Dans le monde numérique, les uns clament que les éditeurs ne servent plus à rien, ou sont complètement dépassés, remettant en cause la pertinence de leur jugement - vieille rengaine - autant que leurs capacités. La réaction de l'une d'elles, dans les colonnes du
Guardian, remet les pendules à l'heure...
Ursula Mackenzie n'est pas que PDG de Little, Brown. Elle intervient également comme président du Trade Publishers Council et de la Publishers Association. À ce titre, entendre de pareilles critiques la met quelque peu sous pression. Réagissant à l'article de Ray Connolly, elle conclut que, bien loin d'être has-been, les éditeurs, à l'heure numérique, sont « plus pertinents que jamais ».
L'éditeur est mort ? Bien loin de là...
Refutant l'idée que les éditeurs sont « figés » dans cette nouvelle approche du livre, elle rappelle qu'avant même la prise de conscience par le grand public, les maisons ont toutes investi, massivement, dans des divisions numériques. Cela en vue d'assurer la vente des ouvrages dans tous les formats et sur tous les marchés possibles. « Les programmes d'édition numérique sont solidement ancrés dans toutes les sociétés d'édition : cela va de la publication simultanée des nouveaux titres en ebook, à la réédition de fonds de catalogue en version numérique uniquement, la remise en avant de vieux ouvrages avec de nouveaux contenus numériques et la création d'applications spécifiques sur les derniers titres disponibles. »
Conclusion : ne tirez pas sur l'ambulance, elle est blindée. Qui plus est, les éditeurs ont conscience de ce que le numérique soit dans leur intérêt autant que celui des auteurs. Embrasser le changement, ils y sont prêts.
Protéger et servir (oui, mais quels intérêts ?)
Et d'évoquer par exemple l'implication des maisons dans la lutte contre le piratage, un des pans numériques qui pose le plus de problèmes, pour la protection des oeuvres. De même que celle du droit d'auteur et le paiement régulier des écrivains... Toutes ces clefs sont dans les mains des maisons, qui réfléchissent et prennent en main les problèmes, tout en tentant d'y apporter des solutions.
Ce que l'on peut mettre à son compte, c'est qu'essayer, c'est mieux que d'attendre les bras croisés. A contrario, il semble que peu des méthodes employées soient réellement satisfaisantes pour le plus grand nombre. C'est probablement là que le bât blesse.
Mais Ursula ne se démonte pas : il ne faut pas oublier l'expertise, le marketing, les relations avec la presse, la juste rémunération - quoique sur ce terrain, elle ferait peut-être bien de relire tous les conflits qui ont cours... Alors que Connolly souligne ce qu'il estime être un comportement capricieux, sinon erratique, dans le choix des manuscrits à publier, Ursula rétorque que l'éditeur dispose d'un regard sur le marché. Qu'il soit numérique ou papier. Et que son investissement se fait en fonction de son expertise dans le domaine.
Entre pertinence questionnée et technique invoquée
Sauf que là encore, les questions se posent, et l'on pourrait avancer nombre de publications effectuées par connivence, lorsque le livre ne mérite pas même le papier qui l'imprime. Pire : certains papiers ne méritaient pas d'avoir à subir le texte qu'on leur inflige. En même temps, c'est aussi le jeu du réseau éditorial. Faut-il le combattre ou simplement en prendre conscience, pour tenter de l'intégrer ? Excellente question, merci de ne pas me la poser.
Et Connolly d'ajouter que quiconque est aujourd'hui un tant soit peu calé en informatique peu éditer un texte numériquement et le rendre lisible sur toutes plateformes - l'introduction du format ePub dans la suite iWork d'Apple tendrait d'ailleurs à ne pas lui donner tort. Mais pour Ursula, c'est là l'erreur : un éditeur ne vend pas un simple fichier conforme aux impératifs techniques. Il propose avant tout une version revue, corrigée, modifiée... et filtrée par son prisme.
Un prisme qui s'appelle un métier. Et un métier, qui comme ceux qui visent à vendre quelque chose, l'éditeur se doit de réaliser au mieux.
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