Voilà une année que Nathanaëlle Quoirez s’est lancée dans l’écriture de poèmes. Dès le 1er janvier, et jusqu’à ce 31 décembre 2020, elle a composé ces textes, comme une éphéméride poétique. Aventureux ? Détachée, plutôt, et avec un certain sens de l’humour : tous les textes ont été écrits et tapés à la machine, sur du papier toilette. Une démarche dont les échos avec l’actualité du confinement ne manquent pas de piquant.
Le 31/12/2020 à 10:37 par Nicolas Gary
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Publié le :
31/12/2020 à 10:37
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Dans les premières journées de confinement, quel que soit le territoire, une peur panique a poussé les consommateurs dans les supermarchés. L’objet de leur désir ? Des rouleaux de papier toilette, achetés par dizaines. La crainte de la pénurie plus que des travers scatophiles aurait motivé ces acheteurs empressés. Entre propreté, hygiène personnelle, et autres, des chercheurs australiens avaient avancé quelques hypothèses sur le sujet.
Pour Nathanaëlle Quoirez, cette perspective d’être privée de papier toilette touchait une fibre plus artistique : elle risquait de ne plus disposer des feuilles qui recevaient sa prose poétique. Depuis les premières heures de janvier, elle avait en effet entamé un pari des plus insensés : un poème, chaque jour, tapé sur une feuille de papier hygiénique.
28 ans et Marseillaise, elle a suivi des études d'arts du spectacle, « mais je suis plutôt versée dans écriture poétique », explique-t-elle à ActuaLitté. Elle écrit, de la poésie, et « fin 2019, frustrée de ne pas trouver de maison d’édition, je me suis dit que je publierai mes poèmes sur papier toilette ». Le premier, en vers libres, se relit avec une étrange lucidité :
Tout a débuté « comme une blague, mais j’ai tenu le quotidien : une fois que le défi était lancé, il fallait le tenir ». Elle avait d’ailleurs entamé une première phase, liminaire, à l’automne 2019, cette fois avec la perspective « de composer des poèmes à la demande pour les vendre ». Mais l’aventure commença véritablement au 1er janvier 2020.
« C’est devenu drôle, une sorte de clin d’œil : partir sur des rouleaux de PQ, alors que je n’arrivais pas à être publiée. Mais une fois que les photos ont pris vie sur Facebook et Instagram, alors le projet a pris une autre tournure. »
Et voici 366 journées de parutions – année bissextile oblige –, méticuleusement recopiées, tapées, et immortalisées sur une feuille de PQ, donnant alors lieu à ce nom, Poèmes PQ, diffusés sur un compte Instagram lancé pour l’occasion. Avec autant de variété de textes qu’il se trouve de supports pour les héberger : à motifs fleuris ou en reliefs, blancs ou de couleurs, sertis d’une plume, d’une rose ou d’une étoile, les feuilles mettent en abyme les textes, en leur conférant une réalité fragile — la destinée d’une feuille de papier toilette croise rarement la route d’un musée…
NEW-YORK: des poèmes copiés sur des feuilles mortes
Une vingtaine de rouleaux de papier différents auront servi de support, avec une écriture sans thématique particulière. « Sans que l’on tombe dans une approche oulipienne, d’écriture sous contrainte, j’avais tout de même celle de la taille des feuilles à respecter. Et que le poème prenne corps dans la journée passée, avant tout. » Des saynètes du quotidien, une éphéméride poétique, tout s’est alors déployé.
« L’épuisement, parfois, de ne plus savoir quoi dire s’est fait sentir : je voulais tenir le projet, et poursuivre le travail d’écriture, mais qu’il demeure intéressant, littérairement. » Les poèmes écrits, rangés dans un classeur, avant d’être tapés à la machine, « sur un support finalement plus résistant qu’on ne l’imaginerait. J’en ai tout de même raté quelques-uns, qui sont conservés pour les souvenirs ».
Et si les confinements se sont succédé, ils n’ont pas aidé particulièrement à l’exercice. « Rester chez moi, cela signifiait surtout d’avoir la machine à portée de main. Dès que l’on part, cela n’a l’air de rien, mais tout devient plus compliqué au niveau logistique. »
Tournée vers l’avenir, elle envisagerait volontiers « d’en faire une exposition, si les galeries et les musées rouvrent ». Et puis, que l’on boucle la boucle, « il faudrait éditer ce texte, dans un livre avec les scans de tous les poèmes ».
Auteure, performeuse, Nathanaëlle Quoirez s’est engagée dans Éphéméride du Grand Ordinaire tout au long de l’année 2020, et pour 2021, prépare un autre projet, autour du « du texte-refuge & du texte-monstre ». Pour ce faire, elle sera en résidence du 3 au 16 mai prochain, à la Métive (Moutier-d’Ahun, dans la Creuse).
« Là-bas, j’animerai des ateliers autour de thématiques liées à la discrimination des LGBT. Mais j’aimerais plus encore me pencher sur une écriture diptyque de voix – d’un côté, le refuge de l’autre le monstre. C’est un peu la dualité entre l’ange et le diable. Mais tout cela reste à l’état de grande énigme pour le moment. »
6 Commentaires
NAUWELAERS
31/12/2020 à 21:55
Cette jeune poétesse -je préfère cela à «une poète» et j'aimerais revoir plus souvent cette féminisation de nom ancienne ! -donc cette personne porte un nom «presque» illustre: Quoirez !
Puisqu'une jeune femme qui avait son âge dans les années cinquante s'appelait- avant de devenir une star- Françoise Quoirez...
Mais il ne faudrait pas que notre poétesse fasse comme cette autre Quoirez en adoptant le nom de plume de Sagan !
Eh bien bonne année et même si la poésie se vend mal, bons voeux de succès tout de même à cette autrice vraiment déterminée.
Qu'importe le support pourvu qu'on ait la prose, si elle en vaut la peine !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Forbane
01/01/2021 à 14:02
Pourquoi écrire de la poésie sur du papier toilette ?
Telle est la question.
Jujube
01/01/2021 à 19:13
Je ne considère pas cette jeune femme comme "poète", "poétesse" ni même "autrice".
Ses textes ne cassent rien, elle adapte des mots (peu séduisants) à la superficie d'un support - du PQ variable - réductrice en soi, et qui ne l'a pas stimulée à un réel effort d'originalité dans l'écriture.
Elle semble cependant très contente d'elle-même et de son "exploit"; son rêve éditorial et muséographique en fait foi.
S'il fallait déclarer "poème" un texte inscrit sur une base matérielle déviée de son usage commun, sans s'inquiéter de sa valeur littéraire, eh bien, se serait - à mon avis - dénaturer la poésie. Bienvenue alors aux sparadraps, bretelles, slips et autres surfaces frappées de mots quelconques, visa d'entrée au paradis de Verlaine et ses pairs!
NAUWELAERS
01/01/2021 à 20:04
Il est un fait qu'écrire sur du papier toilette correspond à une «performance»: cette autrice est également une performeuse.
Au-delà du support spécial (disons) et de l'effet de surprise qui durera ce que durent les roses, l'espace d'un matin (de Ronsard, magnifique poète de son état qui n'était point botaniste, tant mieux pour nos amies les roses), il s'agit effectivement de convaincre et de séduire par les textes eux-mêmes !
Il y a sans doute un peu de chemin à faire pour cette étape...cruciale et principale en fait.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Ganesh
03/01/2021 à 19:59
Moi, je les trouve plutôt chouettes ses poèmes, meilleurs que bien des textes publiés sur papier vergé.
"À te faire jouir
Un matin d'espérance
La mer s'est étranglée..."
Ça sonne et ça résonne, je trouve...
PQ
05/01/2021 à 08:16
Personnellement, je trouve qu'ils ont la saveur de la matière fécale... et finalement ont bien leur place sur le support choisi. Comme quoi, les avis sont partagés ;-)