Un an après le dévoilement du Rapport Racine, destiné à améliorer la condition des artistes-auteurs, le collectif Artistes Auteurs en Action (AAA) levait le poing et appelait à un boycott du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême (FIBD). L'organisation pointait le manque d'engagement politique et d'effets, après ce rapport, mais critiquait aussi la posture du FIBD. Franck Bondoux, délégué général de la manifestation, leur répond dans un texte, reproduit ici dans son intégralité.
Le 26/01/2021 à 09:28 par Auteur invité
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26/01/2021 à 09:28
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Paris, le 22 janvier 2021
Chères autrices, chers auteurs signataires de la tribune du AAA,
Votre tribune, actuellement en ligne, interpelle le Festival d’Angoulême à plusieurs titres. Elle dit votre émotion, votre colère, votre sentiment d’injustice. Nous l’entendons. Mais permettez-nous de vous dire, à sa lecture, pour les passages qui nous concernent directement, que c’est aussi ce dernier sentiment d’injustice qui prévaut chez le Festival aujourd’hui.
Cette tribune évoque, tout d’abord, l’idée que le Festival aurait « un double langage » et serait dans le « déni » en refusant de rémunérer les auteur.rice.s au titre des expositions réalisées dans différentes gares en France.
Nous supposons que ces propos résultent en fait d’une méconnaissance du contexte précis de ce déploiement. Le voici :
Dans un temps où il ne vous aura pas échappé que les événements culturels ne sont pas précisément à la fête, le Festival d’Angoulême, de manière concertée, a choisi de reporter son déroulement sous sa forme usuelle en se repositionnant au mois de juin (du 24 au 27). Mais, à la demande de nombreux acteurs de l’écosystème de la bande dessinée, il a aussi fait le choix, de manière volontariste, d’agir pour que, fin janvier, « on parle de bande dessinée ». En particulier des livres parus en 2020, afin de prolonger leur vie, leur actualité, certains étant parfois passés un peu inaperçus compte tenu des circonstances au moment de leur sortie et leurs auteur.rice.s avec.
Alors, il a décidé d’investir, d’engager des budgets… des budgets qu’il n’a pas, en un mot de s’endetter en assurant des réalisations dont l’unique vocation est de mettre en avant des autrices et auteurs via leurs œuvres.
En face, nulle recette (pas de billetterie, pas de stands, de produits dérivés…), nul paradis de la bande dessinée à gagner, nulle reconnaissance espérée et pour tout dire, nulle véritable rationalité (notamment comptable). Juste le besoin impérieux d’être fidèle à la vocation de cet événement depuis son origine.
Au cœur de cet élan, rendu possible aussi grâce à l’engagement des partenaires publics, privés et médias de l’événement, se trouve une idée : mettre en avant tous les livres des Sélections Officielles regardés comme le reflet et le symbole de la créativité de la bande dessinée à l’échelle mondiale.
Ce sont plus spécialement des créations issues de ces livres qui sont aujourd’hui en gares, accompagnées de panneaux de médiation, avec comme objectif de provoquer une rencontre entre elles et les millions de voyageurs qui leur feront face (elles sont en place depuis fin décembre et resteront jusqu’à fin février). À la clef, il y a l’idée que ces voyageurs touchés par ce qu’ils auront vu, pousseront leur curiosité plus avant en allant jusqu’aux livres. Et c’est à l’évidence la réalité, comme en témoigne cette libraire de Toulouse : « J’ai déjà eu plusieurs personnes qui sont venues me demander la bande dessinée qu’elles avaient vue à la gare, donc, espérons que cela permette de faire découvrir des albums moins connus à des gens qui ne viendraient pas forcément en librairie. ». M.L.
Dès l’origine de ce projet — qui s’est monté dans des délais très courts en réaction aux contingences sanitaires — le Festival a expliqué à tous les éditeurs concernés qu’il engageait des moyens qu’il n’a pas, pour concevoir, produire et installer ces expositions et qu’il était dans l’incapacité en de telles circonstances, d’aller plus loin en rémunérant directement les auteurs via un endettement encore supplémentaire.
Si un débat s’est engagé alors avec certains d’entre eux, ils ont tous finalement accepté l’idée que les circonstances exceptionnelles et l’intérêt d’une telle action pour les auteur.rice.s devaient prévaloir. Des écrits en attestent. Certains, très conscients des limites possibles pour le Festival, ont même fait le choix de rémunérer leurs auteur.rice.s directement (nombre d’entre eux, ont d’ailleurs correspondu directement avec le Festival par écrit et donné depuis des interviews à des médias pour exprimer leur intérêt et satisfaction). Tous les éditeurs concernés ont signé un accord au nom de leurs artistes, ce qui signifiait clairement, de bonne foi, pour le Festival, un accord de la part de ces derniers. Tout le monde s’est alors mobilisé pour parvenir à ce que ce projet voit le jour.
Il nous paraît essentiel de souligner aussi que SNCF Gares & Connexions a fait preuve d’un engagement exceptionnel et ce dans un temps où cette entreprise connaît également de grandes difficultés (c’est de notoriété publique). Elle a pourtant investi dans le but de permettre la création de ces expositions, mis à disposition des espaces en gares comme cela n’avait jamais été fait pour des œuvres d’art, ou même tout autre sujet. Alors qu’il aurait été facile de mettre en avant uniquement des best-sellers, le choix a été fait de jouer la carte de la diversité et près de 200 cheminots se sont mobilisés sur ce projet à nos côtés.
Il est toujours simple de prêter des « intentions cachées » aux entreprises et de les suspecter de rechercher des bénéfices indirects. De notre point de vue, c’est tout sauf le cas en la circonstance et il est sans doute intéressant, aujourd’hui, de s’interroger sur la manière dont on peut en venir à décourager les plus engagées d’entre elles à poursuivre leur action en faveur de la culture. Elles ne sont déjà pas si nombreuses en France, celles qui ont fait le choix du 9e Art.
Pour tout vous dire, en agissant comme nous l’avons fait, nous avons plutôt le sentiment d’être exemplaires que celui d’être dans « un double langage ». Il eut été plus simple pour nous d’abandonner le terrain et d’attendre des jours meilleurs. Preuve supplémentaire de ce refus d’une résignation, nous annoncerons d’ailleurs, dans les jours qui viennent, d’autres actions fortes qui mettront encore en avant des auteur.rice.s et leur donneront la parole.
Donner la parole. La donner à tous ceux qui sont partie prenante de l’écosystème de la bande dessinée. C’est aussi à cela que sert le Festival d’Angoulême. À cet égard, il a beaucoup permis, au cours de ces dernières années aux auteur.rice.s de s’exprimer, parfois même à ses dépens.
N’a-t-il pas, entre autres exemples, accueilli (en finançant la mise à disposition du théâtre d’Angoulême) la réunion des premiers États Généraux de la Bande Dessinée, été le lieu de débats sur tous les sujets d’actualité de la profession, permis à des auteur.rice.s de donner leur point de vue dans des médias où ils étaient invités via le Festival (Marion Montaigne chez Augustin Trapenard en 2020), offert sur l’événement un lieu dédié (Magic Mirror) qui permettait de se concerter, s’informer et se former ; généré une tribune dans le temps de ces remises de Prix, permis des rencontres avec les pouvoirs publics jusqu’au plus haut niveau de l’État ?
Bien sûr, nous comprenons qu’aujourd’hui à l’issue de plusieurs années au cours desquelles les auteur.rice.s de bandes dessinées ont tenté vainement de se faire entendre le sentiment d’une inutilité de la discussion prévale. Faut-il pour autant tourner le dos à cet espace de débats et d’interpellations qu’est le Festival d’Angoulême ? Cette manifestation n’est-elle pas, objectivement, un lieu d’expression démocratique ? Le fermer est-il la solution ? Le boycotter est-il vraiment la meilleure solution pour faire aboutir des revendications ? Si, malheureusement le Festival ne pouvait pas se dérouler normalement au mois de juin, que serait alors ce moyen de pression ? Abîmer l’image de marque de cet événement apportera-t-il vraiment plus de bénéfices immédiats que de préjudices pour tous à terme ?
Croyez bien, s’il vous plaît, que ces questions ne sont pas dictées par un quelconque égocentrisme d’organisateur soucieux de ses intérêts, mais bien par le souci de l’apport du Festival à l’intérêt général, prenant en compte le public, l’écosystème de la bande dessinée et plus particulièrement la situation des auteur.rice.s.
BD: plusieurs centaines d'auteurs menacent le FIBD de boycott
Si le Festival d’Angoulême a toujours été, en tant qu’événement majeur d’un univers artistique, le réceptacle des succès, enjeux et difficultés de la profession, s’il est ce qu’il est, c’est parce que la bande dessinée a atteint, dans notre pays un niveau de développement exceptionnel ; il reste un événement relativement fragile (comme la plupart des manifestations culturelles) à qui il est pourtant souvent demandé de toutes parts, voire même exigé, beaucoup et, pourquoi ne pas le dire, toujours plus.
Nous avons vu et entendu dans le passé et le présent beaucoup d’approximations sur le Festival et son action. C’est pourquoi, nous aurions aimé, qu’avant de nous mettre en cause et de faire ces choix dans votre prise de parole, vous vous adressiez directement à nous pour discuter. Après, votre libre arbitre aurait prévalu en toute connaissance de cause.
C’est dans cette perspective que nous vous proposons aujourd’hui de nouer un dialogue direct afin d’évoquer avec une approche constructive notre relation et le contexte général dans lequel elle s’inscrit. Vous constaterez sans doute, malheureusement que, comme il est dit dans Aladin, « notre pouvoir n’est pas aussi grand que celui du génie de la lampe ».
Bien cordialement.
Franck BONDOUX, Délégué Général Pour le Festival d’Angoulême
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
3 Commentaires
Michel Blaise
27/01/2021 à 05:46
L'écriture incluse, monsieur, n'apporte aucune plus-value à vôtre droit de réponse. Je n'étais pas convaincu ; je suis navré, maintenant.
Jeanne Carré
27/01/2021 à 11:45
Je reste ébahie : tout ce que vous retenez de cette prise de parole, ce sont les quelques occurrences de auteur.rice.s ? Dommage pour vous.
Antoine
30/01/2021 à 09:28
D'habitude je comprends les revendications des auteurs mais là si les éditeurs détenaient les droits c'est la faute des éditeurs non pas du festival? S'il y a un événement à l'année où il y a eu plein d'initiatives pour les auteurs c'est là-bas..... un appel au boycott mais pour obtenir quoi? Et de qui? C'est Macron qu'il faudrait viser.