Je suis partie ce matin en quête d’un refuge, perdue au milieu des innombrables manifestations. Je l’ai trouvé, dans la petite salle construite à l’occasion par le Centre national du Livre, qui accueillait, dans ce lieu isolé, presque protégé, 3 auteures du Nord, femmes à la beauté glaçante, et aux paroles tempétueuses.
Le 22/03/2011 à 08:55 par Clément Solym
Publié le :
22/03/2011 à 08:55
En Scandinavie, le jour lutte contre la nuit, l’identité commune repose sur des paradoxes et nuances. La poésie se mêle au fantastique, l’ambiance est feutrée, la lumière particulière, les grands espaces rendent propices le silence, et la confidence, comme les longues soirées d’hiver, ou les tables rondes nordiques du Salon du Livre.
Helle Helle est danoise et vient de publier « Chienne de vie » aux Serpent à Plume, Hanne Orstavik est norvégienne et publie « Amour » aux éditions Les Allusifs, qui se place en Norvège dans le top 25 des meilleurs romans de ces dernières années, Anne Swärd est Suédoise et sort A bout de souffle, aux éditions Maren Sell.
Dans les 3 romans, nous sommes en pleine campagne, ou en province. Peut-on dénicher en Province quelque chose de plus intime qu’en capitale ?
A.S : La Suède est toute entière province ! Il y a une contradiction, en province, nous voyons peu de personnes et pourtant, nous sommes côte à côte en permanence.
H.O : Je crois que nous pouvons être seuls n’importe où, même dans une grande ville. Quand je grandissais au nord de la Finlande, j’avais l’impression d’être hors du monde. Les médias oubliaient même cette partie. Les plantes ne poussaient pas ici, alors j’ai écrit un roman avec un paysage de l’enfance.
H.H : Je pense que j’ai choisi d’écrire en province, car en Province, nous sommes obligés de rester là. Nous sommes comme coincés. Nous ne pouvons pas en sortir. Je ne peux pas prendre un métro, un train, comme si j’étais en banlieue. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les gens se parlent, et pour étudier au mieux les relations, il vaut mieux que les espaces soient petits.
Avec l’hiver qui est constamment décrit dans vos livres, et ses portes closes, nous nous croyons dans un Conte de Grimm, comme si chaque acte entraînait une conséquence. Qu’en pensez-vous ?
H.O : J’ai suivi la peur. C’est un livre sur la peur. Nous avons toujours peur de ce qui est à l’extérieur, comme si le danger était dehors. À la fin de ce livre, je me rends compte que le danger est peut-être dedans.
H.H : J’ai essayé de prendre une femme, avec sa fureur, sa frustration pour la confronter à la gentillesse, la douceur, et c’est efficace !
Parlez-nous du climat, de cet hiver si froid. A-t-il une place si importante ?
H.O : Non, non… je n’ai pas envie de parler de ça. J’aimerais plutôt parler d’amour. Ma fille, comment peut-elle savoir que je l’aime ? La vraie question est là. Comment peut-elle être sûre de savoir ce que je ressens ? Parfois, même si je le répète « je t’aime, je t’aime », les mots sont vides, il n’y a rien. Quand est-ce que les mots sont vides ? Quand sont-ils remplis ? Comment fait-on quand les autres ne les ressentent pas ? Qu’est-ce que tu fais ? Comment tu fais ? Nous n’avons pas de mot alors pour montrer cette impuissance. Peut-être que c’est ça l’hiver. Il sert à montrer cette violence.
Helle, pourquoi cette tempête, chez vous ?
H.H : La tempête ressert l’étau. Les gens sont alors obligés de se rencontrer.
A.S : Pour moi, les paysages, les saisons sont le reflet de mon intérieur.
Faulkner disait qu’entre le chagrin ou n’importe quoi, il choisissait n’importe quoi. Et vous ?
H.H : Dans mes livres, je ne parle pas de ce que ressentent les personnages. Le processus de réflexion vient après. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’ils font. Il y a beaucoup de mots qui ont des sens contraires. On ressent le contraire de ce que l’on dit. Le lecteur voit alors beaucoup de choses, ce qu’il y a en dessous, autour, et c’est cela qu’on appelle peut-être sentiments.
A.S : Je préfère pour ma part, la tristesse au néant. Mais pour revenir à ce que disait Helle Helle, je suis d’accord, la communication sous-terraine est celle qui n’est pas dans les mots.
H.O : La littérature, pour moi, n’a pas un caractère d’intellectualité. Je lis, ou j’écris pour vivre quelque chose. Les livres sont des espaces, on y entre et on les lit avec tout son être. En lisant, nous ouvrons toutes nos blessures, nous n’avons plus besoin de nous protéger. Nous entrons dans des espaces où il est parfois difficile d’entrer.
H.H : Contrairement à Hanne, moi quand j’écris, je deviens quelqu’un d’autre. La littérature permet de sortir de soi, devenir quelqu’un d’autre, peut-être pour devenir encore plus vivant ?
A.S : Ce qu’il y a de fantastique avec la littérature, c’est que nous pouvons avoir 300 pages pour dire une seule chose.
H.H : Ce qui est intéressant, c’est de raconter ce que les gens font vraiment. Je pense que les lecteurs ne demandent pas aux personnes de faire ce qu’ils devraient faire.
H.O : Les livres montrent que l’essentiel se passe ailleurs que ce qui est montré. Avec mon livre, c’est beaucoup dans le silence, le vide, le froid. Ce qui est primordial aussi, c’est que le lecteur lise le livre qu’il veut bien lire.
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