Existe-t-il une poésie féminine en France ? Une question qui peut paraître anodine, surtout par les temps qui courent où les vers et les métaphores ne sont guère d’actualité ou de raison. Une poésie souvent reléguée à l’état de petits cénacles, au hasard de quelques médiathèques aventureuses soucieuses de perdurer un art en voie de disparition. Encore que ! Méfions-nous de l’eau qui dort aux abords des sous-bois.
Le 20/03/2020 à 13:14 par Jean-Luc Favre
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20/03/2020 à 13:14
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Et pourtant en fouillant un peu dans quelques bonnes et sérieuses librairies, on s’aperçoit qu’elles sont quelques-unes à élever des voix souvent indépendantes et novatrices, figurant souvent dans de prestigieuses anthologies et couronnées de prix littéraires pour certaines d’entre elles — alors qu’elles font figure de combattantes et de résistantes à un ordre présupposé, mais qui n’est pas le leur, c’est certain.
Pour ne citer que Liliane Giraudon, Marie Étienne, Vénus Khoury-Ghata, Béatrice de Jurquet, Annie Salager, Gabrielle Althen, Jeanine Baude, Claudine Helft, Francine Caron, Béatrice Bonhomme, Sylvie Fabre G, Carole Zalberg, Camille Aubaude, deux poétesses attachantes pour ne pas dire déterminées que j’ai eu le plaisir de publier en son temps dans l’anthologie Les nouveaux poètes français et francophones (Jean-Pierre Huguet/France Culture, 2004) avec mon compatriote, le poète Matthias Vincenot.
Et tant d’autres encore, chacune à leur manière, célébrant les mots avec des styles souvent très singuliers qui témoignent d’une vraie vitalité de la langue française, comme ces deux ouvrages qui viennent de paraître, Elles sont au service de Fabienne Swiatly, et Éphéméride de Valérie Rouzeau.
Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si je me permets de réunir ces deux voix féminines, non pas similaires, tant s’en faut, mais en adéquation avec de nouvelles formes d’engagement qui méritent qu’on leur accorde une attention particulière et suivie.
D’emblée Fabienne Swiatly donne le ton. Née en 1960 d’un père polonais et d’une mère allemande, elle se situe aux confins de deux cultures européennes liées par l’histoire ancienne et récente. Elle se déclare d’ailleurs volontiers « fille des aciéries et de la langue allemande, des bleus de travail et de la soudure, des ouvriers exploités et des manifs ».
Avec une œuvre littéraire qui scrute le quotidien, interroge les frontières de langues et de classes, donne la parole aux êtres qui en sont privés. Des propos qui mesurent la force de l’engagement au quotidien avec la conscience parcellaire, mais avouée de l’exil. « Je viens d’un champ de patates, celui que mes grands-parents polonais ont quitté après la Première Guerre mondiale pour tenter leur chance en Lorraine dans la sidérurgie », déclare-t-elle encore avec une rare lucidité.
Certes l’on ne refait pas le passé, mais rien n’empêche cependant d’être en mesure d’assimiler ses racines avec une belle clarté d’intention. Comme une observant une filiation consciente des précarités sous-jacentes à toute « déportation » involontairement vécue. « Je viens de l’attente. De longues heures passées dans le terrain vague, derrière la maison familiale, je m’inventais des histoires, je m’inventais un avenir, j’attendais quelqu’un. » Ainsi la poétesse fait-elle l’apprentissage inévitable de la solitude dans un monde qu’elle s’approprie presque sauvagement, l’aime-t-elle pour autant ?
La question reste en suspens. Avec une singularité qui lui est propre cela va de soi, et forcément autonome. Fabienne Swiatly, ne regarde pas le monde derrière un rétroviseur, ce n’est pas son style. Elle préfère affronter les bourrasques en s’impliquant pleinement et en défiant les « petites mesures » de la vie courante apparemment banales, qui se figent comme de sombres apartés. « Lire. Écrire. Faire lire. Faire écrire. Lire à voix haute. Photographier. L’écriture pour raconter, pour s’émanciper ».
Et mieux encore : « Lire. Écrire, pour se tenir debout dans la vie » qui définit une incontestable générosité, oserais-je dire providentielle, pour les bénéficiaires, dans les Ehpads, les lycées, au sein d’ateliers d’écriture souvent.
De ce point de vue, ce dernier recueil, bref et foisonnant, est l’expression de ce grand vide humain où les scènes et les mots se côtoient malgré tout, hors nécessité, à la manière d’un long fleuve tranquille, et où les phrases se juxtaposent sans se blesser. Une poésie humaniste en quelque sorte, ou plutôt humanisée quand « l’enfant lui dicte à l’oreille une phrase qu’elle retranscrit scrupuleusement : Je m’appelle le dragon endormi. »
Née en 1967, révélée au grand public en 1999, grâce à son recueil de poésie, « Pas revoir » tiré à plus de 10 000 exemplaires aux éditions le Dé Bleu, chez Louis Dubost. Une exception du genre — conforté par le prix Apollinaire pour Vrouz en 2012, publié à la Table ronde. « J’ai l’amour spontané de mon prochain sauf quand/Mon prochain s’intéresse de trop près à mon goût/ À ma personne gentille et froide et solitaire/ Alors là je m’éloigne à grandes enjambées/ Du buffet dînatoire où j’étais conviée/ Et je rentre chez moi savourer mon congé ».
Une poésie là encore qui interfère avec le quotidien, précisément sous la forme de « grandes enjambées », parfois rythmées par des temps de repos, afin de conforter une ligne de conduite ou d’ancrage dont la mémoire investit des lieux de hantise, s’accommodant parfois de sourdes interrogations – souvenirs plus que méthode – surgit de l’indistinct avec la capacité toutefois de se survivre à soi-même sans se mentir, sur l’intimité même de la vie à l’aide d’une « prose solide » où les proches sont conviés, Christian Bachelin par exemple dont elle a d’ailleurs préfacé l’un des ouvrages majeurs, « Neige exterminatrice », le peintre Jean — Gilles Badaire également, tous deux, figures amicales et fraternelles.
Des notes de journal en somme, étalées sur plusieurs années, qui suivent un chemin sans chronologie, mais où la poésie reste le véritable moteur du décryptage et de la compréhension d’un quotidien bercé par de « noires » illusions, et qui se veulent cependant réfractaires à tout atermoiement. Car la poésie de Valérie Rouzeau ne relève jamais de l’échec de l’existence. Preuve en est d’une plume ferme, limpide et intrépide — seulement que l’auteure convoque des images plus révélatrices de ses vraies vibrations existentielles.
Elle aime « les télescopages, les figures sonores, les homophonies diverses, les assonances et autres allitérations ». « Elle a aussi le goût des autres », en citant Montaigne, William Carlos William, sous le regard attentif de Pierre Reverdy, et Antoine Emaz, poète chaleureux trop tôt disparu ; dans un long recyclage de la raison, tantôt atrophiée, tantôt hypertrophiée, pour finalement conclure que tout ce désordre, toutes ces échéances sont inévitablement vouées à l’amnésie solitaire. Si je meurs/Ce sera du cœur/Boum à gauche/Par terre/La gauchère…. Le poète n’est-il pas le roi des gueux ?
Fabienne Swiatly – Elles sont au service – Bruno Doucey – 9782362292828 – 13 €
Valérie Rouzeau – Ephéméride (Le temps passe et fait mes rides) – La Table ronde – 9791037106605 – 16,50 €
Par Jean-Luc Favre
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 05/03/2020
80 pages
Editions Bruno Doucey
13,00 €
Paru le 05/03/2020
144 pages
Editions de La Table Ronde
16,50 €
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DOU
26/03/2020 à 21:33
Il faudrait citer Albane Gellé
"On voudrait être efficace ne pas perdre le nord ni son temps que les enfants poussent bien qu'il s'arrête de pleuvoir et notre confusion des sentiments on en fait quoi"
JLFR
20/04/2020 à 13:05
excellente citation en effet qui fait écho :