Le Rapport Racine fait couler beaucoup d’encre : 140 pages d’un constat sans précédent sur la crise des artistes-auteurs. Le tout assorti de mesures ambitieuses. Seront-elles mises en application ? C’est la question. Publiques depuis une semaine, ces préconisations font déjà l’effet d’une bombe dans le paysage de la création française. Et le jeu de chacun se dévoile plus clairement.
Tout le monde se souvient des vœux du SNE. La crainte de Vincent Montagne était de voir l’État légiférer sur les questions de rémunération des auteurs. Quelques semaines plus tard, le rapport Bruno Racine montre qu’il y avait de quoi avoir peur : les auteurs ont enfin été entendus. Le document fait beaucoup parler du côté des maisons d’édition, mais pas seulement.
La mission s’est attaquée à un sujet épineux : la représentation professionnelle des artistes-auteurs. Qui défend non pas « le droit d’auteur » mais « les droits des auteurs », pas seulement juridiquement, mais aussi économiquement ? Et surtout, avec quels moyens ?
Aujourd’hui, les organisations professionnelles reposent principalement sur le bénévolat. Quand ce n’est pas le cas, le système de subventions implique des liens de dépendance très problématiques avec les financeurs. Depuis quelques jours, les langues se délient.
« Dans certaines associations on a des pressions de nos financeurs que personne n’imagine », témoigne un auteur actif dans une association. « Signer tel courrier ou ne pas en signer un autre… Rester libres et indépendants est une lutte permanente. Si la structure qui nous finance estime qu’on ne va pas dans son sens, on peut nous menacer de supprimer la subvention l’année suivante. Parfois ça veut dire ne pas aller dans le sens de l’intérêt général des auteurs. Quand on a des salariés, ça nous fait choisir entre licencier des gens ou prendre position. Ce n’est plus tenable. »
Pour remédier à cette situation, le rapport Bruno Racine a une préconisation qui ne semble pas ravir certaines sociétés de gestion collectives : les irrépartissables, ou le trésor de guerre.
Ce terme d’équarrisseur désigne les droits (revenus) d’auteur qui faute d’avoir été réclamés par les auteurs, reviennent au bout de quelques années dans la trésorerie de ces sociétés. Le rapport indique précisément, page 58 :
La participation des OGC à ces frais pourrait être prévue par la loi, rompant le risque de dépendance pour les représentants des auteurs qui s’attache aujourd’hui au caractère optionnel de la contribution des OGC à leur fonctionnement. À cet égard, les mêmes ressources prévues par le code de la propriété intellectuelle, pour financer des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant, au développement de l’éducation artistique et culturelle et des actions de formation des artistes, pourraient être employées au financement de la représentation indépendante des artistes-auteurs.
Bruno Racine ajoute, un peu plus loin :
Les ressources pour ce financement existent et pourraient être aisément mobilisées. On rappellera que, chaque année, 60 M€ relevant à la fois de la fraction des ressources de la copie privée et des “irrépartissables” restent sans utilisation et nourrissent la trésorerie des OGC (laquelle représente près de 2 milliards d’euros, soit une année de droits perçus, ce qui selon la commission de contrôle des OGC représente une prudence maximale). Compte tenu des montants en jeu, un mécanisme de financement via les OGC peut donc être trouvé sans grever leurs capacités.
Les montants ont été contestés, mais d’un côté, 41 % des auteurs qui vivent avec moins que le SMIC, de l’autre, de magnifiques hôtels particuliers… des questions se posent légitimement.
Et si vraiment M. @franckriester on essaie de vous faire croire que les temps sont plus difficiles pour les ogc que pour les auteurs, jetez un œil à toutes leurs adresses. C’est rare, vous savez, les auteurs regroupés pour travailler dans de si jolis ateliers ! @LigueAuteursPropic.twitter.com/f8Zu3swO0k
— Sophie Dieuaide (@DieuaideSophie) January 26, 2020
« Il faut arrêter de croire qu’on vit dans un monde de Bisounours où tout le monde défend “le droit d’auteur” », témoigne une artiste. « Seuls les syndicats sont habilités à défendre les intérêts moraux et matériels d’une profession. Ça s’appelle le Code du travail. Les sociétés de gestion de collectives sont des sociétés qui veulent chacune accroître leur part du gâteau. Tant mieux : on en profite par ricochet. »
Cependant, « ce n’est pas le même boulot ni exactement les mêmes intérêts. Elles collectent. Elles répartissent. Et on se pose parfois des questions sur leur opacité, leurs redditions de compte ou leur régularité de paiement. On travaille ensemble, mais chacun devrait avoir un champ d’action bien délimité. »
Si les communiqués des organisations professionnelles des artistes-auteurs sont plus enthousiastes que jamais, ceux des sociétés de gestion collectives sont plus prudents. Pour ne pas dire hostiles à certaines mesures. La représentation professionnelle et les élections sont des sujets absents. Le Conseil Permanent des Écrivains, composé de façon mixe de sociétés de gestion collective, d’associations et de syndicats, n’en fait pas mention.
De même, la SGDL est restée muette à ce sujet. Ça n’a pas échappé à certains auteurs. De plus en plus, les auteurs eux-mêmes font des recherches sur les financements des différentes organisations et l’utilisation de l’argent collecté au nom du droit d’auteur.
Et le mieux ! Voici un extrait du #rapportracine. La SGDL demande à échapper à la démocratie, comme si elle en avait peur. J'espère que monsieur @franckriester et ses équipes du @MinistereCC sont conscients du scandale ! Parce que nous, auteurs, avons vu. pic.twitter.com/jH5XXZA7EK
— Audrey Alwett (@AudreyAlwett) January 24, 2020
Bon ! combien a coûté cette merveille de répertoire Balzac (s’il voyait ça !) 2017 (au titre à d’aide à la création)100000, 2018 (formation des artistes ) 55000 et (diffusion spect. vivant ) 35000 soit 190000 euros Wahou ! A ce prix là je fonce voir. Oups ça fait cher le bug pic.twitter.com/ZsugJQwJHr
— Sophie Dieuaide (@DieuaideSophie) January 24, 2020
Un représentant de la SACD a diffusé une tribune d’une autrice de doublage qui va contre le rapport : « Ce qui manque, c’est plutôt la volonté des auteurs à consacrer un peu de leur temps à ces organisations qui les défendent pourtant. Donc organiser des élections ne changera pas grand-chose », affirme Vanessa Bertran dans Electronlibre.
Les bénévoles qui remuent ciel et terre depuis des années pour voir leurs conditions s’améliorer vont apprécier.
Quelques clics Google plus tard, on découvre que Vanessa Bertran est l’une des administratrices de... la SACEM, société de gestion collective mélangeant compositeurs et éditeurs de musique. Par ailleurs, ActuaLitté a pris connaissance de documents indiquant l’indemnité mensuelle d’un administrateur de la SACEM : 2754 € par mois.
Des informations que l’on retrouve dans le budget prévisionnel 2019, avec indemnités consenties en 2018.
Si organisations professionnelles et sociétés de gestion collectives trouveront des terrains d’entente sur certaines mesures, cela s’annonce difficile sur la question de l’indépendance, des élections professionnelles et des financements.
La SCAM le laisse d'ailleurs entendre, subrepticement, dans sa réaction à la diffusion du rapport Racine : si l'organisation « comprend parfaitement la nécessité d’améliorer le cadre d’intervention des organisations syndicales et professionnelles que préconise le rapport, [elle] tient à souligner que les organismes de gestion collective, de manière complémentaire, contribuent utilement à la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres et doivent pouvoir continuer à œuvrer en ce sens. »
Qui dit élections professionnelles dit ménage de printemps. Critères objectifs liés au Code du travail et démocratie. Depuis des mois, une dizaine d’organisations professionnelles demandent que les artistes-auteurs eux-mêmes retrouvent voix au chapitre. Rappelons que les artistes-auteurs n’ont plus la gouvernance de leur régime de sécurité sociale depuis 2014. Qui a peur des élections professionnelles ?
1 Commentaire
Jérôme
30/01/2020 à 12:52
"Les bénévoles qui remuent ciel et terre depuis des années pour voir leurs conditions s’améliorer vont apprécier."
Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette remarque ? M'est avis que les bénévoles qui remuent ciel et terre sont bien d'accord et qu'ils aimeraient bien davantage de soutien du reste de la profession.
L'autrice citée juste au-dessus de cette phrase (à laquelle votre phrase réagit) dit "c’est plutôt la volonté des auteurs à consacrer un peu de leur temps à ces organisations qui les défendent pourtant.", vous en concluez qu'AUCUN auteur (vous croyez que les bénévoles dont vous parlez sont quoi) ne consacre du temps à la défense de la profession ? Les bénévoles dont vous parlez, vous ne croyez pas qu'il y en a, dans ces "organisations" ??
Ce n'est pas pour autant que sa conclusion ("organiser des élections ne changera pas grand-chose") est correcte, mais un peu d'honnêteté intellectuelle, bon sang !