Alors que le Syndicat National de l’Edition est vent debout contre le Rapport Racine, un autre vent de panique souffle du côté de sociétés de gestion collectives. Certaines d’entre elles se mettent à utiliser les mêmes arguments que le SNE pour tenter d’affaiblir la position des organisations professionnelles d’auteurs. Appliquer certaines mesures du rapport serait priver les auteurs de liberté. Alors vrai ou faux ?
trancher à la hache ? - pixabay licence
C’est bien le mot « travail » qui est apparu dans le rapport Racine. Un mot qui dérange encore au XXIe siècle quand on l’applique aux auteurs. Est-ce que créer est un métier ? Est-ce que c’est un travail ? Les auteurs ne sont-ils que des propriétaires de leurs œuvres ? Jean Zay avait déjà tenté en 1936 de réconcilier ces deux visions, avec un projet de loi détruit par les éditeurs.
Leurs arguments ? L’auteur reconnu comme travailleur serait sali et privé de liberté. Il deviendrait un prolétaire. Un individu comme les autres. Comme un air de lutte des classes ? L’auteur serait-il condamné à la figure bourgeoise par excellence, le propriétaire rentier qui ne peut être ramené aux préoccupations bassement matérielles ?
Brandissant le « droit d’auteur à la française », la SACD semble se livrer au même exercice de tentative de discrédit du rapport Racine que le SNE, en faisant circuler l’information que le contrat de commande proposé par le rapport serait la fin du droit d’auteur et transformerait « l’auteur en pauvre salarié précaire ».
Pascal Rogard, directeur de l’OGC, produit cette analyse dans SACD Le Magazine (p. 4 et 5) : « Des réflexions et des propositions sont aussi attendues de la part du ministère de la Culture et de la mission qui avait été confiée à Bruno Racine pour repenser le statut de l’auteur. La mission est certes prospective, mais tout doit être fait pour sécuriser, renforcer et améliorer des conditions de vie et de création pour les auteurs, qui se sont dégradées ces dernières années pour beaucoup d’entre eux. »
Il poursuit : « C’est le sens du message que la SACD a défendu auprès du ministère, alors que certains s’activent déjà pour passer par pertes et profits le statut de l’auteur au profit de celui de salarié. Mais, en être réduit à vouloir transformer l’auteur pauvre en salarié précaire ne conduira personne vers la voie du progrès ! »
Étrange résonance avec les propos du SNE : appliquer le rapport Racine serait transformer l’auteur libre en salarié enchaîné. Mais qu’en est-il vraiment ? Que préconise le rapport Bruno Racine ?
À aucun moment le salariat n’est préconisé dans le rapport. Par contre, le rapport explore les conséquences qu’a eues l’industrialisation des secteurs de la création sur ceux qui créent. Les contrats de cession de droits se sont mis à mélanger des impératifs de l’ordre du travail : date de rendus, cahier des charges, prise en charge de tâches supplémentaires... Libres les auteurs aujourd’hui, vraiment ? Que dire des cessions de droits pour 70 ans après leur mort ?
La Ligue des auteurs professionnels propose dans ses travaux d’hypothèses la séparation de la rémunération de l’amont, donc de l’acte de création, de l’aval, c’est-à-dire l’exploitation de l’œuvre. Une façon de revaloriser le travail créatif. Nouveau ? Pas du tout, c’est ainsi que fonctionnait le monde de la BD jusque dans les années 1990. Le paiement à la planche ou au fixe (somme non amortissable) et des droits d’auteur sur les ventes des livres.
« C’est l’arrivée de l’à-valoir qui a détruit notre boulot, témoigne un dessinateur de BD. On a laissé faire. On n’a pas vu venir. Avant, on avait des tarifs, des repères quoi. On avait un semblant de cohérence entre le temps qu’on passait à dessiner et le paiement. Maintenant on est payé de moins en moins et ça devient scandaleux, mais aucun minimum nulle part ! »
« Les éditeurs de bande dessinée » paru en 2005 nous apprend comment le paiement à la planche - minimum garanti - est mort en BD au profit des avances sur droits amortissables. Tout le monde connait la dégradation catastrophique de la rémunération en BD depuis. pic.twitter.com/PhyU6gMJ8R
— Samantha Bailly (@Samanthabailly) February 8, 2020
La Guilde des scénaristes a livré une analyse du contrat de commande sur sa page Facebook. Ce ne serait en aucun cas une remise en cause du droit d’auteur, mais une clarification des incohérences entre le Code de la sécurité sociale et le Code de la propriété intellectuelle. Le contrat de commande préconisé par la recommandation 10 du rapport Racine existe déjà, mais ne serait simplement jamais rémunéré.
« Le contrat de commande est expressément prévu depuis 1957 dans notre code de la propriété intellectuelle, sous l’appellation de contrat de louage d’ouvrage. Cette notion de contrat de louage d’ouvrage renvoie à l’article 1710 du Code civil, qui dispose que le “louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix entre elles. »
Le syndicat explique que l’invisibilisation du travail d’écriture conduit à des dérives qui mettent en danger la profession de scénariste. Baisse des à-valoir, réécritures d’un scénario 25 fois sans pouvoir poser de limites, et le problème de l’amortissement de cette somme avant de toucher des droits proportionnels.
« Si on doit résumer, témoigne une autrice, on a de plus en plus le pire des deux mondes. On est à moitié assimilé salarié et à moitié indépendant si on regarde comment est foutu notre régime social. Quoiqu’on en dise on n’est pas totalement libre : on doit bosser non-stop, on a des rendus et souvent des clauses de préférence ! »
Et d'ajouter : « Il faut comprendre que nos contrats d’édition nous empêchent de voir ailleurs, on est obligé de proposer le projet suivant à l’éditeur et sans marge pour négocier. »Avec surtout le pire de l’indépendance « parce que nos cotisations sociales explosent et les éditeurs contribuent à seulement 1 % de notre protection sociale. Par contre on est lié contractuellement donc on ne peut même pas faire vraiment jouer la concurrence ou quoi. La blague. Le contrat d’édition n’est pas que pour une mission non, on donne tous nos droits et si ça se passe mal pas moyen d’aller voir ailleurs... »
Le contrat de commande proposé par la mission Bruno Racine n’est pas un contrat de salariat, mais un contrat qui permettrait d’encadrer les engagements des deux parties. D’un côté, se mettre d’accord sur des dates, un processus, de l’autre, sur une rémunération en échange de ce travail de création. Dans un second temps, le contrat de cession permet aux deux parties de se mettre d’accord sur un transfert de propriété de droits. En fait contrairement à ce qui est affirmé par le SNE et la SACD... des règles du jeu plus claires pour plus de marge de manœuvre.
« Le contrat de commande, atteste un plasticien, on l’utilise dans les arts visuels. Marrant que ce soit une découverte pour les auteurs du livre. Pour nous c’est courant. Par contre on a beaucoup de mal à se faire respecter pour toucher des droits sur l’exploitation de nos créations. C’est un gros combat. »
Rappelons que les plasticiens sont indépendants, ils ne sont jamais salariés pour créer des œuvres. Le contrat de commande n’a donc rien d’un CDI. Par contre, reconnaître que créer c’est travailler, alors cela veut dire pouvoir avoir des accords-cadres, comme dans toute profession.
Alors entre rémunération du travail de création et rémunération proportionnelle, faut-il choisir ? Dans un décryptage fourni par 10 organisations professionnelles d’artistes-auteurs (Ligue, Charte, CAAP, Guilde, ADABD, etc), la position est claire : « Unir nos forces est dans notre intérêt : artistes-auteurs, nous voulons les deux, la rémunération de l’acte de création et la rémunération proportionnelle sur l’argent que nous générons. »
Voilà qui est dit.
Dossier - De l'auteur à la création : le rapport Racine, une nouvelle politique publique
3 Commentaires
Jujube
13/02/2020 à 06:20
Je suis peut-être à côté de la plaque en ce qui concerne le thème de l'article, mais, s'il vous plaît, comment agir pour ne pas faire du mal aux écrivain(e)s, dont l'office - pour plusieurs - est loin d'être facile et dont c'est tout l'être qui s'engage dans l'écriture? Ceux-là, souvent, écrivent pour ça, en un monde épris de fraude, mensonge et désespoir. Ceux-là, je les remercie de tout mon être; ils aident à vivre des anonymes qui, parfois, les ayant lus, remettent à plus tard des décisions fatales. Nous ne pouvons vivre, depuis toujours, sans eux. Ils ont fait leur preuve, ils ont le courage. Je pense que, à leur manière, ils aiment leurs congénères, leurs contemporains, sans que ceux-ci, nécessairement, le méritent.
Quelqu'un, un jour m'a dit: "Enseigner, tout comme écrire, c'est comme lancer une bouteille à la mer." C'était de l'autre côté de l'Atlantique. Mais, désormais, il n'y a plus de distance d'un coin ou l'autre de la planète.
Toto
13/02/2020 à 08:12
Oui rien d'autre à ajouter : se faire payer l'œuvre au départ (ou à la livraison, mais ça revient au même) à la proportion du travail que cela engendre, puis un retour immédiat sur les résultats de vente...
Tenez bon !
Black Bullet
14/02/2020 à 03:21
fan de Marvel/DC/Valiant/autres le système du copyright à quand même quelques avantages ; notamment la création d'entreprises plus puissantes et de marques fortes et des univers plus riches. La possibilité comme George Lucas de vendre son oeuvre.
Les Japonais y arrivent eux avec un système assez hybride (qui ne connait pas le Weekly Shōnen Jump et ses Héros chez les Otakus / rien d'équivalant ici).