FIBD 2020 — Le président de la République Emmanuel Macron, en déplacement en Charente pour visiter une usine, ne pouvait pas passer à côté du festival d'Angoulême. Outre la portée culturelle de l'événement, les auteurs ont aussi fait du FIBD une plateforme de revendications, portant sur leur statut fiscal et social, mais aussi leur rémunération dans le cadre de la publication de leurs oeuvres. Une réunion avec le ministre de la Culture, suivi d'un déjeuner avec le président, leur ont permis de faire part des attentes.
Tout au long de son déplacement, Emmanuel Macron aura été suivi par l’actualité sociale, brûlante comme il se doit, de la population française : des professions sur le qui-vive, avocats, instituteurs, et bien entendu les auteurs, qui, avec la publication récente du rapport Racine, sont toujours aussi mobilisés.
Dès son arrivée à Angoulême, une partie de la population française, qui manifeste depuis plusieurs mois, s'est rappelée au bon souvenir d'Emmanuel Macron. À 13h, alors que l’année de la bande dessinée devait démarrer devant le château de la ville, les slogans des manifestants ont rapidement couvert l’opération organisée par le ministère de la Culture. Face à une dizaine de participants, qui ont levé leurs bandes dessinées, ont répondu des chants pas vraiment accueillants pour le chef de l’État.
Un changement d’itinéraire plus tard, le président s’est rendu à un déjeuner réunissant des auteurs, représentants d’organisations professionnelles ou non, des éditeurs, dont Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, Jacques Glénat et Charlotte Gallimard (PDG de Casterman, filiale de Madrigall) mais aussi Bruno Racine, auteur du rapport qui porte son nom. « Il ne s’agissait pas d’une réunion de travail, le tempo était donc différent », explique un auteur présent.
Rappelons que le document ne devait être remis qu'en février, mais sur intervention de l'Élysée, sa date de communication a été avancée – une première, selon certains.
Plusieurs auteurs, de générations et secteurs variés étaient également présents, et à leurs côtés, le Snac BD et la Ligue des auteurs professionnels. L’occasion rêvée d’exposer la pluralité des problèmes rencontrés : droits sociaux, reconnaissance des AA, statut professionnel.
« Très vite, c’est venu sur le terrain de la mobilisation des auteurs, le statut fiscal, le statut social, ou encore la communication nécessaire avec les éditeurs. Leur présence était d’ailleurs utile, car elle a permis d’ouvrir des discussions, même si les éditeurs sont restés plutôt silencieux. » Le Syndicat national de l’édition venait, ce 30 janvier, de publier un communiqué laconique, mais éloquent sur le rapport Racine.
En marge du déjeuner avec le président Macron, ce dernier a indirectement répondu aux reproches qu’on a pu entendre, l’accusant d’un certain déséquilibre, l’intéressé ne s’est pas privé de répondre. Selon lui, « le rapport n’a jamais perdu de vue les questions d’équilibre. Il m’avait été demandé de répondre à l’absence de politique pour les artistes auteurs, et de trouver comment y remédier ».
Au déjeuner, justement, il fut question de ces conclusions. « Le président a fait preuve d’une écoute attentive, que ce soit sur les prises de position ou les récits de vie. » Étaient également conviés des éditeurs indépendants, et des membres du Syndicat des éditeurs alternatifs, qui ont amplement apporté leur soutien aux auteurs : selon eux, la possibilité de contrats équilibrés existe, ils l’ont déjà instauré avec leurs auteurs.
Au final, Emmanuel Macron a bien retenu les enjeux des questions administratives, « mais sur la régulation, il s’est montré plus prudent — sans avoir l’air opposé à l’éventualité d’une rémunération minimum dans la loi ». C’est l’une des difficultés majeures, avec celle de la représentation — permettant le dialogue social avec les éditeurs —, et « une véritable urgence pour nous », nous assure un auteur présent.
Ces problématiques, plus que centenaires, étaient déjà évoquées par Balzac : « La question est de savoir si ce gouvernement aura à cœur de les régler, pour marquer l’histoire. »
« Parce qu’il discutait avec des auteurs de BD, les sujets ont dérivé vers l’écologie et le social, notamment la répression policière. Et là, Macron a fait du Macron », explique un témoin des discussions. La désormais célèbre photo de Jul offrant un t-shirt « LBD 2020 » laisse imaginer la capacité de Macron à jouer la sympathie dans un tel cadre...
Lors du déjeuner avec les auteurs de BD, le dessinateur Jul offre un t-shirt « LBD 2020 » avec un personnage éborgné à Emmanuel Macron. Des participants décrivent des discussions « musclées » autour du maintien de l’ordre et de L’ecologie #PRAngouleme#Angouleme@Europe1pic.twitter.com/6SbdB4SuVv
— Jean-Rémi Baudot (@jrbaudot) January 30, 2020
En amont du fameux déjeuner, avait précédé, ce jeudi 30 janvier au matin, une réunion de travail avec le ministre de la Culture Franck Riester et des membres de son cabinet.
« Des paroles ont été dites, des engagements pris : le ministre a pris conscience du problème sur le statut des auteurs, il a réagi vivement à la fois aux bugs de l’Urssaf et à l’urgence des cotisations retraites disparues. On espère des actes rapides », indique un participant à la réunion, qui n’a réuni, cette fois, que des auteurs. « Rien ne se décidera à Angoulême, a priori. »
Le ministère de la Culture était cependant sur le pied de guerre, et très à l’écoute : la réunion fut « directe et constructive », assure-t-on. En présence de représentants d’auteurs, le ministre a assuré que « le rapport avait été demandé pour être mis en place et appliqué ». Soulagement ou panique : au choix.
« Le ministre a été sans ambiguïté dans sa volonté d’appliquer les recommandations », assure-t-on à ActuaLitté. Mais la chronologie sera essentielle : parmi les mesures les plus simples à appliquer, on peut citer la présence d’une délégation des artistes auteurs au ministère, la mise en place d’un interlocuteur dédié pour la sécurité sociale, de même que le point d’information central — un manquement aujourd’hui catastrophique.
Viendront ensuite les élections professionnelles, et avec elles la question du statut… « La création d’un conseil des artistes-auteurs implique de passer par des élections professionnelles — et soulève donc l’enjeu de la représentativité », nous pointe un proche du dossier. « Le ministère devra nécessairement poser des priorités. Et actuellement, ils ne cessent de découvrir des sujets dont le fond n’est tout bonnement pas admissible. »
« Nous avons bien rappelé que l’arbre du statut cachait aussi la forêt de nos rémunérations, dans les relations avec nos éditeurs », reprend-on cependant : le chantier est vaste, et l’État devra jouer son rôle de facilitateur. Le prochain rendez-vous est pris pour la mi-février, afin d’amorcer les discussions avec l’ensemble des organisations professionnelles. Les potentielles réformes découlant du rapport Racine concerneraient environ 270.000 personnes, toutes professions confondues.
Au cours de la première quinzaine du mois prochain, un agenda sera ainsi présenté par Franck Riester avec un engagement méthodologique de travail, sur les points que soulève le rapport.
Le FIBD 2020 reste le terrain de la mobilisation des auteurs : un débrayage est prévu le 31 janvier, à partir de 16 h 30. Un mot d'ordre : Bande Décimée ! Les auteurs prendront la rue, avec un rendez-vous donné Place Hergé : d’autres professions mobilisées les rejoindront, dont les avocats et les instituteurs, pour une convergence des luttes de mise, en cette période sociale bouillante.
D’autres actions sont prévues pour la suite du festival, et le collectif d’auteurs AAA, Autrices Auteurs en Action 2020, promet, si le rapport Racine n’est pas suivi d’effets dans l’année, des opérations de boycott pour le FIBD 2021 et Livre Paris 2021, au moins.
Mise à jour 19h26 :
Intervenant au théâtre d'Angoulême, Emmanuel Macron a évoqué le rapport Racine en assurant que des décisions seraient prises.
[Live tweet] : "On va prendre des décisions vis-à-vis du rapport Racine. Le ministre de la Culture y travaille." Le Président de la République @EmmanuelMacron au Festival International de la bande dessinée d'Angoulême. #FIBD#FIBD2020#BD#Angoulemepic.twitter.com/QJdZjGCQxo
— Festival d'Angoulême (@bdangouleme) January 30, 2020
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