Avec la devise « là où on vendait de la drogue, aujourd’hui on vend des livres », la maison d’édition Marotta&Cafiero a créé un nouveau pôle culturel à Scampia, banlieue de Naples. Après avoir fondé une librairie, elle publie aujourd’hui des prix Nobel et des auteurs internationaux, dont Stephen King !
Le 02/02/2021 à 11:04 par Federica Malinverno
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Publié le :
02/02/2021 à 11:04
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Une bonne nouvelle pour le monde de la culture et de l’édition indépendante italienne : la maison d’édition napolitaine Marotta&Cafiero, au cœur de Scampia — un quartier défavorisé connu pour le crime organisé — publiera le 4 mai prochain un essai du roi des romans d’horreur Stephen King.
« Aujourd’hui est un jour historique ! Le jour où un éditeur napolitain publie un auteur planétaire. Sur le podium de l’édition mondiale, un auteur de 350 millions d’exemplaires. Un grand jour pour la Campanie », ont écrit les éditeurs sur leur page Facebook, en remerciant l’agent littéraire qui a rendu possible la collaboration avec l’écrivain. « Aujourd’hui, nous essayons de devenir un éditeur national. Merci à Roberto Santachiara. Bienvenue, Stephen King ! ».
Les propriétaires de cette maison d’édition sont Rosario Esposito La Rossa et Maddalena Stornaiuolo, 32 ans, qui en 2010 ont acheté à ses fondateurs la célèbre maison d’édition napolitaine « Alberto Marotta Editore », depuis 50 ans sous la direction de la famille Marotta, et ont réalisé un projet culturel et social autour de cette maison. Une structure qui traite de fiction et d’engagement social, avec une référence particulière à la ville de Naples.
NAPLES: un éditeur chasse les dealers avec des livres
En premier lieu, leur engagement se situe au niveau écologique : ils utilisent des encres et des colles végétales sans plastifiants, qui permettent de produire des livres biodégradables. Ensuite, ils sont devenus des acteurs culturels et sociaux du quartier en s’installant à Scampia et en ouvrant en septembre 2017 la librairie La Scugnizzeria, en lien avec l’association Vo.di.Sca. (Voix de Scampia).
Ce lieu est devenu un véritable pôle culturel du quartier napolitain : « nous avons acheté deux espaces, un gymnase pour les artistes, une salle pour le théâtre et le cinéma — où sont donnés des cours de ces disciplines — et, il y a quelques jours, un espace de 150 m2 avecce qu’on a appelé “L’hôpital des livres”, c’est-à-dire un atelier de typographie pour les enfants. Nous leur apprenons à lire avec des caractères mobiles. Nous disposons également d’une chaîne radio et d’une bibliothèque de 2000 volumes », nous explique Rosario.
Pendant le confinement de mars et celui d’octobre, la maison a eu un engagement civique et citoyen très important, avec des initiatives de solidarité : « Grâce à des initiatives telles que le livre suspendu, nous avons récolté plus de 12.000 euros pour les familles locales », nous raconte Rosario. Le livre suspendu consiste dans la possibilité d’acheter un livre et de le donner au prochain client qui rentrera dans la librairie et qui n’aura pas les ressources pour l’acheter.
La Scugnizzeria ne s’est bien évidemment pas arrêtée à Noël : « Pendant la période de Noël, nous avons vendu près de 1000 livres suspendus. Nous avons également proposé des “courses suspendues” : les citoyens pouvaient faire un don de 20 euros avec lesquels les titulaires de la librairie achetaient des denrées alimentaires, en collaboration avec d’autres associations de la région. Au total, on a collaboré avec 16 associations et 50.000 euros ont été collectés pour les familles. »
Cet engagement social et civique on le retrouve aussi au niveau idéologique, en ce qui concerne la philosophie éditoriale de la maison : « La maison d’édition ne veut pas seulement être une entreprise capitaliste qui utilise la littérature, le produit-livre, comme source de revenus, mais une entreprise politico-culturelle qui traite les problèmes de son temps, qui utilise le papier imprimé comme un instrument de changement des consciences et de la société. » Voici donc, dans les mots que Rosario a confié à La Voce di New York, l’idée de maison d’édition qui soutient le projet social et politique de cet éditeur.
Une structure qui, dans le temps, a eu l’occasion d’évoluer. « Depuis 2018 la maison d’édition a été complètement révolutionnée. Nous nous sommes ouverts à l’international, nous avons acheté des droits des livres de 16 pays et de quatre continents », nous a précisé Rosario. Stephen King n’est pas un cas exceptionnel, pourrait-on dire, car le terrain a été bien préparé avant, avec la publication d’auteurs comme Domenico Rea, Raffaele La Carpia, William Golding, Ernesto Che Guevara, Günter Grass.
Il existe aussi une autre maison d’édition, gérée toujours par Rosario. Elle s’appelle Coppola editore et a été fondée par Salvatore Coppola à Trapani en 1984, avec un regard attentif sur le territoire, les écrivains contemporains et la légalité. Après la mort du fondateur en 2013, elle a été reprise en 2016 par Rosario Esposito La Rossa et Maddalena Stornaiuolo, et a déménagé de Trapani à Scampia (Naples). Il s’agit aujourd’hui d’« une maison d’édition créative » — nous explique Rosario — qui publie des collections très particulières comme I fiammiferi, « des livres à format très petit, une sorte de bibliothèque lilliputienne ».
La maison d’édition est en train de devenir de plus en plus importante et connue sur le territoire national : « Pendant le second confinement nous sommes entrés dans le circuit de promotion et distribution de Mondadori, et nous avons enrichi notre production avec des éditions précieuses en papier Amalfi. » Voici donc l’évolution d’une maison d’édition née avec un caractère très local et qui se projette désormais à l’échelle nationale et internationale.
Mais quel avenir pour Scampia ? La maison d’édition gardera toujours le même engagement, bien que son évolution l’ait amené à faire certains changements : « Dans la première phase de nos publications, nous avons utilisé beaucoup de licences Creative commons, des PDF en libre accès, mais dans cette deuxième phase, nous avons commencé à acquérir les droits d’autres éditeurs », nous précise Rosario, ce qui rend le modèle initial inapplicable. « Cependant, il existe encore quelques collections en italien qui sont disponibles en PDF, comme la collection Le api (Les abeilles), dirigée par Paolo Cacciari », indique encore l’éditeur.
La maison a toujours fait attention à ne pas proposer des prix excessifs ; une tendance qui, malgré quelques adaptations nécessaires, n’a pas changé : « Maintenant, les prix sont aussi un peu plus élevés, parce qu’en traduisant des livres, nous avons plus de dépenses : mais il faut considérer que notre livre le plus cher a environ 300 pages et coûte 16 euros. »
L’idée de Stephen King est venue pendant le premier confinement. « Durant le premier confinement [depuis mars 2020] nous avons travaillé principalement sur l’acquisition des droits. »
Le texte de Stephen King, Guns. Contre les armes, a été écrit après le massacre de l’école primaire de Sandy Hook en 2012, au cours duquel 20 garçons et filles ont trouvé la mort. Son éditeur en parle ainsi à La voce di New York : « Une écriture à cœur ouvert contre la violence. Nous l’avons lu en ligne ; un essai de vingt-cinq pages publié aux États-Unis en 2013, en anglais uniquement. J’ai immédiatement contacté Larosa, l’agent de King, en lui envoyant un e-mail. Cela semblait impossible, mais finalement le miracle s’est réalisé. Le manuscrit sera distribué en dix mille exemplaires à un coût de 15 euros à partir du 4 mai. » Il a été traduit en interne par Ercole Leo.
Une acquisition qui a une importance capitale pour Marotta&Cafiero Editore : « Stephen King nous ouvre des portes, c’est une aubaine, il nous donne une grande visibilité », nous confirme Rosario. Cependant, il ne s’agit pas de la fin d’un voyage, mais du point de départ : « Pour nous, il représente une étape et non la ligne d’arrivée. »
Enfin, quelques conseils de lecture : parmi les titres que l’éditeur nous signale, un livre sur les enfants soldats qui a été sélectionné dans le classement de qualité du prestigieux journal La Lettura-Il Corriere della Sera, Johnny Mad Dog, d’Emmanuel Dongala, qui a d’ailleurs gagné le grand prix littéraire de l’Afrique Noire ; et La porta sul mare (La porte sur la mer), de l’auteur sénégalais Joseph N’Diaye, qui parle d’esclavage et qui a déjà été réédité.
Et voici une dernière curiosité : « Nous avons fait une offre pour acquérir les droits de Pennac et Le Clézio... ». Un lien avec la France pourrait bientôt se concrétiser, qui sait…
illustration : Rosario Esposito La Rossa, au centre de son équipe - ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; Marotta&Cafiero
7 Commentaires
LOL
03/02/2021 à 07:31
« En premier lieu, leur engagement se situe au niveau écologique : ils utilisent des encres et des colles végétales sans plastifiants, qui permettent de produire des livres biodégradables. »
Heureusement que nos anciens étaient moins bornés, car nous n'aurions aucun ouvrage à notre disposition ;-)
Tout ça me fait penser que le boulot principal d'un éditeur est de faire un livre, un beau livre de préférence. Mais bon, chacun s'occupe de ce qu'il sait vraiment faire...
Fitzroy Yellowplush
03/02/2021 à 12:08
Super ! Sauf que cet essai certainement ne vaut pas tripette... On imagine le contenu : gna-gna-gna les armes c'est pas bien, le lobby des marchands d'armes c'est rien que de méchants hommes, etc. King a une imagination débordante et est un raconteur d'histoires extraordinaire mais c'est un semi-crétin dans le domaine politique et un conformiste à tête d'autruche dans le domaine "sociétal"... Même si on lui prouve, chiffres à l'appui, que la détention d'armes a aussi sauvé des tas de braves gens et d'innocents (car si les armes sont interdites, elles ne le sont que pour les honnêtes gens car les criminels en possèdent, eux) qui ont pu se défendre contre les assassins, il continuera de débiter ses fallacieuses niaiseries.
Fitzroy
03/02/2021 à 16:16
extraordinaires avec un s... pourquoi oublié-je toujours de me relire...
Fitzroy
03/02/2021 à 18:37
En fait, il se pourrait bien qu'extraordinaire se rapporte à King, alors, il n'y avait pas de faute...
Roi Lion
04/02/2021 à 09:21
King est assez représentatif des auteurs modernes et du monde dans lequel ils vivent. Pour l'ouvrir, il faut être bien pensant (traduction : de gauche). Sinon, c'est l'omerta, la cancel-culture et la fermeture définitive des portes éditoriales (qui sont déjà pas grand ouvert).
Bref, on peut déplorer ce fait ou en avoir conscient. King a depuis longtemps compris ce système et communique très bien : c'est donc du gloubiboulga de la pensée de gauche et il s'en sort remarquablement. C'est répugnant de guimauve prémâchée, mais c'est la réalité de la pensée de gauche. Après, ses romans en sont remplis aussi, et de façon à peine moins subtile.
Comme tous les « auteurs » qui font pareil (et il y en a un paquet en France). Quand on voit le niveau de leur pensée, on se plaît à penser qu'ils feraient mieux d'écrire des romans. Ce qui est parfaitement le cas de King (qui n'excelle vraiment que dans le thriller non technologique : dès qu'il y a un peu de technique, ses romans sont pathétiques (cf. Cellulaire)). Comme quoi, on peut être un écrivain génial et hélas devoir se contenter de son créneau).
Un auteur, c'est fait pour écrire, pas pour donner son avis. Ils sont aussi ridicules en intervenant dans la vie publique qu'un Sylvester Stallone de la grande époque qu'on interrogeait sur la politique américaine.
Yellowplush
04/02/2021 à 09:50
J'aimerais croire, comme vous, qu'il s'agit d'un calcul cynique de la part de King ; or, on dirait plutôt qu'il est vraiment bête, que toutes les couleuvres et les tartes à la crème imbéciles de la modernité il les a avalées avec plaisir, qu'il ne s'est pas forcé. C'est une sorte de soixante-huitard américain, mâtiné de sjw du troisième âge... Est-ce un grand écrivain ? C'est une question passionnante, car il possède un monde bien à lui, une atmosphère, une stimmung propre comme on disait jadis. Mais son style est mou, vulgaire, convenu, et sa manie de toujours terminer en apocalypse d'hémoglobine est dégueulasse. Et il ne serait pas le premier grand écrivain qui est un imbécile en matière de politique.
Quant à cet éditeur italien, il n'a pas l'air très futé non plus. Entre ses encres végétales et sa volonté d'éditer un farceur comme le Clézio, dont on ne se demande pas, lui, et malgré tous ses prix, ses sucettes et ses diplômes de lèche-cul des puissants, s'il est un grand écrivain...
Club Stephen King
03/02/2021 à 18:04
En France, l'essai "Guns" de Stephen King, avait été traduit et publié en janvier 2018 dans le magazine "America"
Si jamais ça peut en intéressé quelques uns : https://club-stephenking.fr/guns-lessai-de-stephen-king-sur-le-controle-des-armes-a-feu