemagne pour travailler cet été, et il y’a peu de chance que je puisse y aller. À l’automne prochain, j’avais prévu de travailler à fond sur mon roman, mais à mon avis, je vais plutôt faire des rencontres et des salons qui seront reportés à ce moment-là. Donc, si je peux avancer la documentation dès aujourd’hui, cela me permet de ne pas trop perdre de temps.
ActuaLitté : Comment vous vous sentez par rapport à cette émergence de textes, nécessaires probablement, cela vous attire-t-il ?
Gaëlle Nohant : Non, non. En fait, j’ai beaucoup de mal avec cette profusion. Je lis très peu les tribunes. J’ai le sentiment que l’on manque beaucoup de temps et de distance par rapport à ce que l’on est en train de vivre. Il faut du temps et de la distance pour digérer tout ça, pour digérer la façon dont cette crise est en train de traverser nos vies, de l'impacter. Un peu comme le 11 septembre.
Je ne me souviens pas si des livres sont sortis juste après le 11 septembre. Je me rappelle néanmoins très bien qu’au bout de quelques années de très bons livres sont arrivés, notamment les livres de Don DeLillo ou Ian McEwan. Plusieurs auteurs ont sorti en quelques mois de très bons romans sur le 11 septembre, mais plusieurs années après.
ActuaLitté : Alors durant cette période, question extraordinaire, avez-vous acheté des livres, et si oui, comment ?
Gaëlle Nohant : J’ai acheté quelques livres, moins que d’habitude certes. J’avais déjà fait pas mal de stocks avant le confinement. Je ne suis pas spécialement en manque de livres, j’en ai plutôt trop ! J’ai les yeux plus gros que le ventre quand il s’agit de livres. J’ai quand même acheté des livres, parce que j’avais des envies de tel ou tel livre, des envies très différentes. Je les ai achetés en format électronique.
Lire sur une liseuse n’est pas ce que je préfère, j’aime lire sur papier, mais j’ai pris l’habitude de lire sur liseuse parce que pour mon travail c’est parfois plus facile. Il y a des livres que je ne trouve qu’en format électronique, et comme j’étais supposée partir en tournée pendant des mois et me promener partout, c’est plus léger d’avoir une liseuse. Donc, j’ai acheté des livres électroniques. Mes envies sont très variées et, de plus, en ce moment je fais quelque chose que je ne fais pas trop d’habitude, je lis plusieurs livres en même temps. C’est vraiment selon les jours, les moments.
Quand je suis en plein milieu d’une insomnie et en proie à toutes mes angoisses, quand tout se réveille, j’essaie de lire quelque chose de plus léger. Par exemple, Oh Happy Day d’Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat, qui est paru juste avant le confinement. C’est la suite de Et je danse aussi, que j’avais beaucoup aimé, un roman par correspondance entre un écrivain et une jeune femme qui se présente comme une fan.
ActuaLitté : Je voulais continuer sur le thème de l’achat des livres, en rebondissant sur la question de la librairie. En cette période de confinement, le lien qui existe entre les auteurs et les libraires a été dévoilé et révélé au grand jour.
Gaëlle Nohant : J’ai toujours été persuadée, depuis très longtemps, que les auteurs et les libraires, nous devons être extrêmement solidaires les uns des autres, parce que notre survie dépend l’une de l’autre. Nous sommes vraiment aux deux bouts de la chaîne du livre, et nous sommes les deux pièces les plus fragiles. Nous avons besoin les uns des autres. Nous sommes très nombreux à l’avoir compris.
Les libraires se battent pour défendre les auteurs qu’ils aiment. Et en particulier, toute cette catégorie d’auteurs, qui représente la classe moyenne des auteurs, dont je fais partie. Les auteurs qui ne sont pas des auteurs de best-sellers, mais qui vendent entre 5000 et 15.000 exemplaires. Cette zone-là est la plus menacée. Elle l’était déjà depuis un certain temps, mais elle sera encore plus menacée à l’avenir. Ces auteurs ont vraiment besoin des libraires pour survivre. Et les libraires sont eux aussi extrêmement menacés par cette crise.
Tout ce que l’on peut faire les uns pour les autres est important. J’essaie au maximum de partager sur les réseaux sociaux toutes les informations qui expliquent comment venir en aide aux libraires, qui indiquent quelles librairies proposent des drives ou des click and collect. Il faut que ces informations circulent, que les gens sachent où et comment acheter des livres dans ces librairies.
J’ai réalisé à titre personnel, cela m’a été confirmé, car je le savais déjà, que si je vends des livres, c’est vraiment grâce aux libraires. Ce n’est pas grâce à Amazon. Dans les premières semaines du confinement, durant lesquelles il n’y avait plus qu’Amazon, puisque les libraires n’avaient plus le droit de vendre, mais Amazon toujours le droit de livrer, mes ventes se sont complètement écroulées.
ActuaLitté : Avez-vous pu trouver des solutions pour pallier cette absence de publicité et de promotion ?
Gaëlle Nohant : Les solutions sont venues de plusieurs personnes, dont un couple d’amis à moi, un couple de lecteurs belges que j’ai rencontré grâce à mes romans. Ils sont venus me voir, virtuellement je précise, en me disant « nous avons une idée pour toi, nous allons t’organiser des rencontres virtuelles par zoom. Les libraires seront invités à chaque fois à participer et au besoin, nous les formerons. Comme ça tu vas pouvoir continuer ta tournée d’une autre manière ».
C’était formidable. Je l’ai fait et je continue à le faire. Et les rencontres se multiplient. J’ai d’autres rencontres organisées par des libraires eux-mêmes. Je fais aussi partie d’un projet initié par Frédérique Deghelt, Un endroit où aller, où elle a inscrit une trentaine d’auteurs. Avec à chaque fois des libraires différents, cela prend aussi la forme de rencontres virtuelles par zoom.
ActuaLitté : Et vous avez accédé à La grande librairie, dématérialisée, mais tout de même.
Gaëlle Nohant : C’était inespéré, un cadeau inespéré. Je n’essayais plus du tout d’avoir La grande librairie, c’était arrêté pendant un temps. Et l’autre jour, ils m’ont appelée pour me demander si je voulais participer à une émission à distance. J’ai trouvé ça incroyable, mais aussi extrêmement stressant. Au final, ce fut un cadeau formidable et inespéré. C’est une émission qui passe ce soir (NDLR : 29 avril).
C’était très particulier. Il y’avait des contraintes d’enregistrement, l’émission s’est déroulée par Skype, des contraintes que l’on a pas du tout quand on fait une émission en plateau. Par exemple, nous ne nous voyions pas entre invités, nous ne voyions que François Busnel. Nous entendions les autres invités uniquement. C’était un peu déstabilisant et frustrant de ne pas voir les autres. En même temps, les problèmes techniques, et il y en avait d’autres, ont été compensés par une grande chaleur présente sur ce plateau virtuel.
L’émission était organisée autour de Tatiana de Rosnay, qui est une auteure très généreuse avec les autres. J’en sais quelque chose, car elle se dévoue à chaque fois pour défendre mes romans. Elle fait beaucoup pour mes livres, et je ne suis pas la seule qu’elle aide et soutient. Et donc là, sur ce plateau, nous avions des affinités (Tatiana de Rosnay, Nelly Alard, Shumona Sinha, Frédérique Deghelt). Nous n'étions que des femmes déjà. Nous nous étions évidemment lues les unes les autres, nous avions aimé nos livres.
Nous étions toutes dans le même bateau à vivre une aventure un peu dingue. Je pense que nous nous en souviendrons toujours. Il y avait une grande chaleur entre nous, beaucoup de bienveillance, c’était très émouvant en fait. Je ne sais pas ce que cela va donner, mais j’espère que les spectateurs vont sentir cette chaleur au-delà du côté froid des écrans qui nous séparaient.
ActuaLitté : C’est une émission qui porte d'ailleurs sur d'incroyables destins de femmes. Vous avez vécu un moment assez intense.
Gaëlle Nohant : Absolument, c’était un beau plateau et je suis très fière d’avoir participé à cette émission, même si cela a décuplé mon trac. Une vraie chance, cette émission. Le confinement a duré un peu plus longtemps, en tout cas le déconfinement est très progressif, si on ne se reconfine pas comme certains le prophétisent. Croisons les doigts. À l’avenir, nous devrons être très créatifs pour protéger la culture, faire vivre les livres, faire vivre les librairies.
Il faut trouver des solutions, et il y a surement des moyens de le faire. Je pense qu’il n’y aucune raison pour que l’on puisse aller chez le boucher, en grande surface ou acheter un paquet de cigarettes et que l’on ne puisse ne pas aller dans une librairie acheter un livre. Même s’il faut mettre des gants et un masque, même s’il faut installer une protection vitrée pour les libraires, il ne s’agit pas de les mettre en danger, il y a quelque chose à faire.
Ce pays est supposé être un pays de culture et de littérature et il faudrait qu’il le montre un tant soit peu. En particulier en protégeant des secteurs déjà très fragiles en temps normal, et qui se retrouvent carrément en danger.
ActuaLitté : Vous êtes l’auteure de La légende d’un dormeur éveillé, un ouvrage absolument merveilleux sur Robert Desnos. La projection est difficile, et je ne vous demande pas de vous mettre à sa place, mais selon vous, comment Desnos aurait vécu un confinement, lui qui pouvait rêver en étant éveillé ?
Gaëlle Nohant : Déjà, je pense que dans un premier temps, il aurait été extrêmement frustré, parce que Desnos est un poète de la déambulation. C’est quelqu’un qui avait besoin de marcher jour et nuit dans sa ville à Paris, et donc, cela aurait été très frustrant de ne plus pouvoir le faire, d’avoir une attestation de sortie ou de ne pas pouvoir dépasser un kilomètre. Et ces déambulations sont parties prenantes de sa poésie et de ce qu’il est.
Rappelons que Desnos a déjà été confiné, bien plus dramatiquement que nous. Il s’est retrouvé plus d’un an dans les camps, dans plusieurs camps de concentration, confinement bien plus terrifiant que le nôtre, bien plus dur. Et dans les camps, il a survécu en se réfugiant dans son abri, la poésie. En essayant de la partager avec les autres détenus, de leur ouvrir cette voie d’évasion.
Aujourd’hui, il ferait pareil, tout en s’adaptant aux moyens modernes, parce que Desnos, c’est un homme très moderne. Il était déjà ouvert à toutes les nouvelles technologies de son temps. Certainement qu’aujourd’hui, il serait l’un des premiers à s’intéresser aux moyens de communiquer de manière virtuelle pour faire passer de la poésie partout, à ceux qui sont seuls, à ceux qui sont désespérés, à ceux qui sont fermés dans de tout petits espaces pour leur apporter cette évasion, ce rêve, cette imagination de l’après.
Finalement, ce qui est très compliqué, c’est l’absence d’évasion, de vision du futur. Dans le film Out of Africa, il est dit que les Massaïs, quand ils se retrouvent en prison, meurent parce qu’ils ne peuvent pas envisager ou imaginer qu’ils seront libres un jour. Desnos savait vous aider à apercevoir, à envisager l’après ; il arrivait à vous convaincre que vous n’alliez pas rester prisonnier toute votre vie ; que c’est juste un temps et que vous pouvez déjà commencer à vous évader dans votre tête, à vous raconter des histoires.
C’est une chose qu’il ferait très bien sans doute, puisque c’était quelqu’un qui était tout le temps dans un dépassement généreux de lui-même vers les autres. Son souci premier aurait été d’apporter aux autres ce qui lui faisait du bien et ce qui lui était vital.
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