ActuaLitté : En tant que nouvelle présidente de l'ABF, quels sujets vous semblent cruciaux pour les bibliothèques et les bibliothécaires, ces trois prochaines années ?
Citoyenneté, inclusion, les bibliothèques sont un acteur essentiel sur ces points, souvent mal ou pas reconnues par les pouvoirs publics. Nous relions également ces orientations à une volonté commune de réaffirmer les valeurs de l’ABF qui s’incarnent dans notre charte Bib’lib, et de les faire rayonner davantage auprès des bibliothèques et des élus. Cette charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques est clairement d’actualité.
Rappelons déjà certaines évidences : les moyens financiers sont temporaires, leur mise en œuvre ne couvre pas l’intégralité des dépenses (le reste est à la charge de la collectivité), et rapporté au nombre de bibliothèques existantes, le budget mis en œuvre reste insuffisant. Les aides de l’État sont tout à fait utiles pour étudier la faisabilité et enclencher les expérimentations. Un supplément budgétaire a d’ailleurs été alloué à l’enveloppe 2019. Il est heureux que ce soutien financier puisse durer jusqu’à 5 ans car ce type de changement se fait sur le temps long. Mais que se passera-t-il lorsque ces aides prendront fin ? Y aura-t-il des remises en cause de projets ? De plus, les mesures proposées peuvent ne pas être pérennes en raison de la libre administration des collectivités. Ces mesures peuvent être ressenties comme des effets cliquets visant à empêcher le retour en arrière d'un processus une fois un certain stade dépassé. Cela peut aussi répondre à de réelles motivations, mais comment distinguer l’un de l’autre ?
Une autre interrogation est liée à la mise en place du pacte financier et fiscal. Cet outil de gestion du territoire limite sérieusement l’intérêt de ses aides pour les collectivités concernées (Grandes communes, Métropoles et Départements). En effet, pour élargir les heures d’ouverture, il est très souvent nécessaire d’embaucher. Si les collectivités ayant signé le pacte financier font cela, elles peuvent dépasser un plafond et être pénalisées. Au final, il est probable que les aides ne servent à rien dans ces cas-là sauf si le Ministère des finances accepte des exceptions.
Au-delà de la pérennisation, nos points de vigilance se portent aussi sur la manière dont les projets sont mis en œuvre. Il est certes important que les bibliothèques puissent ouvrir plus car c’est le premier service à rendre aux habitants d’un territoire ; mais pas n’importe comment. Il faut bien étudier en amont les horaires utiles aux habitants via un diagnostic temporel, il n’est pas question d’ouvrir plus par effet de mode. À cette étude doit être mis en regard les moyens nécessaires, notamment en personnel : il sera peut-être inévitable de renoncer ou réduire certains services, ou réorganiser le fonctionnement de la bibliothèque. Il est essentiel de se donner le temps du dialogue social pour aboutir à un accord qui ne se fasse pas au détriment des conditions de travail et de vie des bibliothécaires. Une fois l’extension actée, il importe de suivre et évaluer l’impact des choix horaires faits pour être capable de réadapter l’offre, voire la remettre en cause en cas d’absence d’efficience. Autre point, la presse a eu tendance à généraliser l’extension des horaires au dimanche. Or non seulement ce n’est pas pertinent partout en France, en fonction des lieux et des modes de vie des habitants, mais c’est oublier qu’il y a d’autres jours ou moments de la journée où une bibliothèque peut être fermée (lundi, pause méridienne, soirée…). Réfléchissons donc également à comment ouvrir mieux : en remaniant les horaires actuels afin qu’ils soient en adéquation avec les besoins identifiés, en coordonnant les ouvertures entre bibliothèque universitaire et bibliothèque municipale, etc.
Hormis la question des horaires, ouvrir mieux recouvre aussi d’autres aspects. Par exemple, assurer des moyens (humains et financiers) pour exercer une mission de service public de qualité, étendre la gratuité du prêt déjà à l’œuvre dans certaines villes, casser les barrières invisibles des non-usagers qui s’imaginent qu’une bibliothèque n’est pas pour eux... Ce dernier point sera d’ailleurs un sujet abordé lors de notre prochain congrès. L’ABF attend toujours un plan clair concernant cet aspect d’ « Ouvrir mieux les bibliothèques ». Quels sont les axes privilégiés par le Ministre ? Quelles aides ? Quels dispositifs mis en place ? Cette partie reste floue et insatisfaisante suite aux prémisses esquissées dans le rapport Orsenna.
Quoiqu’il en soit, le dispositif PNB a évolué depuis son expérimentation et les tests de DILICOM concernant de nouvelles DRM moins lourdes dans leur mise en application est un vrai pas en avant (DRM LCP). Par contre, il serait sans doute intéressant maintenant de mettre autour de la table les fabricants de liseuses afin qu’ils intègrent rapidement ce nouveau système à leur matériel. Non seulement sur les nouveaux modèles, mais également sur ceux actuels.
Et, à un autre niveau, il importe aussi que les éditeurs jouent pleinement le jeu et ouvrent enfin l’intégralité de leur catalogue. Y compris aux nouveautés les plus attendues sur PNB, ce qui est loin d’être le cas. De plus, certains ne proposent que du « une copie - un utilisateur » ou ne mettent à disposition leurs livres qu’à des tarifs frôlant l'indécence. Cet immobilisme et cette incompréhension de ce qu’est réellement le numérique et l’attente de nos lecteurs ne peut que freiner le développement de la lecture numérique en bibliothèque.
Un autre point essentiel est qu’il faut consentir un véritable effort pour les petites bibliothèques qui souhaitent intégrer le projet. Car autrement, un vrai fossé numérique risque de se creuser entre les bibliothèques qui ont la capacité à proposer des livres numériques à leurs usagers, et les autres qui financièrement ne peuvent pas se le permettre. À l’heure où l’on parle tant d’e-inclusion, ceci n’est pas tolérable. Outre PNB, l’ABF restera vigilante quant à l’émergence d’autres solutions alternatives et saura les porter le cas échéant. Quant au livre audio, il reste une piste ouverte sur laquelle il faut travailler et avancer.
Un état de fait que nous constatons également en France, en bibliothèque, quand nous construisons nos offres de lecture numérique. De plus, cette démarche ne s’exerce pas n’importe comment : l’accès à l’ouvrage est défini pour un temps limité, et un système de verrou empêche la copie. Nous ne disons pas que cette pratique est légitime, juste qu’il faut en tenir compte pour orienter les efforts des éditeurs.
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