Le Salon de Montreuil s'achève à peine que déjà on en entend qui se gavent sur le dos des livres tout court depuis un bail, piétiner tout bonnement le secteur jeunesse. « Invention marketing », c'est tout ce que le sieur Busnel parvient à retenir de ce pan de l'édition.
Le 13/12/2010 à 19:04 par Clément Solym
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13/12/2010 à 19:04
Dans une chronique parue dans l'Express-Lire une semaine avant ledit Salon du livre et de la presse jeunesse, François Busnel se montre bien vindicatif :
Je dois l'avouer, je n'ai jamais cru aux vertus de ce que le monde de l'édition appelle la "littérature jeunesse". Sans doute est-ce une tare, mais ce "secteur" m'est toujours apparu comme une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons en mal de chiffre d'affaires.
Mazette... Et le tout pour mieux valoriser un livre de Danièle Sallenave, publié chez Gallimard. Mais de quoi s'agit-il ? Pourquoi une telle agression ? Et surtout à qui profite un tel crime ?
Valérie Zenatti a vivement réagi dans les colonnes de Mediapart. Et fait montre d'une certaine diplomatie et d'une envie de pédagogie particulièrement louables.
Devoir de pédagogie (à l'impossible nul n'est tenu ?)
Estimant que « l'ignorance est dans bon nombre de cas, et dans le vôtre je l'espère, chose réversible », la voici donc partie dans une tentative de récupérer le patron de la Grande librairie, ou encore directeur de la rédaction de Lire. On ne peut que saluer la retenue et l'irritation doucement perceptible que l'écrivaine laisse transparaître dans sa réponse. On vous en laisse le plaisir de la découverte. C'est bon de voir remis à sa place l'une des figures germanopratines bien en place.
En revanche, la suite de son propos est particulièrement intéressante :
La littérature dite « jeunesse » est un espace de création où des écrivains (et parfois des « faiseurs », mais ni plus ni moins qu'ailleurs) interrogent la perception si singulière que les enfants et les adolescents ont de la vie et du monde, en s'adressant à leur intelligence et à leur sensibilité, à leur humour -qui fait défaut à tant d'adultes -, et à leur curiosité. Avec les mêmes outils que les autres écrivains et poètes (les mots, simplement les mots, sans sucre, sans guimauve, sans petits nœuds roses) ils s'emparent des sujets éternels que sont l'amour, la mort, la guerre, l'amitié, l'ambition, la trahison, la perte, le rêve, pour tenter d'en cerner les contours avec une voix qui cherche à retrouver l'intensité des premiers regards, des premières émotions et du « temps perdu ».Nier cela, c'est nier aux enfants et aux adolescents la place et le respect qui leur reviennent, auxquels ils ont tout autant droit que vous ou moi.
Ce que Mme Zenatti n'ose probablement pas dire, par pudeur ou pour épargner le valeureux pourfendeur de Neil Gaiman, Terry Pratchett, ou Lewis Carol (eh oui, c'est de la littérature jeunesse aussi...), c'est que ce type de chronique ressemble fort à un accord comme il s'en passe régulièrement entre presse et éditeurs. Un bon papier contre un achat publicitaire.
Pas vraiment du publi-rédactionnel, mais bon, on s'arrange, on est en famille... Alors voici qu'en dénigrant volontairement tout le monde de la littérature jeunesse, M. Busnel porte aux nues le livre de Danièle Sallenave. Le procédé est connu, César dans sa Guerre des Gaules l'avait employé : on survalorise l'ennemi, pour montrer à quel point lui était plus fort encore, puisqu'il avait triomphé desdits Gaulois...
Faudrait vérifier dans les pages de Lire des semaines passées, tiens, on rigolerait bien...
« C'est çui qui dit, qui l'est ! »
Ah oui : Harry Potter, c'est pour qui ? Jeunesse ou adultes ? Et Twilight ? Et le Livre des choses perdues de Connolly ? Condamnés et mis dans le même panier de l'« invention marketing » ? Attirons également l'attention de nos lecteurs sur l'intervention de Dorothée Piatek, auteure de littérature jeunesse, sur Facebook.
En outre, le travail historique réalisé par les auteurs jeunesse est remarquable. La transmission qu'ils opèrent à destination des enfants est exemplaire pour bon nombre d'entre eux.Nous écrivons avec passion et transmettons avec énergie et amour notre expérience et notre travail à une population curieuse, ouverte et intelligente. Réduire comme vous le faites, la littérature jeunesse est totalement rétrograde et insultant pour les auteurs qui travaillent avec acharnement pour adapter leurs écrits afin de transmettre l'histoire, la vie et le rêve.
Littérature jeunesse, invention marketing ?
Eh bien M. Busnel, vous voilà fort d'au moins trois réponses, dont la nôtre, qui, à l'instar de celle que les enfants se font entre eux, vous rétorqueraient volontiers : « C'est çui qui dit, qui l'est ! »
Post-Scriptum
D'ailleurs, mon cher François, j'ai un petit truc à ajouter. Tu me passeras cet audacieux tutoiement, mais comme Desproges, je dis "tu" aux gens que j'aime, et toi, définitivement, tu commences à me plaire.
Tu me permettras en effet de t'attirer l'attention sur le livre de François Place, La douane volante. Tu sais pourquoi ? Parce que Lire lui a décerné le prix du meilleur roman jeunesse 2010. Et juste pour t'embêter, je te rappelle que le livre est paru chez Gallimard...
C'est Philippe Delaroche, le rédacteur en chef de Lire, qui a dû savourer, ô combien !, ta tribune et plus encore François Place, qui avait chroniqué le livre pour Lire.
Post-Post-Scriptum : la réponse d'Orsenna
On appréciera aussi la réponse (intelligente, pour le coup), d'Érik Orsenna : « Les journalistes intelligents savent qu'il existe des livres jeunesse très bons, d'autres très mauvais, exactement comme en littérature générale. [...] Et je suis en plus frappé que à la fois dans les textes et les illustrations, y'a beaucoup plus de liberté dans les livres pour la jeunesse que dans les livres pour adultes. Et que les adultes, ils auraient besoin de recevoir, comme souvent, des bons coups de pied au cul. » (source Les Histoires sans fin, début de l'intervention à 11 minutes)
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Par Clément Solym
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