Premier roman, et première étape d’une trilogie, Renaissance inaugure l’univers de Thair. Un monde post-apocalyptique imaginé par Jean-Luc Marcastel, qui publie chez Leha Éditions le tome 1. Mais en avant, des centaines de pages ont préparé l’avènement du livre — un background complet, dense, détaillé, pour explorer ce nouveau monde.
Le 21/01/2020 à 15:27 par Auteur invité
Publié le :
21/01/2020 à 15:27
En partenariat avec Leha, ActuaLitté vous propose de découvrir ces extraits inédits, comme autant de making-of de l’ouvrage.
« Le 12 août 2534 :
Quel étrange foyer que le nôtre, et quel parcours avons-nous suivi depuis quelques années… Il a fallu que le monde soit détruit et ruiné, nos foyers, nos maisons, nos orgueilleuses cités qui s’élevaient jusqu’aux étoiles, le moindre confort matériel nous soit enlevé pour que nous nous retrouvions à nouveau, pour que nous formions un peuple, que nous connaissions le nom et partagions les joies et les peines de ceux qui vivaient à côté de nous.
Comment décrire notre havre à ceux qui, peut-être, dans des centaines d’années, auront oublié jusqu’à notre calvaire, notre pénitence, et parleront de nous avec emphase, nous mettrons dans leurs thèses à coup de chiffres et de phrases pompeuses entre collègues chercheurs.
Qui sommes-nous tous ? Peut-être devrais-je commencer par-là ?
Et bien des hommes et des femmes : ouvriers, chercheurs, pilotes de chasseurs spatiaux, étudiants, prostituées, artiste, enfin, tout ce qui compose la mosaïque précieuse de l’humanité, ces gens que nous ignorions ou méprisions hier encore, et qui sont devenus pour nous, maintenant, plus précieux que jamais, dans ce qu’ils ont d’unique, leurs différences et leur diversité tout ce que la race humaine et le monde a failli perdre à jamais.
Moi par exemple, ex-grande universitaire reconnue au niveau mondial, qui côtoyais les plus mondains des cercles de la terre et me montrait d’une suffisance cauteleuse envers tous ceux qui n’appartenaient pas au petit cercle de « l’aristocratie intellectuelle » bien-pensante, eh bien je partage une alcôve souterraines au mur de béton brut avec un simple lit militaire et, pour tout confort sanitaire, un w.c. et un évier escamotable, fonctionnels, mais pénibles, avec une jeune fleuriste eurasienne de 23 ans.
Et savez-vous, cette jeune femme, que j’aurais ignorée il y a moins de trois ans, est devenue pour moi la plus belle des découvertes… Partager la vie de Tanee est merveilleux. La regarder se réveiller le matin, me sourire, me raconter, oh, mille choses sans importance, avec son accent chantant comme un ruisseau… À travers elle, je me suis réconciliée avec l’humanité. Dans la nuit froide de la terre où nous sommes réfugiées, c’est avec un immense bonheur que je partage ma paillasse. Il a fallu cet holocauste, cette apocalypse, pour que j’apprenne la valeur de la vie humaine, le sens du mot amitié et le don de soi.
Je crois qu’il en va de même pour nous tous ici. Aussi malheureux que ce soit à dire, le meilleur de l’humanité ne se révèle qu’au fond du gouffre.
Ici, en bas, sous ces millions de tonnes de pierre et de boue, de décombres et de cendres, loin sous la surface de ce monde dévasté, les différences se sont estompées, les dissensions se sont tues, les haines se sont éteintes, du moins temporairement.
Je me doute bien que cet état de grâce ne durera pas, que le naturel belliqueux et querelleur de l’homme finira par ressortir, dès que les gens seront de nouveau remis sur pieds, dès qu’ils se sentiront de nouveau en confiance, ils recréeront leurs petites hiérarchies et pourront de nouveau exercer leur pouvoir et leur mesquinerie, leur mépris et leurs petites défiances méprisables… Mais sans moi. Plus jamais. Et même si c’est inutile, je me battrais pour que les choses ne redeviennent pas comme avant.
Mais je m’aperçois que, en vous livrant ainsi sans pudeur mes pensées un peu vaines (peut-être un reste de la philosophe acharnée que j’ai été, qui déballait ses grandes théories dans toutes les conventions du monde), je ne vous ai même pas décrit notre demeure.
Allons, pour ne pas laisser dans l’ignorance les historiens futurs, et faucher l’herbe sous les pieds de ceux qui auraient pu élaborer mille théories fumeuses à partir de nos os, nos déjections où que sais-je encore, je vais essayer d’être la plus concise possible.
Quand l’enfer s’est abattu sur nous, à Tolosa 1, que les tours se sont effondrées, je me suis retrouvée isolée dans une station de métro avec un groupe de personnes.
Alors que le vent furieux s’engouffrait jusqu’à nous, que les hurlements des mourants et la puanteur des brasiers nous parvenaient, certains, dont j’étais, ont gravi les marches qui menaient à l’extérieur, enjambant les décombres et les cadavres, pour se rendre compte de ce qui se passait vraiment.
Ce que nous avons fut est indescriptible… Je n’essaierai pas de vous en faire une ébauche. Vous ne pourriez même pas l’imaginer, comme je ne l’aurais moi-même jamais pu…
Essayer de vous représenter un bûcher, un bûcher à l’échelle d’une cité, et les damnés rôtissant au milieu des décombres. Nous avons tous battu en retraite… Nous voulions voir, eh bien nous avions vu ! Pauvre de nous.
Certains se sont effondrés, ont fait des crises de nerfs… Mais il y en avait un, un homme grand, fin, mais nerveux, de belle prestance, j’ai appris plus tard qu’il s’appelait Aurélien et qu’il était officier de la défense terrienne, qui a élevé la voix, une voix grave, qui, d’emblée, imposait le calme et rassurait… Un véritable roc sur lequel s’appuyer au milieu d’un monde en désintégration. Il nous a ramenés au calme, puis, quand tous l’ont écouté, nous a rappelé l’existence du bastion de Tolosa 1.
Pour ceux qui ne connaîtront probablement pas l’histoire de notre passé, je vais brièvement rappeler ce que sont les bastions. Il s’agit de véritables forteresses souterraines, équipées d’un système de survie autonome : serres intérieures, réserves d’eau potable assurée par une nappe phréatique renouvelée et recyclée par des filtres, équipées de tout le confort dont on puisse rêver, construites comme de véritables petites villes enterrées et de tout ce qu’il faut pour vivre en autarcie totale pendant plus de 1000 ans, le temps que l’hiver qui suivrait une guerre nucléaire et les radiations mortelles qui se seraient répandues sur le monde disparaissent.
Ces bastions ont été construits voici 250 ans environ, avant que n’existe le CND (Conseil du Nouveau Départ), quand les Nations dominaient encore le monde, et surtout après les guerres de la faim où l’alliance du sud avait envoyé 3 missiles à tête nucléaire sur Hambourg, Amsterdam et Lyon, celui destiné à Paris ayant été intercepté de justesse.
Même après que la paix et les traités alimentaires ont été conclus, dix ans plus tard, après des conflits acharnés et même si les pays de l’alliance du Sud avaient reconnu n’avoir eu en leur possession que ces quatre missiles, les nations du Nord, par peur d’attaques futures, et pour garantir leur survie en cas de guerre totale, s’étaient lancés dans l’édification massive des bastions.
Ces derniers, depuis deux siècles et la paix mondiale, étaient pratiquement tombés dans l’oubli. Nous par exemple, à Tolosa 1, savions que se trouvait sous nos pieds une ville souterraine capable d’accueillir 11 000 âmes. Nous l’avions appris en cours d’histoire, mais l’avions oublié. Personne ne pensait au bastion, même si les militaires qui en avaient la garde et l’entretien organisaient des visites guidées en mémoire de l’époque où nous avions peur.
Et bien nous avions peur à nouveau.
Je me rappelle que quelques années avant le cataclysme, le CND avait parlé de détruire les bastions, reliques d’une époque révolue… Y repenser, maintenant, me terrifie.
Sous la houlette d’Aurélien, et sa calme autorité, nous avons tous pris le chemin du bastion de Tolosa.
Il faut croire que c’est le destin, ou une chance exceptionnelle, mais il en connaissait le chemin. Il nous y a conduits, par le métro et les égouts, et un peu par la surface, quand nous ne pouvions faire autrement… La marche fut longue, terrible. Je crois bien que je pourrais en écrire un livre si je devais détailler tout ce qu’il y avait à dire, un de ces livres qu’appréciait notre jeunesse désœuvrée, pleine de terreur, de fracas, d’actes héroïques, méprisables, lâches ou terribles, d’amour et de malheur… Ce ne fut pas facile, tant s’en faut. Si l’enfer existe, nous l’avons traversé.
Enfin nous sommes parvenus au bastion. Les portes souterraines en étaient encore ouvertes.
Nous n’étions pas les seuls à avoir eu l’idée de nous réfugier ici. Ils étaient déjà des milliers à s’engouffrer par le porche monumental, descendant la rampe de métal depuis la cité en feu… Nous nous sommes mêlés au flot et avons réussi à entrer.
Certains de ceux qui étaient déjà dedans, craignant que trop de personnes ne rentrent, et de perdre une place qu’il venait à peine eux-mêmes de gagner, voulaient que les portes soient fermées.
Aurélien, se faisant connaître des militaires dépassés qui gardaient le poste d’entrée, et leur étant supérieur en grade, leur demanda où en était le décompte… Il restait encore 4000 places. Il ordonna qu’on laisse les portes ouvertes.
Mais les enragés de l’intérieur avaient trouvé un porte-parole, l’ancien meneur d’un parti politique extrémiste et xénophobe, prônant le retour aux valeurs ancestrales et au système des nations. Une partie de ses ouailles, hommes ou femmes, déchaînés, avancèrent vers nous pour prendre le poste d’assaut.
Aurélien fut admirable. Il me demanda de rester en arrière, moi qui m’étais retrouvé sa voisine de marche, et qu’il ne connaissait qu’à peine, avec sa voix de gentlemen un peu désuet, et s’avança à la rencontre de la foule.
Les premiers qui essayèrent de s’en prendre à lui ne furent pas déçus… Sous ses allures de lord Anglais et son costume un peu précieux se cachait une véritable machine de guerre parfaitement entraînée, et, je le soupçonne, techno-optimisée.
Quand il eut brisé leur vague, il porta un micro à ses lèvres, annonça qu’il restait encore 4000 places et qu’elles seraient toutes pourvues. De plus il ajouta que des batteries de défenses à impulsion équipaient les murs de cette entrée et qu’il ferait ouvrir le feu sur les agitateurs si ces derniers ne se calmaient pas.
Les 4000 suivants sont entrés… Mais il en arrivait d’autres.
Ceux-là n’ont pas pu entrer… Les portes de carbotitane se sont relevées devant eux.
Je comprends la nécessité du geste d’Aurélien. Le bastion ne pouvait assurer la survie de plus de 11000 personnes, pas une de plus, la marge était déjà trop juste… Mais j’emporterai jusque dans ma tombe les hurlements de désespoir, de colère et d’horreur de ceux que nous avons laissés dehors.
Certains reprochent, aujourd’hui, le geste d’Aurélien, l’accusent d’avoir abandonné ces hommes et ces femmes, ces enfants, à l’extérieur, certains sont d’ailleurs les mêmes que ceux qui voulaient faire fermer les portes prématurément… Je dis que ce sont des lâches, qui se déchargent de leur responsabilité sur un autre, et je ne pense pas me tromper en affirmant qu’Aurélien ne fait pas que des rêves agréables. J’ai vu son visage quand il a ordonné de fermer les portes.
Enfin, je me rends compte que je me suis beaucoup écarté de mon sujet de départ, mais je pense qu’il était nécessaire de vous faire partager un peu de ce que nous avons vécu, de la mort de ce monde… De ce jour maudit entre tous…
Notre bastion a été construit sur le modèle de toutes les forteresses de la génération « Perséphone IV », (c’est d’Aurélien que je tiens ces renseignements). Concrètement, il s’agit d’une gigantesque pyramide inversée, entendez par là qu’on a creusé une cavité de la forme d’une pyramide dont le sommet se serait presque trouvé au niveau du sol… Ce trou a une profondeur de 500 mètres. Le carré qu’il forme à sa base fait 1 km de côté et se rétrécit vers le haut. Ce carré de terre, à 500 mètres sous la surface du sol, et couvert de champs cultivés et irrigués par un système souterrain. Les plantes qui y poussent sont des variétés génétiquement modifiées et améliorées pour présenter une ration alimentaire équilibrée et un apport calorique suffisant pour chacun de nous. Quelques chemins traversent ces champs. Des cours d’eau y sont aménagés entre deux rangées d’arbres, on a le droit de s’y promener si l’on ne va pas poser le pied dans les cultures.
Toutes les parois qui entourent ce puits pyramidal sont faites de métal ajouré par des galeries qui forment les différents étages de notre « ville ». C’est là que sont construits, rayonnants depuis le bord du puits, nos logements, les réfectoires, les bars, les salles de réunions, gymnases, bibliothèques les succédanés de parcs… tout ce qui est nécessaire à l’activité humaine.
Le confort de nos logements est spartiate, mais je ne me plains pas, Tanee, avec son merveilleux naturel et sa facilité à s’arranger du pire, nous a construit, avec quelques vieux chiffons et de la ferraille de récupération, un paravent improvisé pour nos commodités… Elle a la capacité extraordinaire d’arranger le pire avec un rien.
La vie n’est pas forcément facile dans notre bastion. Ne pas voir le ciel me manque. Les jours et les nuits factices de la pyramide, bien que techniquement semblables à ceux de la du monde extérieur avant le cataclysme, ne remplacent pas vraiment ce que nous avons perdu, et nous nous sentons, même malgré le confort relatif dont nous disposons, comme les pensionnaires d’une immense prison… J’ai honte de telles pensées quand je songe à ceux que nous avons laissés au-dehors et qui auraient tout donné pour être à notre place.
Il est étrange de se dire que les générations à naître ne connaîtront pas cette angoisse du confinement, car elles seront nées et auront grandi ici, en boîte, sans avoir rien connu du monde extérieur.
Par moment, quand je vais voir Aurélien, il me convie à regarder les images que les dernières sondes robots envoyées au-dehors leur transmettent.
Rien n’a changé, je crois que c’est même pire maintenant que les incendies ont cessé… Ce paysage monochrome sous ce ciel désespérément noir d’où tombe une neige qu’on dirait faite de cendres… Un linceul pour un monde assassiné.
Il m’a dit une fois que ce serait encore la même vue la prochaine fois, puis celle d’après, puis celle d’après, au moins pour les huit cents ans à venir.
Quand il m’a de nouveau proposé de regarder, j’ai refusé. »
Extrait des carnets de Dominicia Khan
Archives de la bibliothèque de Tolosania
Section pré-Anthir
Jean-Luc Marcastel – Thair Tome 1 ; Renaissance – Leha Editions – 9791097270421 – 19 €
plus d'informations
Paru le 10/01/2020
384 pages
Leha Editions
19,00 €
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