Au lendemain du vote à l’Assemblée nationale de la loi Sécurité globale, trente dessinatrices et dessinateurs prenaient les armes. La seule qu’ils connaissent : le dessin. Et voici qu’étaient exprimés, sur la place publique du net, les portraits des 380 députés qui s’étaient exprimés en faveur de la législation. Cela, juste avant que leurs portraits ne soient exposés dans les rues, à l’occasion de la manifestation du 28 novembre contre ladite loi. Un mois et demi plus tard, les représailles fusent.
Le 19/12/2020 à 13:11 par Nicolas Gary
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19/12/2020 à 13:11
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Ils avaient été qualifiés de « députés de la honte », pour avoir entériné une législation liberticide, sans avoir sourcillé. Et pour les créateurs, cette position nécessitait que les citoyens soient informés, mieux informés. Pour ce faire, les 30 dessinateurs avaient choisi d’illustrer le vote, dont le détail est public, avec 380 représentations — ni caricature ni satire : juste une représentation. Parce que cette fois, c’en était trop.
« Imaginer que des députés LREM s’accordent avec des représentants Front national, c’est le monde à l’envers : on avait élu Macron pour faire barrage au FN, et désormais, Marine Le Pen se félicite de la législation approuvée ? », s’interrogeait Loïc Sécheresse dans nos colonnes.
retrouver le site Députés de la honte
Les députés avaient majoritairement ignoré cette démarche — à la marge, quelques-uns avaient joué aux margoulins, allant jusqu’à la violation du droit d’auteur, par pure provocation. Terreur graphique et Cy avaient dû manifester patience et pédagogie pour arriver à faire entendre raison — et encore, avec des résultats peu probants. La dessinatrice avait même pointé les conséquences juridiques.
Ainsi, « ce sont des députés de cour d’école. Soit ils ignorent qu’en modifiant nos dessins, même à la marge, ils commettent une violation du droit moral, soit… » Un bref silence valait ici mieux qu’un grand dessin. Mais d’ajouter, auprès de ActuaLitté : « Dans les faits, la députée Laurianne Rossi avait tout à fait le droit de reprendre mon dessin : nous avons à ce titre accompagné d’un guide tous les dessins, en précisant dans quel contexte et comment ils pouvaient être réutilisés. Qu’elle décide de s’en servir comme photo de profil en supprimant la mention “a voté pour la loi sécurité globale”, cela en fait une contrefaçon. Point. »
Pour l’heure, aucune procédure n’avait été intentée par les auteurs lésés. En revanche, du côté des parlementaires, Jacques Maire, député de la 8e circonscription des Hauts-de-Seine, n’a pas une seconde hésité. Et voici comment l’on passait des 380 « députés de la honte » au « député de la honte bue ».
Le Parisien nous apprenait ce 16 décembre qu’un enseignant d’histoire de l’art, à Meudon, avait été convoqué par la police, pour avoir diffusé le dessin de Quentin Faucompré — lequel représentait ledit député. « Je voulais informer les Meudonnais, leur dire que leur député avait voté cette loi, car contrairement à ce qui est dit, il n’est pas si simple de retrouver sur le site de l’Assemblée nationale qui a voté quoi », notait l’enseignant.
De fait, Jacques Maire avait clamé haut et fort et sur Twitter qu’il n’entendait pas laisser ainsi des trublions se jouer de lui. Et portait plainte pour « acte d’intimidation envers un élu public », mais également « diffamation envers un fonctionnaire dépositaire de l’autorité publique ». Diable, on ne plaisante plus. « Je défends la caricature. Mais la placarder à [Meudon] et la relayer de façon injurieuse sur les Réseaux Sociaux relève de la stigmatisation publique classique pratiquée par l’extrême droite. Combattons les idées, pas les personnes. Plainte contre X transmise au Parquet. »
« La réaction de ce député est frappante, il prive les gens de leur liberté d’expression, surenchérit son avocat. Ce portrait dit une simple information, que ce soit qualifié de diffamation est ubuesque, je n’ai jamais vu ça », affirme Me Moad Nefati, l’avocat de l’enseignant. Mais le député estime que « #députédelahonte, c’est juridiquement une insulte et c’est nous désigner à la vindicte publique, appuie le parlementaire. Ce qui peut être au début un acte militant banal peut aussi, dans cette période violente, dégénérer. Des gens pourraient le prendre au pied de la lettre ».
Et d’affirmer que sa plainte est pour « adresser un message de retour au calme ». Et le Parquet de Nanterre se retrouve donc avec la responsabilité d’imposer par une possible condamnation ce retour au calme — de toute évidence, la méthode était la plus adaptée.
Sur LCI, il avait d’ailleurs insisté sur sa « [soumission] à la caricature et la transparence est une exigence ». Pour autant, le dessin de Quentin Faucompré et sa diffusion aurait eu pour intention « de faire une pression individuelle, pas uniquement politique, mais aussi mentale et psychique sur les élus de façon à influencer leur vote ». Pas du tout de faire œuvre de pédagogie auprès du public, pour l’informer des décisions prises en son nom par ses représentants parlementaires.
En revanche, le député va pouvoir goûter durant les prochains jours au fameux effet Streisand : en imaginant qu’une plainte pour diffamation, procédé relativement violent, aurait pour effet d’apaiser les uns et les autres, il s’est peut-être fourvoyé.
Car la réaction a été foudroyante : sur la page Facebook de Quentin Faucompré, les dessins ont afflué en soutien. Les 30 dessinateurs engagés dans « les députés de la honte » et d’autres, ont publié des dessins du député Jacques Maire, cette fois moins gracieux. Tenter d’étouffer le dessin par une plainte aura généré un retour de flamme : en s’aventurant sur le terrain judiciaire, Jacques Maire a déclenché un mouvement spontané des dessinateurs. Et des dessins à foison ont ainsi germé.
« Chacun, suite au dépôt de plainte, participe selon son envie. Il nous reproche de le jeter en pâture à la vindicte populaire, tout en nous classant dans le même camp que des terroristes — répétant à tour de bras, “Je suis Charlie”, ce qui n’a aucun sens », nous explique-t-on. Quentin Faucompré précisait d’ailleurs, ce 18 décembre : « Suite à la plainte du député Jacques Maire, nous allons être quelques-uns à refaire son portrait ce soir et à ajouter qu’il n’a pas honte. »
Morvandiau, Jean-Christophe Menu, Killofer, Loïc Sécheresse, Charles Pennequin ou encore Éric Pessan se sont engouffrés.
Et le dessinateur souligne : « M. Jacques Maire, l’un des 388 députés portraiturés (dont Marine Le Pen) pour avoir voté la loi d’extrême droite dite de Sécurité Globale, a porté plainte pour diffamation, insulte (pour l’expression" député de la honte »), acte d’intimidation, à propos de la diffusion de son portrait. Une loi dénoncée comme liberticide par la Ligue des Droits de l’Homme et Amnesty International.
Cerise sur le pompon, François de Vergnette, défenseur des Droits de l’Homme, professeur d’histoire de l’art et militant écologiste, a été convoqué ce jeudi au commissariat de Meudon pour avoir twitté le portrait du député, accompagné du hashtag #députédelahonte. Prenons alors au mot le député et confirmons qu’il a voté sans honte cette loi d’extrême droite. »
Joint par ActuaLitté, Quentin Faucompré évoque « une plainte bizarre et ridicule, à tous les niveaux. Notamment parce que cette attaque est centrée sur la diffusion de l’image. Or, toute l’ironie de la chose réside dans les reproches qui nous sont adressés : nous aurions utilisé des méthodes de l’extrême droite, alors que l’on parle d’une loi d’extrême droite qui a été votée ».
Voilà qui entraîne un effet domino, « avec une mise en abîme qui nous permet au contraire de continuer de parler de ce texte. Avec un comportement révélateur. Notre action était factuelle, sans rien d’agressif. La réponse du député me rappelle cette expression courante des années 90 : on parlait de « lepénisation des esprits ». Aujourd’hui, le terme a disparu, parce que ce qui en découle a été assimilé ».
Robert Badinter fut le premier à se servir de cette « lepénisation », concernant la loi Debré de 1997. Elle dénonçait alors les mécanismes insidieux de l’extrême droite, et le fait que les thèses du leader du Front national se propageaient dans le tissu national – y compris les discours politiques.
« Cela implique les violences policières, la répression, la restriction des libertés… ou encore que l’on accepte de plus en plus les outils de contrôle, de surveillance, la stigmatisation et les expulsions », relève le dessinateur. « Personnellement, je me sens souillé et insulté, par ce gouvernement. Pour un peu, ils nous traiteraient de droitdelhommistes », un néologisme péjoratif, dont Jean-Marie Le Pen avait fait son miel… dès 1997.
« La plainte, cela va de pair avec le comportement des députés qui avaient repris les dessins, en les découpant, pour illustrer leur profil Twitter. Cela montre à quel point ils tentent de récupérer notre action pour la tourner à leur avantage. Sauf que nous, on n’en veut pas de leur loi d’extrême droite. Et on a pointé l’un de ses articles, mais il y en a pas mal d’autres qui sont scandaleux. D’ailleurs, qu’Amnistie internationale et la Ligue des Droits de l’Homme la qualifient de liberticide, ce n’est pas rien. »
D’autant que depuis la diffusion des portraits, les dessinateurs en ont entendu des vertes et des pas mures. « Les insultes ont fusé : on nous a traités de Khmers rouges, de fascistes… voire, d’être téléguidés par la France Insoumise. C’est débile : nous avons agi comme citoyens, en toute indépendance. »
Depuis l’annonce du dépôt de plainte, le député Jacques Maire n’a pour autant pas pris contact avec le dessinateur. « Depuis deux semaines, nous réfléchissions à la manière dont nous répondrions à cette plainte. Tout s’est vraiment enclenché en découvrant qu’un enseignant avait été convoqué. Maintenant, toute la procédure peut continuer dans l’absurde… ou s’arrêter net. » Au Tribunal de Nanterre de définir la suite des événements.
photo d'illustration PublicDomainPictures CC 0
16 Commentaires
Liberticide
19/12/2020 à 14:42
Ces dessinateurs sont une plaie pour la démocratie : qu’attendent les épures pour leur faire trancher les mains ?
(Ou casser leur tablette graphique...)
JPP
19/12/2020 à 16:04
Bonjour,
Le commentaire de "Liberticide" est en infraction avec la loi.
Merci au modérateur de faire le signalement adéquat.
Team ActuaLitté
19/12/2020 à 16:38
Bonjour
Je plussoie : nous allons interpeller les pouvoirs publics afin que Liberticide précise ce qu'il entend par "épures", d'une part, et d'autre part, qu'on lui restreigne la connexion internet. :-)
Liberticide
19/12/2020 à 17:38
Je me suis fourvoyé !
Même si le "plan" conviendrait, il ne revient aux à nos épures de découper, mais nos "élus", bien entendu – vous aurez corrigé.
D'ailleurs, j'entends bien ne pas accorder mon vote qu'à celui ou celle qui offrira l'ostracisme à quiconque contredira le pouvoir en place. Ce sera bien net et dégagé derrière les oreilles de la sorte !
Mais ne touchez pas à internet, je ne pourrais plus consulter votre site – dont la nouvelle maquette m'a dérouté, mais en fin de compte, s'avère nettement plus propice à la sérendipité, en dépit de sa structure bien ordonnée. Bravo !
Vérité
19/12/2020 à 17:05
Il semble plutôt que ce soit des personnes possédant votre façon de penser qui doivent être urgemment épurées. Si vous acceptez et souhaitez qu'on vous musèle, changez donc de pays, de tels esprits ne devraient pas tâcher, de leur présence, le sol de ce beau pays (aux valeurs de liberté si durement gagnées par le passé) qu'est le notre.
luc
05/01/2021 à 16:10
donc supprimons Charlie hebdo n'est ce pas
Victor
19/12/2020 à 22:02
Il serait temps que les dessinateurs concernés assument leur geste. Il ne s’agit en aucun cas d’une simple manœuvre d’information à l’attention des citoyens ignorants que nous serions. S’il ne s’était agi que de cela, un dessin accompagné de la seule mention « a voté pour a loi XX » aurait suffi.
Mais y ajouter le slogan « député de la honte » et le terme « loi d’extrême-droite » relève de l’interprétation personnelle que se font ces dessinateurs de cette loi, du vote de ces députés, et donc de ces députés eux-mêmes. Cela revient à les montrer du doigt en disant « Honte à ce député fasciste qui viole vos droits et soutient les violences policières ». Ni plus ni moins.
La démocratie fait qu’ils ont pu le faire en toute liberté sans aucunes représailles du pouvoir en place qu’ils accusent pourtant de vouloir museler la liberté d’expression. Qu’une seule plainte soit déposée (1 pour 380 dessins), et voilà qu’ils poussent des cris d’orfraie.
Mais la démocratie, messieurs, c’est aussi accepter que des gens ne pensent pas comme vous, puissent se sentir offensés par les interprétations et les insinuations que vous faites d’eux, et demandent à la justice – et non à des sbires cagoulés qui viendraient vous intimider la nuit devant votre domicile (comme il est arrivé à nombre députés) - de se prononcer.
On ne peut pas user de la démocratie pour justifier son action pour la refuser à ceux qui ne sont pas de votre bord. Eux ont assumé leur opinion en votant cette loi, assumez la vôtre en reconnaissant le caractère vindicatif plus qu’informatif de vos dessins. Après, ce sont les tribunaux et les prochaines élections qui trancheront, comme il se doit en démocratie. Car oui, nous sommes bien en démocratie, contrairement à ce que beaucoup pensent et disent. Si ce n'était pas le cas, ils pourraient juste penser le contraire, mais pas le dire.
Gilles
24/12/2020 à 09:02
#commentairedelahonte
Vergnette
24/12/2020 à 11:10
Merci. Vous prévoyez quoi pour moi ? La convocation par la police à la demande du Parquet n'est sans doute pas suffisante. Pour mon tweet et la photo des affiches, je mérite un procès sans doute.
Il y a trop de liberté d'expression en France en 2020. Je pense également que Daumier qui a fait un dessin caricaturale de l'Assemblée Nationale avec le titre injurieux "Le Ventre législatif" et le sous-titre "chambre improstituée" mérite aussi d'être poursuivi.
Thierry Rebooud
20/12/2020 à 01:49
Il est comique, ce Jacques : la diffamation se définit, notamment, par l'atteinte à l'honneur et à la considération de la personne plaignante. Est-ce qu'il signifie que faire savoir qu'il a voté cette loi porte atteinte à son honneur et à sa considération ? Ou bien est-ce que c'est le fait d'avoir voté cette loi qui porte atteinte à son honneur et à sa considération ?
En tout état de cause, si le fait de faire savoir qu'il a voté cette loi est reconnu comme diffamatoire, il faudra aussi et sans tarder songer à porter plainte contre le Journal Officiel : les votes sont publics.
R
20/12/2020 à 11:35
Bizarrement, on ne parle pas de cancel culture quand un député du parti au pouvoir porte plainte pour sanctionner la diffusion d'une caricature le concernant...
Voltaire
21/12/2020 à 09:58
Surtout quand on sait que Voltaire a reçu plusieurs fois le bâton pour ses écrits... Les successeurs n'ont manifestement pas la même carrure !
Michel BLAISE
20/12/2020 à 11:49
Je lisais un article intéressant et bien écrit, à propos de cette affaire dont je n'avais jamais entendu parlé - au temps pour moi, mais à ma "décharge", un terme de circonstance ici dans sa deuxième acception, débats et discours, matin, midi, soir et nuit, sur le COVID19, ne permettent plus de tout "capter". Bref, revenons à nos moutons.
Je n'avais aucune sympathie particulière pour Jacques Maire et les députés LREM en général- je n'en ai pas davantage aujourd'hui - ni pour les fascistes de droite (non ce ne pas un pléonasme),ni pour les islamo gauchiste, bref pour les extrémistes.
Quant à ce projet de loi, quand j'écoute ou lis les arguments des pours, je suis contre et pour quand j'entends et regarde les postures de certains dessinateurs....
En un mot comme en cent, tout ces débats d' idéologues, pour les uns, de gamins immatures pour les autres, me pompent l'azur.
Et quand je lis les commentaires suite à l'article, je retrouve,
à l'exception de quelques-uns, la même "qualite" de l'argumentation et les postures de part et d'autre.
C'est à désespérer.
Pascal et bien d'autres pensaient que l'Homme est par nature mauvais - entendons mal intentionné et désireux de dominer ses semblables.
C'est un fait biologique. Nous sommes pourvus d'une petite glande, l'hypothalamus, située au bas du cerveau, qui est le centre du désir de pouvoir et de domination. Sans elle, l'individu ne peut survivre.
Est-ce à dire que l'Homme est naturellement, biologiquement mauvais ? Je le crois.
Vergnette
21/12/2020 à 08:54
Merci beaucoup pour ce très bon article sur "l'affaire de la fausse caricature de Jacques Maire" (Bertrand Tillier).
Nicolas Gary - ActuaLitté
21/12/2020 à 09:22
Bonjour
C'est avec plaisir : on espère aussi que le député nous répondra, après s'être expliqué sur les plateaux télé...
Jean-François
03/02/2022 à 03:42
Bonjour,
M. Maire est le député de ma circonscription, je voudrais savoir ou en est sa plainte pour lui en parler lors de futures réunions publiques...
Merci pour ce que vous faites.