On connaît le philosophe hors norme, le romancier furtif, mais aussi le dramaturge impliqué dans une écriture tortueuse en quête d’une insondable vérité à travers une langue rompue à la diversion, cherchant toujours de nouvelles implications à l’existence humaine.
Le 26/02/2020 à 15:32 par Jean-Luc Favre
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Publié le :
26/02/2020 à 15:32
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Un homme aux incessants combats pleinement vécus d’une époque pas si lointaine, « où les idées vont loin, » au même titre que les engagements, en justifiant le sens de l’histoire et sans pourtant renier la portée réelle d’un tel héritage. Un intellectuel en somme d’une intégrité rare, car nullement condescendant ; adulé par les uns, détesté par les autres.
Un homme au visage éclairant et éclairé, serein, cela va de soi, c’est dans l’ordre des choses lorsque les années passent en comblant les cicatrices de la vie ; mais aussi et cela se sait moins, un père aimant — comme en témoigne son nouveau livre, tombeau d’Olivier. Un ouvrage bouleversant malgré sa brièveté, et qui en dit long sur la condition humaine avec ses imprévisibles et injustes revers.
« La vie de mon fils a été interrompue de façon imprévisible et violente. D’une façon en quelque sorte inacceptable. Mais je peux soutenir ici qu’en dépit de ces apparences, sa vie, singulière, comme toute vie, réellement, subjectivée a existé pleinement, porteuse d’un sens dont la signification et l’usage avaient valeur universelle », écrit l’auteur avec une justesse de ton particulièrement terrifiante, mais parfaitement lucide dans les faits.
Si toutefois la justification établie en profondeur peut ramener à un juste endroit, sans se tromper sur les finalités d’un drame ouvert à la réflexion paternelle sous couvert d’une universalité « endiablée » dans ce cas, mais faisant également parler le mystère sous toutes ses formes, même les plus élémentaires, et ce, précisément en « dépit des apparences » et autant dire des jugements.
Et c’est bien dans ce contexte là, mêlé et démêlé à la fois, infiniment brumeux cependant, qu’Alain Badiou, absorbe les idées reçues, souvent peu scrupuleuses, en formulant un terme décisif, et subjectif, à sa propre douleur sans aucunement contester ses manquements.
Trente ans ou presque, c’est l’âge d’Olivier au moment de sa disparition dans la montagne des Alpes, dont on connaît la rudesse et les dangers. La neige est capricieuse et parfois tueuse. Certains n’en réchappent pas. On l’a retrouvé mort, gelé dans la neige sur une crête. Finalement comme tant d’autres skieurs ou randonneurs imprudents parfois. Mais ! Une disparition sans suite.
Que s’est-il passé au juste ? Un banal accident de montagne ou pire encore, une disparition volontaire. Toute la question est là ! Quel est le sens réel et vrai de cette insoupçonnable tragédie ; dont on sent bien cependant qu’il y avait là quelque chose d’inévitable.
La réponse, semble-t-il, reste en suspens. Olivier de son vrai nom, Lusamba Olivier Ntumba Winter Badiou, n’a rien laissé percevoir de ses ressentiments au moment des faits. Il s’est tu ! « Winter » l’hiver, c’est étrange non ? Comme similitude fatale en quelque sorte et déjouant précisément la simulation. « C’était prémonitoire », confirmeraient certains. Avec au final une vie tristement brisée.
On sait qu’il est né d’un père inconnu, c’est souvent le cas en Afrique et d’une mère décédée du Sida. Alain Badiou et sa première femme adoptent Olivier à l’âge d’un an à peine. Le coup de cœur du philosophe qui déjà se sent intérieurement et pleinement père. Malheureusement sa compagne décède, elle n’aura pas eu le temps de voir grandir ce fils prodigue et enflammé. C’est Cécile Winter, qui s’occupe maintenant du jeune enfant dans un foyer qui se veut un tant soit peu apaisé malgré les douleurs subsistantes.
Trois mères aimantes pour relayer une existence frappée par les drames successifs et dont l’expérience tourmentée du jeune garçon fut mal perçue autant qu’inassouvie. Chercher et comprendre ses racines n’a de sens que pour une future victime n’est-ce pas ! On peut l’imaginer ainsi. Et si Alain Badiou sait faire preuve d’une pudeur contenue, il n’en retient pas ses larmes pour autant. Et il le dit lui-même, « sa vie n’aura pas été vaine pour autant ». Le dénommé Biggy ou Rudy, comme le surnomment ses « potes » du 11e arrondissement, ses amis proches aussi, Yassine et Tarek, a connu dès l’adolescence tous les maux de l’enfer, frappé par le sceau du destin.
Déscolarisation, drogue, trafic, etc. Triste récompense pour un garçon vivant dans un monde tumultueux avec le sentiment d’une naissance arrachée au vide. L’abandon paternel peut être vécu de manière inacceptable ! Et l’adoption fut-elle heureuse et réussie ne comble pas le manque originel. Pourtant, il était plein de qualité, cet attachant Olivier, celui de l’amour déchu. Et de toute évidence fort intelligent, autant qu’intrépide ! Que son père adoptif, Alain, encourageait à vaincre ses démons dont il percevait bien les méandres ténébreux les intenses douleurs de la conscience « subjectivée ».
Il l’encourageait à la curiosité, et l’invitait à lire, Sartre, Camus, Lévi et même Heminguay. De quoi affiner un jeune cerveau. D’ailleurs Olivier en est parfaitement conscient. « J’ai donc tout simplement, pendant toute mon adolescence, passé mon temps à assassiner ma vie personnelle ». Et quand on sait exprimer cela, que reste-t-il alors à découvrir qui ne soit le perpétuel recommencement de sa propre vision réfléchissant le miroir des remords et des doutes, et laissant au bout du compte un père adoptif qui se voulait aimant et rassurant face à ses seuls démons.
« Quand je revois en pensée Olivier dans son fauteuil, devant moi, exposant tel ou tel point de sa vie compliquée, et se confiant à moi sans trop de réserves, les larmes me viennent tout simplement .» Pleure Alain ! Pleure ! Et n’étreins point ta peine : « Le spectacle du ciel est indicible ».
Alain Badiou — Tombeau d’Olivier — Fayard — 9782213716923 – 10 €
Paru le 22/01/2020
117 pages
Fayard
10,00 €
2 Commentaires
Cécile Winter
25/04/2020 à 22:20
Votre commentaire est bafouillant mais ce n'est pas de votre faute, mais celle d'Alain Badiou. Olivier n'a pas été adopté par la première femme d'Alain Badiou, nommée Françoise. Il m'a été confié par sa mère, Maris-Josée Ntumba, qui était ma patiente à l'hôpital, en même temps que son frère alors âgé de 4 ans. Olivier avait été placé dans une pouponnière après avoir été hospitalisé, à l'âge de trois mois, pour une méningite. Le jour où Marie-Josée Ntumba m'a dit qu'elle "avait décidé" c'était ses propres termes, de me confier ses deux plus jeunes enfants ( les deux aînés se sont retrouvés à l'ASE), je lui ai dit que je devais d'abord en parler à mon compagnon<. J'étais alors en couple avec Alain Badiou depuis 20 ans. Alain m'a proposé que nous prenions un des deux enfants, je lui ai dit que je ne pouvais pas choisir, et il a alors eu l'idée, que j'ai approuvée! de proposer à Françoise, sa femme, dont il était séparé, de prendre le plus grand: ce qu'elle a accepté. Alain Badiou a par contre "oublié" de me dire qu'il avait décidé qu'il ne reconnaîtrait pas "notre" fils. Je me suis heurtée à cela sans comprendre pendant tout ce temps: car pour Olivier, non reconnu par son "géniteur", comme il l'appelait, ne pas être reconnu par son "père" Alain Badiou ne pouvait être sans conséquences. Alain Badiou a finalement reconnu Olivier après la mort de Françoise - Olivier avait déjà 18 ans - . Je pense qu'Alain Badiou n'avait pas à aborder ces questions d'origine dans son livre, mais puisqu'il l'a fait de façon tordue , je suis contrainte de rectifier. Je dois ajouter que si j'avais su qu'Alain Badiou ne comptait pas reconnaître l'enfant, je ne l'aurais tout simplement pas pris. Mais il a été très étonné quand je lui ai dit cela,le jour où lui m'a dit que c'était de sa part une décision initiale, soit 25 ans plus tard..Par ailleurs, Olivier n'est pas mort dans un "accident de montagne". Il a été retrouvé mort dans la neige, à l'heure actuelle une instruction est ouverte dont on ne peut savoir si elle aboutira. On sait seulement à coup sûr que la version qui nous a été donnée est fausse, y compris quand au jour de sa mort. On sait aussi qu'aucun effort réel n'a été entrepris pour le chercher. On sait aussi à coup sûr qu'il ne s'agit pas d'un suicide. Mais c'était peut-être "beaucoup plus qu'un suicide", selon le mot de son psychanalyste. Olivier s'était d'ailleurs fort bien expliqué sur ce sujet dans le texte qu'il a écrit sur l'instinct de mort. Il ne voulait certainement pas mourir. Mais il n'était pas tout à fait sûr de pouvoir vivre. C'était quelqu'un d'infiniment talentueux, intelligent et bon, peut-être parfois trop bon, peut-être parfois aussi "trop" lucide sur certaines choses qui lui rendaient très difficile de se risquer dans la vie. Il avait, tout en connaissant sa propre valeur, bien des raisons de douter de lui-même, du monde dont il était originaire, auquel il voulait cependant rester fidèle, et encore bien plus du monde dans lequel il avait atterri.
jeanlucfavre2@gmail.com
20/07/2020 à 19:10
Chère Cécile Winter,
Voici donc la vérité et je vous remercie de dire plus explicitement la trame réelle de cette adoption. Car en effet dans le livre quand même touchant Alain Badiou. ce n'est franchement pas d'une grande limpidité d'expression. Du coup par respect pour vous et déontologie professionnelle j ai demandé à des collègues de m'éclairer dans ce sens. ils traduisent le même sentiment confusion. Alain Badiou est un enfant terrible non ?