Président de l’EMECA, pour European Major Exhibition Centres Association, Claude Membrez est depuis 2004 directeur général de Palexpo, le Palais des congrès et centre d’exposition situé au Grand-Saconnex, en Suisse. Pour augmenter leur attractivité, les manifestations doivent se réinventer. Et, dans le même temps, garantir aux exposants une qualité de services. Des impératifs que porte, notamment, le Salon du livre de Genève.
Claude Membrez
De l’Europe aux États-Unis — aux pays anglo-saxons dans l’ensemble —, la relation aux salons dépasse la seule distance d’un océan. « Les Américains vivent quelque chose d’assez différent : le site importe moins, pour eux, que le contenu. Et la frontière entre les deux est très importante. Dans notre dynamique, les valeurs sont inversées : l’importance d’un site réside dans ce qui s’y déroule, sans que l’événement ne puisse être séparé de l’espace d’accueil. La synergie s’exerce dans les deux sens », explique Claude Membrez à ActuaLitté.
L’enjeu de cette frontière perméable devient une différence majeure. Pour l’EMECA, c’est cette force qu’il faut porter — fédérer d'une voix auprès de Bruxelles, autant que face à la Commission européenne. « Notre association regroupe les parcs d’exposition d’une superficie supérieure à 100 000 m2, mais d’autres sont présents, du fait de leur activité significative. » Une représentativité européenne, primordiale.
Car l’association porte des réflexions sur des sujets qui sont intimement liés à l’évolution du commerce en Europe. Et à ses législations. « Les travailleurs détachés, pour exemple, impliquent des précautions : en termes d’économie, un travailleur qui monte un stand en Italie, alors qu’il est employé en Espagne, ce n’est pas tout à fait acceptable. » La pérennité des emplois et la préservation d’une force de travail comptent parmi les premiers enjeux. Mais l’EMECA a d’autres cordes à son arc.
« Tout salon représente une vitrine, consacrée à un certain sujet et par son intermédiaire, des acteurs disposent d’une solution de promotion. » De quoi ouvrir des opportunités industrielles autant que de favoriser l’émergence ou la consolidation de marchés grand public. « Nous sommes des plateformes de rencontre entre un thème, ses opérateurs et leurs clients », relève Claude Membrez.
Vecteur promotionnel et marketing, certes, mais dans le même temps, responsable de la sécurité des exposants. « La protection de la propriété intellectuelle compte parmi les grands sujets de l’EMECA ! » Prenons le cas d’une marque de voiture venant exposer à Paris : sur le stand d’en face, une autre marque expose un véhicule qui relève d’une flagrante copie. « En tant qu’organisateurs, nous avons développé des solutions immédiates. Les contrefaçons posent un problème partout dans le monde : en Chine, ce sont les copies réalisées au Cambodge, au Laos ou au Vietnam qui interviennent. »
Palexpo
Téléphonie, montres, cravates : qu’importe le produit, il faut des solutions. Genève a déployé une approche qui, sous 24 h, permet de définir s’il y a eu copie et s’engage à la faire disparaître. « C’est une procédure accélérée, menée par des avocats avec des experts : l’efficacité dépend de la vitesse d’exécution. Il faut que la PI de l’exposant soit préservée, sans pour autant nuire à l’image et à la qualité du salon en devant fermer un stand. » Avec le soutien de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), cette mesure devrait être adoptée ailleurs qu’à Genève. Coût de l’opération : 5000 €. « Cette mesure provisionnelle juridique garantit à chacun un moyen efficace : c’est un arbitrage accéléré, pas une mesure de justice. »
Dans les relations entre professionnels, « c’est indispensable ». Et pour les salons grand public, d’autres mesures existent. « La différence, pour le livre, c’est que l’on n’intervient pas sur la propriété intellectuelle, mais le droit d’auteur. » Et plus encore : « Un salon du livre représente un enjeu propre, parce qu’il repose sur une identité, c’est-à-dire une culture commune et accessible, mise en partage. Une montre donnera l’heure dans toutes les langues du monde. »
Pour le Salon du livre qu’organise Palexpo, le positionnement s’opère au sein du marché francophone. « Francfort, c’est la foire des droits pour les éditeurs, à l’international. Paris, ce sont les droits pour l’audiovisuel. Genève a opté pour une dynamique ouverte à l’édition francophone dans son ensemble, cherchant à fédérer du Nord au Sud, avec le Québec. » Qui fut l’invité d’honneur en 2017.
« Nous disposons d’un héritage pluriculturel : la Suisse regroupe un territoire germanophone, francophone et italophone. Autant dire que la dimension fédératrice est une part de l’ADN. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement suisse s’engage dans la promotion des éditeurs africains, ce qui se concrétise depuis quinze années par le Salon africain. »
À ce titre, les Assises de l’édition francophone (4e édition en 2018) « incarnent ce lieu d’échange, une passerelle trouvée entre Belgique, Québec, France et Afrique francophone ». La Suisse n’a par ailleurs pas « d’histoire qui puisse troubler ces relations avec chacun – comme ce peut-être le cas dans le passé colonial de pays européens. Genève cherche à devenir le catalyseur qui favorisera la croissance globale pour le commerce du livre ». À l’image du pays, un lieu « neutre, où chacun est libre d’apporter ce qu’il représente. Nous n’avons pas le rayonnement de Paris, mais pas son passif non plus ».
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Cette dynamique construite au fil des ans implique avant tout « de ne pas rester les mains dans les poches. Certains grands noms de l’édition en France n’envisagent pas de se rendre à Genève, mais ne vont pas non plus au salon du Livre de Paris. Charge à nous de porter le marché suisse et de le présenter comme un territoire propice à leur activité : nous comptons un lectorat curieux et intéressé, à l’évidence. Et son pouvoir d’achat est réel. »
Après 32 années de salon, Palexpo se tourne résolument vers cette dimension professionnelle : deux journées et demie dédiées aux professionnels, avec des temps de rencontres, d’ateliers et de partage d’expérience. « Les Assises entraînent une professionnalisation de notre public, et de l’événement. On parle de droit d’auteur, de la rémunération des auteurs, et du rayonnement culturel francophone dans le monde. Leur croissance tient à ce qu’elles répondent à une attente et à un besoin. Et les professionnels sont plus enclins à nous faire confiance. »
Dans le temps où éditeurs, libraires, bibliothécaires et auteurs se déplacent, la partie grand public s’étoffe. « Notre démarche est simple : favoriser l’ensemble du secteur, du mieux possible. Cette année, une rencontre entre libraires et éditeurs suisses romands est mise en place, c’est une première, qui pourrait aboutir à une systématisation. » Et de poursuivre : « Un salon, c’est cela : un lieu donné, qui facilite la mise en réseau et le brainstorming. Il n’existe pas de solutions prédéfinies, mais on peut encourager les échanges pour que chacun reparte avec des pistes de travail. »
L’histoire du Salon du livre est pour autant liée à un événement fort en Suisse : c'est d'abord l’époque des négociations pour instaurer un prix unique — « un premier coup de semonce », estime Claude Membrez. Ensuite, c'est la sanction portée contre les diffuseurs, filiales de groupes français : une lourde amende en suspens, qui frappe le salon. « C’est par leur intermédiaire que l’on fédérait la présence des éditeurs français. Avec leur retrait, nous avons dû trouver des réponses rapidement. »
C’est ainsi que sont mises en place les Librairies thématiques, assurant la présence des auteurs et des livres. « Mais l’événement reste un salon d’éditeur, dont la présence est fondamentale. L’audit qu’a réalisé Bertrand Morisset cette année a conforté nos analyses. Nous allons donc supprimer quelques-unes de ces plateformes thématiques, pour rendre aux éditeurs la place qui est la leur. » Et c'est là tout le travail que mène Laurence Brenner, récemment nommée à la direction de la manifestation.
Grâce au travail de Servidis, le groupe La Martinière/Le Seuil reviendra en 2018. « Hachette, en revanche, n’est jamais venu, et peut-être ne viendra jamais. Peut-être pouvons-nous travailler plus spécifiquement avec certaines maisons qui verront l’intérêt pour elles : c’est tout l’enjeu, d’aller à la rencontre des lecteurs, en étant celle ou celui qui porte la maison d’édition. Le marché suisse ne représente peut-être que 4 % du chiffre d’affaires des éditeurs français, mais le salon donne l’opportunité de développer cette activité. »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0 - stand Torticolis et frères
Et pour ce faire, Palexpo a su, avec le temps, développer des manifestations satellites, « qui accroissent notre rayonnement. Le Salon sort de son lieu de prédilection pour s’exporter : c’est le cas de Lausan’noir, festival de polar dans la ville de Lausanne. Pour y parvenir correctement, il faut rester dans un champ d’expertise maîtrisé, tout en profitant de notre légitimité pour créer de nouvelles expériences ».
Le tout profitant à la manifestation mère : « Nos clients peuvent développer une activité commerciale sur un autre site, et nous sommes à l’origine de cette opportunité. C’est la raison d’être pour les organisateurs de salon — alors que, même dans le domaine du livre, les échanges s’internationalisent. »
Avec Art Genève, dédié à l’art contemporain, Palexpo a su sortir de ses murs pour créer une nouvelle rencontre à Monte-Carlo. « Si l’on est légitime sur un secteur, et qu’on en maîtrise la thématique, il devient plus aisé d’exporter ce savoir-faire. » Rien n’est pour autant acquis. « À ce jour, il existe des salons pour tous les secteurs d’activité : l’originalité ne garantit pas la viabilité, mais procure déjà un avantage d’attractivité. »
Et de conclure : « Nos activités doivent savoir se réinventer, en trouvant des angles nouveaux, qui n’ont pas encore été explorés, puis en mesurer l’intérêt. C’est-à-dire, la manière dont le public les reçoit et s’y retrouve. Que l’on parle de marché B2B ou B2C, la satisfaction restera toujours le critère premier. »
Le 32e Salon du livre de Genève se tiendra à Palexpo du 25 au 29 avril 2018. ActuaLitté est partenaire des Assises de l'édition, qui se dérouleront du 25 au 27 (matinée). Le programme sera dévoilé prochainement : contacter delphine.hayim@palexpo.ch.
1 Commentaire
HEDIA Ben jemaa bhiri
01/02/2018 à 14:53
Je serais très intéressée à être inviter à ce salon en tant que auteur pour l 'enfance ou je pourrais faire une intervention sur la communication interculturelle via la littérature enfantine et présidente de l association Sawtouna pour l éducation à la paix.Hedia benjemma Tunisie