Depuis 3 ans, l’Association internationale des Libraires francophones organise des cycles de professionnalisation au métier de libraire à la demande de l’Institut français d’Algérie. Après plusieurs formations animées à Alger, Agnès Debiage, qui œuvre pour l’association, a conçu cette année un programme unique alliant apprentissage théorique et visites de librairies parisiennes. L’occasion, pour huit participants, de porter un regard neuf sur leur métier et d’offrir de nouvelles perspectives au secteur, « ce monde si vaste qu’est le livre ».
Le 17/01/2020 à 15:55 par Camille Cado
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17/01/2020 à 15:55
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Mais aussi de proposer une phase de terrain avec des visites de librairies parisiennes pour prolonger les explications de la formation in situ l’après-midi. De La Mouette rieuse à la librairie du Bon Marché, en passant par la Fnac, Ici librairie ou encore Gibert Jeune, Agnès Debiage a choisi des établissements aux identités bien différentes et aux assortiments variés.
Aujourd’hui à la tête de la librairie L’arbre à dires situé à Alger, Mohamed Skander Boucharef nous confie être entré dans l’univers du livre grâce à un ami. Perchman depuis 5 ans et à la recherche d’un métier plus stable, il accepte sans vraiment y croire de travailler dans sa librairie. « J’ai adoré, j’ai tout de suite été à l’aise avec les livres. Je n’avais jamais pensé à faire ce métier auparavant et aujourd’hui je me retrouve à m’occuper de la gérance. C’est magnifique ! »
Devenir libraire n’était pas non plus ce à quoi s’attendait Souhila Lounissi, pourtant gérante depuis 2016 de Mauguin, située à Blida. Experte comptable et commissaire aux comptes diplômée, elle a d’abord travaillé pour l’imprimerie rattachée à la librairie. C’est au décès de la propriétaire Chantal Lefèvre, en 2015, qu’elle reprend le flambeau pour gérer l’entreprise. « La famille qui devait hériter était en France, elle ne voulait pas rentrer en Algérie pour reprendre l’affaire » nous explique-t-elle.
« Ils se sont alors tournés vers moi pour me confier la gestion de l’imprimerie, mais aussi de la librairie, ce que j’ai accepté. En hommage à Chantal Lefèvre qui était mon amie, mais aussi parce que 40 salariés auraient pu se retrouver à la porte du jour au lendemain. J’ai voulu sauver l’emploi, maintenir l’activité et pérenniser l’histoire de cette institution. » D’autant que la librairie Maugain, ouverte depuis 1857, fait partie du patrimoine culturel de la ville.
Et puis, « même après 28 ans de métier, on apprend toujours » reprend Mohamed Cherif Hadjar, gérant de la Librairie de la révolution, entreprise familiale située depuis 57 ans à Annaba. « Cette formation m’apporte beaucoup. Et même si on connaît tout de même des choses sur le plan théorique, les visites permettent d’avoir un autre point de vue sur notre métier. Surtout qu’ici, ils sont plus professionnels. »
Pour Mohamed Skander Boucharef, cette formation apportera un peu d'équilibre, réduisant la différence de standing entre les services des librairies algériennes et françaises. « Ils savent mieux mettre en valeur leur librairie, comment se comporter avec les clients » précise-t-il.
Rappelant qu’à travers la télévision et les médias sociaux, la population algérienne, qu’elle soit francophone ou arabophone, a l’exemple de ce que peut être un service de prestige. « Tout le monde est conscient qu’il y a au Moyen-Orient, aux États-Unis, en Angleterre et en France une certain qualité qui ne suit pas en Algérie. Forcément, eux sont en train de demander ce service. C’est à nous, en tant que librairies, de savoir y répondre en améliorant notre offre initiale. »
À visiter, on déniche aussi des idées, des inspirations pour apporter de la valeur à son établissement et du professionnalisme au métier. Tous ont déjà une idée bien précise de la manière dont ils appliqueront ces acquis afin d’améliorer la gestion, le service, mais aussi l’aménagement de leurs magasins.
« Pour ma part, j’ai déjà un héritage d’expérience parce que j’ai grandi dans cet univers » déclare à son tour Tarek Alili, gérant de Alili, située à Tlemcen. « Mais grâce à cette formation, il y a des choses qu’on a apprises et qu’on va mettre davantage en pratique. »
Par exemple, les réseaux sociaux. « Nous avons appris à nous en servir de manière plus professionnelle, à exploiter ces outils qui sont à notre disposition. C’est devenu primordial aujourd’hui ! » poursuit-il.
Pour Mohamed Skander Boucharef, c’est la découverte des espaces jeunesse dans les libraires parisiennes qui l’a motivé à s’investir davantage dans son magasin : « Je veux vraiment créer une ambiance jeunesse comme j’ai pu le voir ici, avec de jolies décorations. Ce sera mon but dès mon retour ! »
« En tant que formateur, on va visiter les librairies, on essaie de comprendre leur quotidien, le contexte dans lequel ils travaillent, avant de proposer des cycles de formations. On les écoute et on intègre leur problématique dans la manière dont on va ensuite expliquer les situations. On ne peut pas leur plaquer une réalité qui n’est pas la leur. » D’autant que ces enseignements sont donnés par des formateurs qui ont eux-mêmes été libraires à l’étranger et qui ont, eux aussi, été confrontés à des problématiques spécifiques.
Pour Agnès Debiage, l’essentiel est de coller au maximum aux réalités de ces libraires. « Pendant la formation, je prends toujours en compte le marché algérien. Je recontextualise les situations en prenant en compte les spécificités de leurs conditions de travail, notamment, leurs difficultés d’approvisionnement », nous explique-t-elle.
Rappelons qu’en Algérie, les libraires n’importent pas directement et doivent passer par des importateurs, ce qui impacte énormément leur fonds. Les commandes s’effectuent ainsi soit sur la base d’un listing, soit en se déplaçant directement sur leurs lieux de stockage pour choisir au mieux les ouvrages dont ils ont besoin.
« Certaines maisons d’édition ne sont même pas importées chez nous, c’est le choix de l’importateur », nous explique Souhila Lounissi, avant d’affirmer que la librairie Maugin souffre d’un retard de 2 ou 3 ans sur les parutions d’ouvrages. « Le prix Goncourt 2019 ? On l’aura peut-être en 2021, je ne sais pas. »
Une difficulté d’autant plus grande que les importateurs bénéficient d’un véritable monopole en ouvrant leur propre librairie. « Comme il aura eu l’ouvrage directement au prix des maisons d’édition en France, il pourra se montrer plus attractif, avec des prix qu’on ne pourra jamais proposer ou à travers des exclusivités qu’il n’aura importé que pour sa boutique », souligne Mohamed Skander Boucharef. « Et puis le plus gros souci », précise-t-il, « c’est que ce monopole est très politisé, et quand la politique rentre en jeu... »
« Très souvent je m’entends dire aux clients : “Si vous connaissez quelqu’un qui vient de France, vous aurez le livre plus rapidement en leur demandant de vous le ramener.”. C’est donc d’autant plus important d’avoir un service convenable, une plus-value, d’autres choses à proposer pour compenser ce problème d’assortiment », explique Mohamed Skander Boucharef.
« Si on n’arrive pas à satisfaire la demande du client, la librairie doit avoir d’autres arguments pour ne pas couper cette envie d’aller vers la lecture. Et nous, nous voulons créer cette population de lecteurs. »
Dès lors, cette formation leur a permis d’apporter un nouveau regard sur leur métier. « Donner cette atmosphère, donner une spécificité à notre libraire, c’est le genre de choses qu’on ne faisait pas au premier abord », poursuit Radia Hihi.
Pour Mohamed Skander Boucharef, qui a participé à plusieurs formations AILF, les visites des librairies de la capitale leur ont permis d’ouvrir les yeux sur de nouvelles possibilités. « J’en suis arrivé à la conclusion qu’on peut toujours innover, qu’on peut toujours faire quelque chose à notre propre niveau. Et ce, même si nous avons moins d’outils pour l’aménagement et des fonds moindres. On peut tout de même faire avec ce qui est disponible en Algérie. »
Le but de cette formation réside dans le fait de poser un œil extérieur sur leur propre travail, permettant alors « de mettre l’accent sur des choses qu'ils ne voient pas forcément au quotidien, ou qui ne leur semblent au premier abord pas importantes », reprend Agnès Debiage.
« C’est facile de rejeter la faute sur les autres, mais il faut aussi voir notre propre responsabilité. Nous sommes chacun de notre côté, il faut qu’on y remédie. Parce que tant qu’on n’aura pas de vraie association de librairies, nos demandes ne seront pas vraiment écoutées ! »
Pour Agnès Debiage, cette formation a aussi vocation à les regrouper afin de renforcer les liens entre les libraires « même plus que professionnels ».
La formation et le voyage ont totalement été pris en charge par l’Institut français d’Algérie.
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mekfouldji
18/01/2020 à 14:17
Lecture inattendue d'un événement assorti d'un suivi pour la défense du métier de libraire.
Excellent !
Julien Lemaine
24/10/2022 à 12:04
Bonjour : Je viens d'écrire un livre concernant mes années de coopération en Algérie (1974 à 1977). Il s'intitule : " Et si Djémila avait raison ?" et est disponible sous forme numérique (au prix de 3,99€) chez LIBRINOVA.
Je suis convaincu qu'il intéressera les lecteurs algériens. J'espère que vous lui ferez bon accueil.
A l'avance, je vous remercie. Cordialement. J Lemaine