« L’amitié ne rend pas le malheur plus léger », assure Tahar Ben Jelloun. Le livre Amitiés n’allégera rien du tout : d’un poids de 300 kg, ce livre de pierre raconte pourtant une histoire d’amis, partis se baigner dans la Marne. L’un d’entre eux, Tim, ne peut pas quitter l’Île-de-France. Mais pas question de le laisser sur le carreau. En revanche, l’imprimer sur les margelles, ça…
Le 14/12/2020 à 18:23 par Nicolas Gary
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Publié le :
14/12/2020 à 18:23
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Trois artistes ont travaillé à Amitiés, un ouvrage inédit. On connaissait en effet cet éditeur qui avait revendu d’authentiques pavés de Paris, tirés de la place du Trocadéro — accompagnés par la Déclaration des droits de l’Homme. Mais imprimer un monstre de pierre, pesant 300 kg, même Taschen n’y avait pas encore songé.
Pierre Topire, Robin Leforestier et Lutèce Mauger s’y sont pourtant attelés. « Nous avons acheté des margelles de piscine à une société du sud de la France. Pour la reliure, nous avons récupéré une échelle de piscine. Du matériau de récupération, à prix bradé », nous indique Pierre Topire. Voici donc comme les 12 pages, couverture comprise, ont été réunies : 25 kg chaque, certes, mais encore fallait-il en faire quelque chose.
« L’histoire est celle de trois amis qui partent dans le sud de la France. Et comme leur ami, Tim, ne peut pas se déplacer, le voyage de cet ouvrage devient une forme de métarécit : le personnage Tim est dans le livre, mais immobile sur Paris. Et sa présence gravée dans la pierre fait parcourir à ce double pétrifié un trajet qui lui est inaccessible », poursuit l’artiste auprès de ActuaLitté.
Pour accomplir ce petit prodige, totalement improbable, les trois artistes ont contacté un imprimeur parisien. « L’impression sur pierre s’est décomposée en plusieurs étapes : d’abord, nous avions envisagé un transfert des photos sur la pierre, mais qui n’a rien donné. Avec l’imprimeur, nous avons découvert une technologie à base de jet d’encre qui fixe l’image à l’ultra-violet. » Une méthode employée pour des panneaux de signalisation, par exemple.
Entre la récupération des matériaux et la fabrication, quelque deux semaines de travail les attendaient. Au final, un objet totalement insolite, imprimé en recto verso… à qui ils ont décidé de faire traverser la France. « Il y avait quelque chose d’incongru dans ce périple : avec les librairies qui avaient dû fermer, imaginer un livre en pierre sur les routes, ça devenait cocasse. »
Débuté avant le second confinement, le projet est totalement indépendant — ni mécène ni commanditaire. Et voici qu’entre octobre et novembre, les trois artistes partent par les chemins, avec le livre dans le coffre de leur véhicule — lequel a particulièrement souffert quand les routes étaient mal entretenues…
« Nous sommes passés par Nice, Marseille, Monaco ou encore Bordeaux et Toulouse. D’ailleurs, dans notre arrêt bordelais, notre voiture a été cambriolée… mais le livre n’a pas bougé. » Les voleurs, rebutés par l’objet, n’ont certainement pas pesé bien longtemps l’affaire avant d’imaginer qu’ils se casseraient les dents sur cette œuvre. « Ce qui fait que, par la suite, on nous a donné des affaires pour qu’on s’habille, au fil de nos arrêts. »
Le choix des villes, effectué au hasard des contacts puis des rencontres, s’est ramifié : le bouche-à-oreille, les conseils des gens rencontrés… « Nous voulions sortir des cadres institutionnels classiques : ce qui nous importait, c’était de porter et déplacer le livre. » Et de le sortir, à mains nues, du coffre de la voiture, autres scènes d’anthologie.
Pour insolite qu’il soit, l’objet a parfois suscité des réactions inimaginables : « Dans le sud, il y avait cette dame, qui a vu le livre, s’en est retournée chez elle, et nous est revenue avec un journal daté d’avant la Première Guerre mondiale. » Un article y faisait état de sa grand-mère, ayant reporté une course de natation qui se déroulait dans la Seine.
« Et la ligne d’arrivée, c’est la rencontre de la Seine et la Marne, justement où nous avions pris les photos. D’ailleurs, c’est dingue, mais sa petite fille qui était présente, ne connaissait rien de l’histoire de cette nageuse, pourtant de sa propre famille. »
À présent que le second confinement a pris fin, chaque artiste a repris ses activités. « On nous demande de l’exposer encore, mais, par exemple, le montrer à Paris n’aurait aucun sens — vu que Tim est bloqué en Île-de-France, il peut se rendre à Paris. Le voyage comptait parce qu’il agissait comme une procuration symbolique. »
Lourdement symbolique, diraient certains.
L’avenir de ce gros rocher sera… la vente. Mais certainement pas dans une perspective mercantile. « En fait, nous voudrions le troquer pour une piscine, que l’on ferait construire. C’est un exemplaire unique, avec un vécu très spécifique. Et nous avons déjà rencontré un pisciniste amusé et intrigué par le projet, qui a établi une maquette 3D de ce que cette piscine pourrait être. »
Nota bene : en Hongrie, un livre de 1,5 tonne avait été présenté en janvier dernier. Mais tout en papier celui-ci.
2 Commentaires
Ouh là !
15/12/2020 à 11:43
J'aime les aventuriers de l'impossible. Bravo à eux.
Ed
20/12/2020 à 10:57
D'accord, il y a la performance artistique, assez indescriptible.
Ensuite, le projet, humaniste, j'apprécie.
Mais j'aurais adoré voir la tête des gens qui découvraient les "pages" sorties une à une de la voiture, à 25kg pièce. Certainement entre ahurissement et consternation...