Internet, pis-aller de l'édition ou la validation symbolique du livre
Entre 1994 et 2008, Pierre Mari publie six ouvrages, avec notamment Kleist, un jour d'orgueil, qui aura été salué par la critique, depuis Pierre Assoulin en passant par Michel Crépu. Oui, mais voilà : qui a été publié ne le sera pas forcément à l'avenir.
Son dernier ouvrage, Point vif, faisait le point sur une vie, une époque et un homme, regardant le monde qui l'entoure. Cet ouvrage, achevé au début de l'été 2009, n'avait alors trouvé aucune maison pour arriver dans les librairies. « L’éditeur qui avait publié mes deux livres précédents n’a pas souhaité s’engager, sous prétexte que l’échec de celui-ci était assuré, et la douzaine d’autres que j’ai sollicités dans la foulée a poliment refusé », explique-t-il simplement sur son blog.
Internet, ce pis-aller
Auteur 'inclassable", peut-être, mais décidé tout de même à trouver le public qui saura apprécier son récit autobiographique : « Ma seule préoccupation, aujourd’hui, est de chercher d’autres voies par lesquelles ce texte pourrait trouver un public. »
Pierre Mari avait alors opté pour la diffusion gratuite en ligne de son livre, par le téléchargement d'un fichier PDF. Un moindre mal, voire un aveu de lassitude, tout simplement parce qu'internet ne représente pas « la forme rêvée », pour la diffusion de son livre. « Je suis trop pénétré de la mystique du livre pour que ce moyen de diffusion constitue autre chose qu’un pis-aller, une manière de ne pas renoncer, de quêter un écho, d’éveiller des possibles et peut-être de susciter des rencontres. Mon horizon demeure, irréversiblement, le grain du papier et l’encre d’imprimerie. »
« Pas possible de rester silencieux. »
C'était sans compter sur l'opiniâtreté de Franois Bon. Dans une vive réaction, le fondateur de Publie.net se fend d'une note étayant son incompréhension. Voilà quelques années, Pierre Mari aurait trouvé éditeur à son manuscrit, comme chaussure à son pied. Mais la situation n'est pas à son goût, pas plus que le comportement de l'auteur, puisque l'on « reste dans le schéma de l’auteur isolé, laissant aux médiateurs, magazines, suppléments littéraires, le soin de parler de son livre imprimé. Sauf que ça n’a jamais été comme ça, la littérature ».
Et d'ajouter : « Croire qu’il y aurait l’auteur de livres d’un côté, et de l’autre les soutiers qui écrivent des billets sur les blogs, à votre bon coeur, c’est se tromper sur le web : on hérite ici de la tradition littéraire, donc on s’y colle ensemble, donnant donnant – ça a toujours été comme ça, depuis Rabelais jusqu’à Tel Quel, et c’est noble aussi. Simplement, parce que nous sommes lecteurs autant que nous sommes auteurs, et qu’il n’y a pour aucun de nous d’écrire sans lire. » Forcément, « pas possible de rester silencieux », explique-t-il dans le billet une parfaite leçon de non-web.
Du silence au passage
À l'évidence, la réaction du « pis-aller » internet nécessitait une réaction vive, enthousiaste et surtout ruant dans les brancards. « Ce que la réaction de Pierre Mari met en évidence, c’est le paradoxe d’une validation symbolique du livre, à quoi la publication web ne peut prétendre – mais à laquelle elle ne prétendra pas, parce que ce que nous changeons déplace aussi le statut symbolique de l’écrivain. »
Une discussion s'entame entre les deux hommes, dont la conclusion est la publication sur Publie.net de Point vif. Le texte restera accessible en téléchargement depuis le blog de Pierre Mari, mais sera également proposé dans le bouquet de diffusion proposé par la maison Publie.net.
Retournement de situation ? Meilleure approche : faut-il alors contacter les auteurs les uns après les autres pour parvenir à leur faire, non entendre raison, mais comprendre qu'internet vaut autant dans la publication et la diffusion que le papier ? Et par extension, que le réseau tissé autour de l'auteur partant de la toile, est plus vif, plus réactif, que celui émanant des autorités aujourd'hui quelque peu défaites de leur autorité ?
Internet a-t-il le pouvoir de convaincre les auteurs que la vente de papier n'a pas plus de prestige que la vente de numérique ?
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
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