Le 13/12/2007 à 09:00 par Clément Solym
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13/12/2007 à 09:00
Doris Lessing, romancière britannique née en 1919, a reçu le Prix Nobel de Littérature 2007 le 11 octobre dernier.
C’est le 7 décembre qu’elle a prononcé son discours de réception, intitulé d’une manière quelque peu provocatrice, Comment ne pas gagner le Prix Nobel ?
Au travers de différentes anecdotes, toutes en rapport avec son expérience personnelle, elle met en parallèle une petite école sans moyens perdue au fin fond du Zimbabwe et le confort scolaire dont peuvent bénéficier les plus privilégiés des petits anglais. D’un côté le livre est un objet recherché, peu importe le titre ou l’auteur, de l’autre c’est un objet banal qui en vient à être délaissé par les élèves qui en ont à ne plus savoir qu’en faire.
Dans la petite école sans moyens visitée par la romancière au début des années quatre-vingts, la bibliothèque est constituée de quelques livres usés et impropres à des lecteurs débutants. Ce ne sont que des rebuts de la société occidentale, envoyés sous le coup d’une générosité douteuse. Chacun livre son savoir à l’autre dans un dénuement presque total. Elle se souvient encore de ces villageoises qui n’avaient pas mangé depuis trois jours et qui trouvaient néanmoins le moyen de discuter « bouquins » au sein de leurs cahutes…
Même si Doris Lessing a passé une partie de son enfance au Zimbabwe, qui était alors une colonie britannique, elle ne s’est jamais retrouvée dans un tel manque de culture. Passionnée par la lecture dès son plus jeune âge, elle s’est mise à écrire très tôt quelques nouvelles. Ce n’est qu’à partir de son arrivée à Londres, avec la publication de Vaincue par la brousse, en 1949, qu’elle connaît le succès. Engagée pour la cause des femmes et dans un premier temps aux côtés des Communistes, elle sera de tous les combats à travers la planète.
Se retrouver face à un tel manque d’une denrée qui pour nous est tellement commune que l’on en pressent jamais le manque, simplement la surabondance n’a pu laisser de marbre Doris Lessing. C’est ainsi que de passage dans un célèbre établissement de la banlieue londonienne, elle n’a pu retenir ses mots pour tenter de faire prendre conscience à ces élèves qu’ils avaient une chance inestimable : la culture se livrait à leurs pieds.
Expérience peu satisfaisante selon l’auteur, dans un lieu où la bibliothèque du collège regorge d’ouvrages alors que, cette fois, c’est la présence des élèves qui fait défaut. Il n’est pas besoin de vous dire que les pensionnaires de ce collège ont tout de même de bien meilleures chances d’arriver un jour à être couronnés d’un prix. Quant à ceux qui sont au fin fond de la brousse…leurs chances se réduisent d’autant.
Le réalisme des reconstitutions et des tableaux que brosse Doris Lessing nous permet de ressentir l’immense fossé qui sépare les élèves londoniens de ceux du Zimbabwe. Pourtant, la palme de la bonne volonté reviendrait sans aucune hésitation à ces déshérités du savoir. Certains peuvent parcourir une dizaine de kilomètres à pieds pour se rendre dans leur école.
Toutefois, devant un tableau en apparence très manichéen, Doris Lessing tient à mitiger ses propos, notamment en tentant d’évaluer l’impact de l’arrivée de la télévision puis d’Internet. Cette révolution, qu’elle met en parallèle avec celle qui a suivi l’arrivée de l’imprimerie, influe sur le temps de lecture que s’accorde chaque élève. Ainsi l’on voit sortir de nos écoles si riches en offres de connaissances de toutes sortes des élèves qui n’ont lu presque aucun livre. Ils ont des savoirs certes, mais très parcellaires, voire très techniques. En revanche, la part culturelle s’estompe à grands pas au profit de l’alimentaire, de l’utilitaire.
Ce constat fait par cette féministe de la première heure ne manque pas de réaliste. Lorsque l’on met en parallèle la soif de connaissances de ces jeunes issus de pays dits du Tiers Monde avec la soif de télé de nos jeunes prodiges…il y a matière à réflexion. De quoi d’ailleurs finir par remettre en cause l’intitulé même de l’exposé fait par Doris Lessing.
La culture est omniprésente autour de nous. D’aucuns se battent même au quotidien pour en demander la gratuité pour tous. Et pourtant, combien de lieux où elle s’étale sans compter demeurent sans chalands…
Notre auteur s’amuse d’ailleurs à étudier le profil de quelques Prix Nobel tels que Orhan Paumuk, V.S. Naipaul ou encore John Coetzee qui tous avaient forcément un entourage plus que porteur…
Je vous invite à venir lire dans son intégralité le discours de Doris Lessing qui est fidèle au personnage, un ton juste qui ne saurait laisser indifférent mais qui capte irrésistiblement l’attention. Le site de La République des Lettres le reproduit dans sa totalité.
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